Leonard Cohen : Le retour du Canadien errant
Musique

Leonard Cohen : Le retour du Canadien errant

Leonard Cohen aborde tracas du quotidien et catastrophes mondiales sur Popular Problems, sa plus récente création. 

L’ambiance est électrique dans le jardin de la résidence officielle du consulat canadien à Los Angeles, à quelques minutes d’une séance d’écoute de Popular Problems, nouvel album de Leonard Cohen. Soixante-dix personnes – proches du crooner, représentants de son étiquette de disque, politiciens, quelques médias américains… et un journaliste de Voir, complètement éberlué – y échangent histoires et légendes.

Rosalind H. Wolfe, du consulat, précise que, bien que la demeure est souvent utilisée pour célébrer des artistes canadiens en marge d’événements comme les Oscars ou les Grammys, la tenue de ce happening s’apparente presque à la visite d’un vieil ami. «Leonard est un habitué», confie-t-elle. «Il lui arrivait de venir ici pour discuter passeports et visas avant des tournées. Puis il revenait que pour nous voir et prendre le café!» Plus tard, un haut gradé de Sony se rappelle qu’avant une séance semblable pour Old Ideas (2012), Tom Morello de Rage Against the Machine s’était pointé sans invitation, dans l’espoir d’écouter l’œuvre, voire de rencontrer l’homme derrière (rassurez-vous, on lui a trouvé une place). Alain Houde, un représentant de la délégation du gouvernement du Québec à Los Angeles, de son côté, a été étonné par la vigueur du plus célèbre des Montréalais. «Je l’ai vu en concert l’année dernière. Après 45 minutes sur scène, il s’est retiré de la scène. Je me disais que c’était normal, que c’est un monsieur âgé et que, de toute façon, il avait déjà donné un très bon spectacle. Mais ce n’était qu’un court entracte! Il a finalement donné plus de deux heures de prestation. Je n’en revenais pas!»

Alors qu’on nous dirige vers une salle de réception aménagée pour l’événement, une interrogation demeure: y sera-t-il? Est-ce que Leonard Cohen sera bel et bien à la séance? Oui et non.

Introduit par le consul général James Villeneuve et Bob Santelli, directeur du Grammy Museum, Leonard Cohen – tiré à quatre épingles, bien évidemment – s’est avancé sur la scène en lançant un «merci pour votre accueil chaleureux!» bien senti – et en français! – devant un public majoritairement anglophone et totalement ébahi. Le poète des poètes allait ensuite se retirer le temps de l’écoute puis revenir pour discuter de l’œuvre en compagnie de Santelli en plus de répondre à quelques questions de l’assistance.

Des chansons en chantier depuis des décennies

Nouvelle collaboration entre Cohen et Patrick Leonard (musicien et réalisateur qui a notamment épaulé Madonna et Elton John), Popular Problems tenait davantage de la carte blanche que de la commande pour ce dernier, à en croire la légende vivante. «Je lui ai dit de s’amuser avec les compositions», indique M. Cohen. «Mais, de mon côté, j’avais également des idées de rythmes pour mes textes… en plus d’avoir le droit de veto!», ajoute-t-il, sourire en coin. «Le processus ressemblait donc à ceci: Patrick me proposait des maquettes… et je refusais la plupart d’entre elles.» La salle éclate de rire. «Heureusement, Patrick et moi avons rangé nos ego pour l’occasion, alors ça s’est quand même bien passé!»

Œuvre produite chez Patrick ainsi qu’à la résidence californienne de M. Cohen – «On a transformé un vieux garage dans ma cour en studio», glisse-t-il –, Popular Problems s’est enregistré rapidement (même que le duo en aurait profité pour capter la moitié d’un autre album à venir bientôt!), mais est tout de même lié à certains textes que le poète traîne depuis des décennies. «Je révisais A Street, par exemple, depuis le 11-Septembre. Born in Chains, elle, était en chantier depuis 30 à 40 ans et a été notamment réécrite lorsque j’ai changé de position théologique», explique le chanteur juif devenu bouddhiste en 1994. «C’est la seule chanson du lot qui n’est pas à la hauteur de mes espérances», poursuit-il. «Plutôt que d’avoir enfoncé un clou, je crois que je l’ai plutôt accrochée avec une punaise!»

Confidences en privé

À l’image du titre de l’œuvre, Leonard Cohen ratisse large avec ses Popular Problems: des chansons d’amour (comme la quasi folk Did I Ever Love You) côtoient des pièces sur la vieillesse (l’amalgame blues et jazz Slow en est un bel exemple) ainsi que des polaroids de l’état actuel du monde (le premier single Almost Like the Blues vient en tête). «Les Popular Problems sont des problèmes qui concernent tout le monde – sinon, ils ne seraient pas populaires, bien sûr», lancera plus tard M. Cohen lors d’un bref entretien privé avec Voir. «La mort, la maladie, Dieu, la foi, la guerre, la paix, etc., tout comme les tracas du quotidien, ne se volatiliseront jamais. Puis, comme il n’y a aucun moyen de les résoudre, ils sont problématiques. Ce sont nos Popular Problems

Bien que plusieurs médias et sa compagnie de disque associent la parution de l’œuvre à son 80e anniversaire, M. Cohen allègue que l’enchaînement des deux événements relève de la coïncidence. «Ça n’a pas été fait exprès, en passant!», tranche-t-il. «De toute façon, dans ma famille, on ne prend pas les anniversaires très au sérieux. La sortie de cet album est plus une célébration que ma fête, en ce qui me concerne!» Bien qu’il dit être lent de nature et non d’âge sur Slow, la légende vivante confirme que les années qui passent le laissent de plus en plus songeur. Lorsqu’on lui demande si cette étape l’amène à tirer un bilan, le poète s’esclaffe. «Quand même et bien malgré moi!» Puis, une pause, et M. Cohen soupire. «Quatre-vingts ans… c’est un nombre qu’on ne peut négliger. C’est un tas d’années! Non, c’est une montagne, en fait. C’est ce qui fait qu’on ne peut l’ignorer!»

D’où, peut-être, sa volonté de terminer son autre album en chantier avant de reprendre la route. «Comme j’ai déjà la moitié d’un nouvel album de fait, je préfère le terminer puis voir ensuite. Je n’ai pas encore de plans précis ensuite, mais, chose certaine, j’aime toujours la route.» Lorsqu’on glisse que ses récents concerts-fleuves – exploits que bon nombre de ses congénères dans la vingtaine n’oseraient tenter – en témoignent, l’artiste lance: «Une bande de mauviettes, cette nouvelle génération!»

Je reviendrai à Montréal 

Il y a une scène dans le documentaire The Songs of Leonard Cohen (1980) dans laquelle le chanteur fait jouer un démo de sa reprise d’Un Canadien errant d’Antoine Gérin-Lajoie. Quand le réalisateur Harry Rasky lui demande s’il se sent comme le héros exilé de l’œuvre, Cohen répond: «Un peu!» Trente-quatre ans plus tard, le plus célèbre résident de la rue Vallières à Montréal se dit plus à l’aise avec ses origines. «Vous savez, le Canada a été très bon pour moi et je ne peux mesurer Montréal avec la même mesure, car c’est la maison. Je ne m’y sens pas adoré ou ignoré lorsque j’y suis. Je me sens juste… confortable. Je m’y sens… comme un citoyen. Lorsque j’y pense, je n’ai pas ce genre de délibérations [si je suis toujours apprécié ou non]. J’ai seulement hâte d’y retourner.» Notant qu’il est toujours propriétaire de sa maison – «mon fils l’utilise beaucoup d’ailleurs!» glissera-t-il –, Leonard Cohen conclut: «Je suis très heureux de conserver un lien aussi solide avec la ville, car ça me nourrit. C’est d’où je viens.»

Popular Problems sera en magasins dès le 23 septembre sur Sony. Le voyage de presse a été payé en partie par l’étiquette de disques.