The Hold Steady / Pouzza Fest : Cette tristesse américaine
The Hold Steady reste positif et chasse la tristesse américaine avec un sixième album, Teeth Dreams. Portrait des plus punks des apôtres du classic rock, en prévision de leur passage au Pouzza Fest.
Suffit de fureter quelques minutes sur le dense Wiki qu’alimentent des fans particulièrement dévoués pour saisir à quel point The Hold Steady inspire un type de ferveur rarissime dans les milieux indie rock. Deux inconnus qui se prennent dans leurs bras, sous l’emprise d’un refrain cathartique? Voilà une scène presque banale lors d’un concert des Brooklynois qui, depuis dix ans, chantent les veines et (surtout) les déveines d’une rocambolesque jeunesse américaine cherchant dans la drogue, l’alcool et l’amour des raisons de croire en demain.
The Hold Steady, c’est plus qu’un groupe, c’est une communauté, ce qui explique sans doute que, malgré ses riffs beaucoup plus héritiers du classic rock que du punk, plus Thin Lizzy que Sex Pistols, il ait été inclus dans la présente programmation du Pouzza Fest (il serait en fait sans doute plus juste de parler de méta-classic rock, tant le groupe joue chacun de ses morceaux comme s’il s’agissait d’un commentaire sur l’histoire du rock et ses stéréotypes). «Le punk, c’est le rejet de la tradition, c’est créer ses propres règles, note le chanteur et parolier Craig Finn. Quand nous avons fondé ce groupe qui fait, oui, du rock’n’roll assez direct, nous voulions recréer le sentiment d’inclusion que je sentais quand je fréquentais la scène hardcore. Je trouvais que ça manquait, ce sentiment d’inclusion, à l’extérieur des cercles punk et hardcore.»
Il faut dire que les textes fleuves de Craig Finn, un as de l’automythification et de l’intertextualité, appellent le genre de pieuse exégèse auxquels se livrent ses dévots sur Internet. Difficile de résister à la tentation de ne pas recouper nouvelles et anciennes chansons, au coeur desquelles finissent toujours par resurgir les mêmes personnages de petits criminels et de paumés de l’existence qui ne dépareilleraient pas dans le Nebraska de Springsteen (sauf que, contrairement aux personnages de Springsteen, les personnages de The Hold Steady semblent tous déjà avoir écoutés du Springsteen). «Je dis toujours que si les chansons portaient sur moi, je raconterais mes visites au supermarché ou au bureau de poste, blague le binoclard à la voix nasillarde. The Hold Steady, c’est un gros son et il faut que je jette les bases des histoires que je raconte très rapidement, que mes scènes soient cinématographiques. Les petits criminels dont je parle vivent des hauts et des bas assez dramatiques et ça fait des bonnes histoires. Et ce sont juste au fond des gens qui, comme tout le monde, essaient de s’en sortir.»
Plusieurs visages familiers refont surface sur Teeth Dreams, sixième album de la formation. Revoilà les Cityscape Skins, ce gang de durs cher au cœur de Finn, qui reprend du service dans I Hope This Whole Thing Didn’t Frighten You (confession d’un gars qui fait pour la première fois visiter sa ville natale, peuplée de fantômes et de vieux potes peu recommandables, à sa nouvelle blonde). N’a-t-on pas déjà croisé ailleurs cette nocturne apothicaire amateure qui fournit ses amis en pilules de toutes les couleurs et dont Big Cig trace le portrait?
Visages familiers, donc, mais plus que jamais burinés par le temps qui passe, par cette american sadness qu’évoque Finn dans On With the Business. «J’ai emprunté cette expression-là à l’écrivain David Foster Wallace. Pour lui, il s’agit d’une forme de tristesse typiquement américaine, un vide à l’intérieur que nous tentons de combler avec de la drogue ou de l’alcool ou en achetant des trucs, et qui demeure tout le temps là, peu importe ce qu’on fait.»
On With the Business http://www.youtube.com/watch?v=eIOgfFm27K8
À couteaux tirés?
The Hold Steady revient de loin, surtout Tad Kubler, guitariste et principal compositeur, qui échouait à l’hôpital en 2008, rongé par un sévère cas de pancréatite, victime collatérale de ces concerts abondement arrosés de double-whisky-Coke-sans-glace. N’est-ce pas ironique qu’un groupe aussi instruit de l’histoire du rock et de ses pièges se heurte aux mêmes écueils qu’une quantité ahurissante de ses figures les plus marquantes?
«Oui, c’est con. J’ai vu assez de documentaires de VH1 pour savoir où l’alcool mène, concède avec une franchise qui force l’admiration Kubler. Tu te réveilles un matin et tu te dis: « Je suis devenu un cliché. » Sauf que personne ne prévoit finir dans une salle d’urgence ou aller en cure de désintoxication. Au début, le groupe gagne de l’élan rapidement, alors il y a toujours une nouvelle réussite à célébrer, c’est le fun, mais ça s’envole rapidement. Ça devient dangereux quand tu as besoin de l’alcool pour sentir que tu fais partie de ce qui se passe, pour simplement donner le spectacle. Nous avons toujours entretenu notre image de groupe de party et ça peut devenir difficile de ne pas se laisser avaler par cette image. Je n’étais jamais monté sur scène sobre avant d’être malade.»
Enregistré à la va-vite avec un Kubler tout juste remis sur pieds, Heaven Is Whenever, le prédécesseur de Teeth Dreams, aura été esquinté par la critique et aurait laissé un groupe à couteaux tirés, s’il faut se fier aux portraits parus en marge de son dixième anniversaire, qui donnaient pour la plupart l’impression d’un froid entre ses deux têtes dirigeantes. «C’est fou, on discute assez peu Craig et moi, confie Kubler. Mais l’autre fois, il a dit au cours d’une entrevue quelque chose qui m’a soufflé, probablement la chose la plus honnête que je l’ai entendu dire. Il a dit qu’à force de voir autour de lui des gens dont la vie a été transformée par la dépendance, il se demande parfois si ce n’est pas lui qui a provoqué tout ça en chantant sur ces sujets-là. C’était la première fois qu’on parlait de ça et nous n’en avons pas vraiment reparlé ensuite. J’étais vraiment touché. Je ne te dirai pas que Craig ne me rend pas parfois fou, mais la vérité, c’est que je l’aime profondément et que j’ai un immense respect pour lui.»
Au fait, Craig, pour juguler cette tristesse américaine dont tu parles, le rock n’est-il pas toujours et encore le plus efficace remède? «Oui. Ça peut fonctionner, temporairement du moins. C’est une entreprise plus saine, le rock, que de s’acheter un paquet de trucs en tout cas.»
Le 16 mai aux Foufs à l’occasion du Pouzza Fest (pouzzafest.com).