L'Autre Saint-Jean : L'autre fleurdelisé
Musique

L’Autre Saint-Jean : L’autre fleurdelisé

Après une année en jachère – et une crise de charte au Québec –, L’Autre Saint-Jean dresse à nouveau son chapiteau au parc du Pélican. Retour choral sur le happening.

Bien que la ligne directrice de l’événement ait toujours mis de l’avant la musique plutôt que la politique, les trois intervenants interrogés soulignent tout de même l’importance implicite de cette dernière. «En trame de fond, c’est un gros show qui est quand même très « Québec »», spécifie l’organisateur Pierre Thibault qui, en collaboration avec Bonsound, relance le spectacle. «C’est dans mes convictions à moi qu’il faut se lever, qu’il faut crier haut et fort que nous sommes Québécois, et c’est important de se retrouver tous ensemble pour se fêter», ajoute-t-il pour ensuite y aller d’un bémol: «Je ne veux pas que ça transpose mes convictions indépendantistes, par contre. Je ne voudrais pas que ça indispose certains artistes. Je tire plus sur le bleu que sur le rouge, mais ce n’est pas moi qui suis sur scène, alors… On mise donc sur le fait que c’est un gros show; un gros party!»

François Croteau, maire de RosemontLa Petite-Patrie – arrondissement qui accueille autant L’Autre Saint-Jean que le fameux concert du 24 au parc Maisonneuve , abonde dans le même sens. «C’est une fête nationale, mais pas une fête de la souveraineté», tranche-t-il, glissant que «l’un n’est pas contre l’autre, par contre». Tout comme Thibault, il fait valoir que ce happening principalement francophone, mais auquel des artistes chantant en anglais participent aussi, «permet, peut-être, de représenter une génération de Québécois qui sont fiers de l’être sans se sentir menacés par les autres cultures».

L’interprète, musicienne et détentrice d’un baccalauréat en développement international, anthropologie et sciences politiques Frannie Holder, en rajoute: «C’est très rare qu’un groupe anglophone ait la chance de participer à la tribune nationaliste québécoise. D’habitude, c’est comme si on n’en faisait pas partie!», soupire-t-elle en faisant bien évidemment référence à Random Recipe, un des deux groupes anglophones qu’on verra à L’Autre Saint-Jean.

Retour en arrière

Légèrement endettée en 2011 par une troisième édition minée par la pluie  «Une chance qu’on avait Karkwa, Galaxie et Yann Perreau sur le même show!», commentera Pierre , L’Autre Saint-Jean a finalement sorti la tête de l’eau l’année suivante à l’aide d’un concert donné dans de meilleures conditions et d’un financement plus généreux du Mouvement Desjardins. L’impossibilité de trouver un télédiffuseur, un plus grand nombre de commanditaires ainsi qu’une réorientation de carrière  autrefois directeur de la maison de disques C4, Pierre s’est concentré sur la production d’événements en plus de se tourner vers la restauration avec la Taverne Saint-Sacrement  a fait en sorte que L’Autre Saint-Jean de l’été 2013 a été mise sur la glace. Décision qui a notamment fait bondir Yanick Masse, directeur de production chez l’étiquette, maison de gérance et de production d’événements Bonsound. Comme sa boîte faisait affaire avec Thibault dès la première édition de la fête (Malajube participait au concert inaugural de 2009), Masse a proposé une alliance.

D’où le retour en force de L’Autre Saint-Jean cet été.

Rock inclusif?

Bien que ce «gros show annuel» – dixit Pierre Thibault – se veuille une solution de rechange aux événements se déroulant au parc Maisonneuve et sur les Plaines, où sont présentés des concerts choraux hyper préparés et souvent considérés comme un brin nostalgiques, L’Autre Saint-Jean désire devenir un happening aussi porteur de sens que rassembleur et inclusif. «Ça m’énervait un peu que, par exemple, on se pétait les bretelles quand Arcade Fire faisait un gros show en Angleterre en se disant que ça vient d’ici, mais que le jour où on fête le Québec… rien!», s’exclame le coorganisateur en revenant sur le recrutement de Lake of Stew et Bloodshot Bill (ce dernier participe à l’édition courante, d’ailleurs). «C’est ce que je voulais « régler », lors de la première édition, mais je ne m’attendais pas à une telle réaction! Jamais!», ajoute-t-il en suscitant l’opposition farouche de la Société Saint-Jean-Baptiste à la présence de ces artistes à la fête. Rififi ponctué d’articles dans le National Post et d’une intervention de l’ex-député de Borduas, Pierre Curzi.

Pour François Croteau, L’Autre Saint-Jean aura également contribué à l’essor du Vieux-Rosemont qui, parallèlement, était revitalisé. «Au fil des ans et au fur et à mesure où la rue Masson se transformait, où le Vieux-Rosemont accueillait de plus en plus de jeunes familles et de jeunes professionnels, un amalgame s’est fait et L’Autre Saint-Jean est devenue pour eux non pas « L’Autre Saint-Jean des Montréalais », mais bien « L’Autre Saint-Jean du Vieux-Rosemont », d’une certaine manière. Pour les gens du quartier, c’est devenu la grosse fête du quartier! Ils en sont très fiers», note-t-il tout en avançant que certains restaurants et bars profitent de la manne avant et après la fête. «Il y a donc aussi des retombées économiques locales grâce à cette fête-là.»

«Qu’est-ce qui définit un artiste québécois?»

Pour Frannie Holder, ce rapprochement des «deux solitudes» est louable, certes, et remet à l’avant-plan bon nombre de questions. «Le débat est encore là. Qu’est-ce qui définit un artiste québécois?», muse-t-elle en pointant le financement des artistes québécois anglophones qui passe par le palier fédéral. «Tu sais, moi, ma compétition, à ce niveau-là c’est Drake et Justin Bieber! Ce ne sont pas vraiment des artistes du même bassin que Random Recipe!» Et la chanteuse et musicienne de conclure: «Comment faire rayonner cette culture québécoise à l’international et comment la financer, alors? C’est un peu étrange, tout ça. Il faudrait trouver une façon d’inclure des artistes reconnus comme The Besnard Lakes, par exemple, dans notre financement, sans mettre en péril notre héritage francophone.»

L’Autre Saint-Jean avec Lisa LeBlanc, Gros Mené, Random Recipe, Alex Nevsky, Bloodshit Bill & The Hick-Ups ainsi que MC Gilles. Le 23 juin dès 17h au parc du Pélican. Détails sur facebook.com/lautrestjean.