Richard Reed Parry : Corps accords
Musique

Richard Reed Parry : Corps accords

Richard Reed Parry d’Arcade Fire revient sur les dix ans de l’oeuvre culte Funeral, mais surtout sur son premier disque ainsi que son concert à venir à POP Montréal.

Difficile de croire qu’après à peine quelques semaines de repos suivant une tournée triomphale en compagnie de son groupe, Richard Reed Parry ait déjà l’envie de reprendre la route. Et pourtant! «D’un côté, je suis excité de faire des shows», lance-t-il (en français, si vous tenez à le savoir). «Mais de l’autre, je dois demeurer calme et tranquille pour ces showslà. C’est des concerts plus méthodiques et, bien sûr, plus intimes aussi! C’est vraiment une autre longueur d’onde!»

Il faut dire que le violon d’Ingres de Parry et l’album accompagnant — Music For Heart and Breath — est non seulement sur une autre longueur d’onde, mais bat aussi au son d’un rythme inusité: celui du cœur.

À mi-chemin entre John Cage et la biologie

Bien que paru au début de l’été, Music For Heart and Breath est une œuvre en gestation depuis environ une décennie chez le compositeur et multi-instrumentiste. Époque où Arcade Fire n’était toujours pas talonné par Pitchfork; époque où Richard Reed Parry était toujours un étudiant à l’Université Concordia. «J’étudiais en électroacoustique et…» une courte pause, puis l’artiste éclate d’un rire gêné. «J’avais de la misère avec cette musique! Je trouvais que ça manquait… de chaleur, quoi!»

À force de se consacrer à un genre qu’il trouvait alors «plutôt cérébral et un peu froid», Parry s’est mis à l’envisager comme John Cage se penchait sur ses concepts. «Je songeais à des façons d’utiliser les concepts et techniques électroacoustiques — favoriser des compositions ouvertes, nouvelles, explorant différentes tonalités, structures harmoniques et mélodiques, etc. — au sein d’une nouvelle approche afin de leur donner une qualité à laquelle je serais sensible.»

Le fameux déclic est venu plus tard, en pleine salle de cours. Richard raconte: «Je me suis demandé ce qui arriverait si un musicien suivait les différents rythmes de son corps comme la respiration ou les battements du cœur. Qu’est-ce qui arriverait si on composait puis jouait sur des rythmes irréguliers qu’on peut contrôler, mais à peine? À cet instant, j’ai eu une vision pour une musique de chambre très intime, mais surtout avec une grande “sensibilité humaine”. J’entendais déjà cette musique “fragile” qui m’était nouvelle — par son approche — mais aussi familière; une musique qui forcerait les musiciens la jouant à être incroyablement attentifs — pour suivre leurs propres rythmes, ceux des autres, etc. — sans que j’aie à leur répéter moi-même! Une nouvelle façon de trouver toute la beauté et les qualités de la musique de chambre sans avoir à l’exiger!»

Une nouvelle génération pour le classique

L’association à Arcade Fire aidant, Music For Heart and Breath a autant été abordé par les médias généralistes que spécialisés. Parmi ces derniers, on retrouve le site Classicalite qui a célébré l’œuvre tout en la qualifiant de disque indie se la jouant classique («indie goes classical»). Une étiquette qui ne froisse pas le principal intéressé, mais qui ne lui convient pas tout à fait non plus. «En fait, la “mode” de la “pop classique” est présente depuis bien des années», rappelle-t-il en faisant notamment référence à des compilations où des succès de l’heure étaient repris par des orchestres. «Dans les années 1970, c’était était considéré comme kitsch tellement c’était niché!»

Ainsi, Parry croit que cette «démocratisation» du classique est due à l’éducation musicale plus éclatée de ses contemporains. «On a maintenant affaire à de nouvelles générations de musiciens qui — avec les avancées technologiques, etc. — ont grandi en ayant accès à un spectrum infiniment plus large de musique. Leurs influences vont donc de Debussy aux Rolling Stones, de Philip Glass à Lou Reed, etc., tout dépendant des goûts de leurs parents, de leur entourage, mais aussi de leurs propres découvertes sur l’Internet, etc. Ce n’est donc plus niché. Ça relève, aujourd’hui, du paradigme contemporain.»

Écouter son corps et ceux des autres

En concert ce samedi dans le cadre de POP Montréal, le compositeur et multi-instrumentiste promet une expérience particulière… autant pour sa troupe que pour les spectateurs présents. «Ça sera intéressant parce qu’un show fait souvent en sorte que les musiciens sont plus “rapides” sur scène. Tu sais, nous sommes excités, le cœur bat plus vite, etc.»

Ainsi, afin de rendre justice à Music For Heart and Breath, le collectif doit s’efforcer de demeurer… calme. «Ou de s’efforcer de se replacer au bon rythme au cours du concert!», ajoute-t-il pour ensuite glisser que: «C’est différent à chaque fois! En répétition, une composition durera 20 minutes. Puis, une fois en concert, la même pièce se jouera en 15! Ce n’est pas un big deal pour les amateurs de jazz, voire de pop ou de rock, mais pour les fans de classique et de musique de chambre, par contre; ce 20% de changement, disons, c’est quelque chose!»

Du côté des mélomanes, Parry s’attend à une attention particulière, voire inusitée. «Sachant que les musiciens jouent aux rythmes de leur corps, je crois que le public est plus attentif. Autant à ce qui se passe sur scène, mais aussi en eux.»

Puis, le retour sur Funeral

Esprit du moment aidant, on a évidemment demandé à Parry de revenir sur la fameuse œuvre d’Arcade Fire qui aura autant consacré le projet que cimenté la place de Montréal comme Mecque culturelle dans l’imaginaire de plusieurs. Richard commente:

«Qui l’aurait cru, hein? Qui se doutait que nos vies auraient changé à ce point 10 ans plus tard! De mon côté, je suis reconnaissant que, 10 ans plus tard, nous sommes toujours “vivants”, mais aussi intéressés et authentiques dans ce que nous faisons malgré ce gros succès commercial.» En plus de préciser que les proches des musiciens font aussi en sorte que ceux-ci ne s’enflent pas (trop) la tête, Parry se réjouira également des avenues qu’il peut explorer maintenant qu’Arcade Fire est archi-connu.

«Je suis aussi content que ça m’ouvre de nouvelles portes. Tu vois, ce succès immense et rapide a fait en sorte que ma vie et mes aspirations musicales ont longtemps été débalancées. Jouer des tonnes de concerts rock, c’est plaisant, mais ça n’a jamais été mon unique but. J’ai toujours voulu continuer d’écrire et d’interpréter de la musique de chambre délicate ou encore expérimentale et ce groupe est devenu une super carte de visite qui me permet de tâter davantage ce terrain!», conclut-il tout en saluant l’intérêt constant du public pour Arcade Fire, mais aussi les projets en découlant. «Nous sommes très choyés qu’autant de gens accordent toujours d’attention à notre musique! Dieu sait que ce n’est pas toujours le cas (pour d’autres)!»

Le samedi 20 septembre à 21h l’église Church of St. John the Evangelist en compagnie d’Esmerine et Warhol Dervish. Détails sur popmontreal.com