Chromeo : Néons et humilité
Les enfants prodigues de l’électro Chromeo reviennent dans leur patelin avec un nouvel album plus expérimental-entre-guillemets.
«C’est vrai que ça a commencé à Pop Montréal, ça!» se rappelle David «Dave 1» Macklovitch, sourire dans la voix, lorsqu’on étale les faits d’armes de son duo au fil des années. De secret mal gardé des scenesters locaux à ambassadeurs d’une certaine variété musicale au sein du fameux «son de Montréal» à l’international jusqu’aux stars d’aujourd’hui, abonnés aux festivals prestigieux et aux talk-shows de fin de soirée américains, Chromeo en a fait du chemin depuis une décennie. Dave et son collègue Patrick «P-Thugg» Gemayel – qui habitent maintenant New York – sont toutefois loin d’être nostalgiques de leurs débuts ou repus par la voie pavée jusqu’à aujourd’hui.
«On commence tout juste à atteindre de nouveaux sommets avec le groupe!», lance-t-il afin d’éviter de dresser l’état des lieux. «J’ai une superstition en ce qui concerne les bilans: lorsqu’on se lance dans l’exercice, j’ai l’impression qu’on regarde davantage en arrière alors qu’on va de l’avant. On a de plus en plus de passages radio, nos spectacles sont de plus en plus gros, on participe à davantage de festivals, etc. On se concentre sur la suite!»
Et la suite – du moins, de nos jours – c’est White Women, un quatrième album où le duo s’est mis en danger, créativement parlant, afin de tirer une œuvre électro saccharinée, mais aussi percutante.
De l’importance d’être plus humble et moins insulaire
Quatre années après avoir offert Business Casual, une œuvre qui a profité d’un succès populaire considérable (c’est le premier album de Chromeo à se glisser dans les palmarès Billboard et UK Albums Chart), mais qui a reçu un accueil critique moins dithyrambique que Fancy Footwork (2007), Chromeo ne s’est pas donné comme mot d’ordre de rectifier le tir ou encore de répéter l’exploit sur White Women. Loin de là. «L’idée était de juste s’améliorer, point final. Ce n’est pas une rupture [de son avec Business Casual], mais une posture vraiment humble. OK, on a fait Fancy Footwork, puis Business Casual qui était un peu un « post-scriptum », un genre de complément, à Fancy Footwork et puis, maintenant, on voulait écrire quelque chose de nouveau, voire se réinventer un peu. Tous les topoï [les lieux communs] de Chromeo y sont: l’humour, les synthés, les références aux années 1980, mais l’enveloppe et le lustre sont différents et n’étaient pas là avant, puis y’a un plus gros travail sur l’écriture, quand même.»
Sans oser l’étiquette «album-concept» – «car il n’y a pas de narration qui se tient du début à la fin», tranche l’artiste et doctorant en littérature française – Dave 1 voit tout de même un arc musical à White Women qui l’amène à diviser l’œuvre en trois actes: «Ça commence avec de gros tubes catchy pop, ensuite on y va avec quatre morceaux plus introspectifs et lancinants, forts en interludes, puis ça se termine sur quatre morceaux plus ludiques et disco.»
La nouvelle couleur injectée dans White Women, par contre, demeure cette insistance sur les collaborations. Si celles-ci étaient plutôt en marge dans le parcours du groupe (Business Casual en comptait deux… dont une en compagnie de Solange Knowles, qui était toujours méconnue à l’époque), outre Knowles (qui cosigne également Lost On The Way Home), on retrouve Toro y Moi ainsi qu’Ezra Koenig de Vampire Weekend sur le nouvel album. «L’idée était de se donner de nouveaux défis: passer plus de temps sur l’écriture et la production, mais aussi faire intervenir davantage de collaborateurs parce que Pat et moi travaillions dans une bulle, d’une façon hyper insulaire auparavant, et on s’est dit que ça serait un défi de faire intervenir plein de gens dans notre processus artistique.»
C’est la faute à Kendrick Lamar!
Bien que Dave 1 se dise flatté que des médias comme le Huffington Post considèrent le tube Jealous (I Ain’t With It) comme «la chanson de l’été» – «c’est bizarre quand même quand un média décrète ça, car si ce n’est finalement pas le cas, on se sent un peu mal!», confie-t-il au passage –, il préfère insister à nouveau sur l’expérience qu’est l’album en soi plutôt que sur ses extraits radiodiffusables. «À ce jour, il y a quatre ou cinq singles de parus. Ça donne quand même une « idée » de l’album, mais le disque demeure une œuvre complète, alors ça sera cool d’entendre ce que les gens diront du « produit fini dans sa totalité », disons. On a conçu cet album comme un tout; comme une œuvre en trois parties, en fait. La première étant les morceaux déjà parus. Il y a donc deux autres tiers à écouter dans l’ordre et on a hâte d’avoir les réactions autour de ça.»
Est-ce là un pied de nez à l’industrie favorisant actuellement la vente à la pièce? «Pas vraiment. C’est sûr que la question du single [nous préoccupe], mais quand on a commencé à travailler sur l’album, il y avait celui de Kendrick Lamar qui venait de sortir et c’était un bel exemple « d’œuvre totale » et, du coup, c’est un album-concept. Il y a des rappeurs comme Drake et Kanye qui font également de beaux disques unifiés. On se base sur le travail de ces gens-là.»
À quand une collaboration entre Chromeo, Yeezy, K-Dot et Wheelchair Jimmy, alors?
White Women (Last Gang Records)
Disponible le 12 mai
En concert à Montréal le jeudi 1er mai au Corona et en août dans le cadre d’Osheaga.