Betty Bonifassi : Au coton
Beats modernes et histoires du passé se confondent sur le premier disque homonyme de Betty Bonifassi.
Figure emblématique du cool sur scène, Betty Bonifassi (qu’on a autant vue avec Champion, Beast ainsi que Benoît Charest et ses Triplettes de Belleville) se dit pourtant nerveuse à l’approche de la parution d’un album couchant finalement son concert Chants d’esclaves, chants d’espoir sur un support. «C’est un disque qui me tient à cœur. C’est aussi la première œuvre à mon nom depuis que je fais de la musique», rappelle-t-elle, à l’autre bout du fil. «Je suis ravie d’avoir fait quelque chose de très organique à partir d’un truc très intellectuel et d’un gros travail d’analyse tripant, mais je demeure nerveuse. Est-ce une peur d’être mal reçue? Je ne sais pas!»
Du même souffle, l’artiste volubile spécifie que l’œuvre porte son nom, non pas par ego, mais bien par investissement. «L’idée n’était pas que d’avoir mon nom sur la pochette, mais aussi que tout ce qui est à l’intérieur me ressemble. C’était important pour moi de sortir un album où je pouvais me permettre de dire qu’il était à moi. C’est peut-être puéril pour certains ou trop idéaliste pour d’autres, mais c’était important pour moi!» Il faut dire que, mine de rien, Betty Bonifassi, l’album, se trame depuis l’adolescence de l’interprète.
De la BD au CD
Marquée par la bande dessinée Les passagers du vent – «j’y pense et j’ai toujours la chair de poule!», s’exclame-t-elle au passage –, Bonifassi s’est, à l’image de l’héroïne de la fresque historique (une noble nommée Isabeau qui s’est fait voler son identité et qui se retrouve, bien malgré elle, à bord d’un négrier), découvert une passion pour la culture noire. «Son histoire était semblable à la mienne. Je partageais son incompréhension de la folie des hommes en ce qui concerne les Noirs et les femmes dans cette série. Tout comme Isabeau, j’étais également inspirée par la beauté, le courage et l’amitié unissant la culture africaine représentée dans Les passagers du vent. C’était super inspirant!» D’où, également, l’intérêt de la soul pour l’interprète à la voix puissante.
Des années plus tard, Betty Bonifassi s’initiait au travail de John Lomax et son fils Alan, des musicologues qui ont enregistré bon nombre de classiques du folklore américain transmis jusqu’alors que par tradition orale. Parmi ceux-ci, on retrouve plusieurs work songs d’esclaves qui allaient servir de matériel source pour le fameux spectacle de la chanteuse, puis son album à paraître sous peu. «Du côté des textes, c’était tout un défi!» se rappelle-t-elle. «Il me fallait tout d’abord trouver une trame narrative dans ces enregistrements qui étaient, essentiellement, des refrains répétés, voire des mantras. Il nous fallait y trouver des couplets, des ponts; les mettre en forme, en chansons.»
Côté rythmiques, Bonifassi a collaboré aux chansons avec le bassiste Jean-François Lemieux pendant plus d’une année avant de recruter Alex McMahon (Plaster, entre autres) pour peaufiner le tout. «L’album n’a pas encore influencé le spectacle», note-t-elle, avant de trancher, pas peu fière que «ça ne saurait tarder!»
D’actualité bien malgré elle
Bien que l’esclavagisme soit autant dans la culture (de 12 Years A Slave, à Django Unchained en passant par l’album Black Box de Nicolas Repac) que dans l’actualité (l’année dernière, des travailleurs immigrants rencontrés par l’organisme montréalais Solidarité sans frontières dénonçaient les conditions de travail aux entrepôts Dollarama, les apparentant à de l’esclavagisme), Betty Bonifassi réfute l’idée qu’elle livre ici un brûlot engagé. «Pas du tout!», lance-t-elle, avant d’ajouter, rieuse, «que le projet soit d’actualité, par contre, je ne peux rien y faire! C’est le politique qui rend l’association facile. Pas moi!»
Bien que le projet peut quand même laisser certains mélomanes songeurs, l’artiste – et ex-linguiste! – assure que son œuvre se veut intime avant tout en plus de rendre hommage à une culture de résistance. «L’esclavage a toujours existé et n’a jamais été rompu. C’est juste qu’il est moins transparent depuis le 13e amendement. C’est aussi un sujet qui me touche beaucoup, car ma mère vient des Balkans du Sud, d’une région dont le peuple a été esclave de tous les empires européens pendant des siècles! Mon objectif, ici, était de démontrer toute la force, la beauté et l’intelligence de ces esclaves-là qui, par leurs chansons, exploraient le slang – un langage vivant, changeant chaque jour – afin de communiquer entre eux devant leurs oppresseurs.»
Betty Bonifassi (L-A be) Lancement montréalais: 22 septembre au Cabaret du Mile-End. Album disponible le 23 septembre et actuellement en écoute sur voir.ca.