Festival d’été de Québec: une rencontre avec les grands oubliés
C’est Yvon Sanche et Bernard Pelchat qui prennent la pose sur cette photo. Ils sont de ceux qui ont fondé le Festival d’été de Québec en 1968 et qui ont (accessoirement) changé la face de la Vieille Capitale pour toujours.
8 mai 1968. Le commentateur Jean Royer annonce qu’il y aura « enfin un festival d’été à Québec » dans sa chronique publiée dans le journal L’Action. Le lendemain, Jean Garon reprend la nouvelle dans Le Soleil. C’est lui qui révèle l’identité des organisateurs : « M. Ricard, Mlles Constance Paré, Hélène Savoie, Diane Lavoie et Hélène Trépanier, de même que de MM Bernard Pelchat et Michel Viel. »
Ils sont dans la jeune vingtaine, ils se sont rencontrés au club de théâtre de l’École normale Laval (aujourd’hui: Cégep François-Xavier Garneau) et ils sont foutrement dans le jus au moment où M. Garon écrit ces quelques lignes. Installés dans le Studio 9 du feu-Théâtre L’Estoc de la rue Saint-Louis, les sept rêveurs travaillent jour et nuit pour parvenir à booker des artistes, engager des techniciens et développer des partenariat avec les salles de la ville. Leur budget total : 22 000$, si on se fie aux souvenirs de Yvon Sanche qui était attaché culturel pour le gouvernement de Daniel Johnson père à l’époque. Son rôle, c’était de superviser le groupe formé par Pelchat et les autres mais aussi de leur aider au niveau technique.
« De mémoire, la majorité des spectacles étaient gratuits. Les spectacles payants coûtaient 2 ou 3 dollars », se souvient M. Pelchat. Nul besoin d’écrire que les tarifs ont beaucoup changé depuis. Cette année, le laissez-passer du Festival d’été de Québec coûte 78$.
L’offre en termes de spectacles a, elle aussi, pas mal changée. À l’époque, le Festival d’été de Québec ne présentait pas que de la musique pop. Il y avait aussi du théâtre, de l’opéra, du jazz, du classique, des projections de cinéma et de la danse. Ces spectacles avaient lieu dans la cour du Petit Séminaire, au Studio 9, à l’Institut canadien, au Palais Montcalm, à la Maison Chevalier, à Place Royale, à l’Église Holy Trinity.
À l’avant-garde
« Si on avait fait breveter notre concept, on serait riches aujourd’hui! » Ça, c’est l’une des premières choses que Bernard Pelchat me dira, et dans un éclat de rire, au moment de notre rencontre à la Brûlerie Saint-Roch. Et force est d’admettre que ses regrets sont fondés puisque la première édition du Festival de Jazz de Montréal remonte à 1980. Les Francofolies de Montréal, quant à elles, datent de 1989. Ailleurs dans le monde, il y a Coachella (1999), Bonnaroo (2002), South by Southwest (1987), Glastonbury (1970), Les Vieilles Charrues (1992). Ça reste à prouver mais Québec aurait, selon toutes vraisemblances, vu naître le premier festival estival artistique au monde.
« Il n’y avait rien qui ressemblait à ça, à part peut-être Avignon, mais on ne connaissait même pas ça dans le temps! » Sa source d’inspiration, aura plutôt été Expo 67. « On n’avait jamais vu du théâtre, de la danse et de l’opéra comme ça. On voulait voir ces grandes troupes-là à Québec aussi! »
Et c’est sans parler des femmes qui étaient majoritaires dans les plus hautes sphères de l’organisation de l’événement. Un fait tout sauf banal considérant qu’une première femme députée (Marie-Claire Kirkland) avait été élue au Parlement de Québec sept ans plus tôt.
Que sont-ils devenus?
Respectivement âgés de 69 et 79 ans au moment d’écrire ces lignes, Bernard Pelchat et Yvon Sanche ne sont restés qu’un an au Festival d’été de Québec. Malgré cela, M. Pelchat avoue avoir une petite crotte sur son cœur quand il pense au peu de reconnaissance qui est allouée à lui et ses collègues de l’époque. « Ça m’agace majestueusement qu’on ne soit pas nommés dans la section Historique du site web du Festival d’été. C’est écrit « sept jeunes artistes ». Il me semble que c’est pas mal abstrait. »
Après le Festival, les carrières de ces messieurs reprendront leur cours. Pelchat – qui était âgé de 23 ans au moment de fonder l’événement – retournera sur les bancs d’école sans perdre de temps. Il fera trois ans au Conservatoire d’art dramatique de Québec avant d’être engagé par Le Trident puis par le Grand Théâtre. Il y restera jusqu’à sa retraite en 2001.
M. Sanche, quant à lui, deviendra directeur de production au Grand Théâtre après avoir assisté l’architecte Victor Prus à titre de consultant à la scénographie. Auparavant, il avait aussi été artiste peintre de décors à Radio-Canada et au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal. Un métier qui n’existe plus.
Si vous croisez ces deux grands messieurs dans la rue, pensez à aller leur serrer la pince. C’est grâce à eux si la ville de Québec prend des airs de métropole à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 13 juillet. Ils sont, pour la Vieille Capitale, des gardiens de la mémoire collective au rayon culturel.
Merci Catherine j’adore ton article!