The Barr Brothers : Sommeil réparateur
Trois années après la parution d’un album homonyme qui aura consacré le groupe autant localement qu’à l’international, The Barr Brothers récidive avec Sleeping Operator, une suite plus ambitieuse, mais surtout plus démocratique.
C’est une de ces journées où l’été avait des airs d’automne (ou est-ce le contraire?) sur la terrasse bucolique du café et buanderie Blanc de Blanc. Le chanteur et parolier Brad Barr arbore une veste à capuchon de The Slip, l’autre projet désormais en hibernation qu’il mène avec son frère, le batteur Andrew qui, lui, porte un manteau de chasse. «C’est dommage, on espérait du temps de baignade à notre retour au pays, mais finalement, non!» laisse tomber le premier en faisant référence aux récents arrêts de la confrérie en Europe et aux États-Unis. Bref, une température idéale pour aborder Sleeping Operator, deuxième jalon très attendu du fameux quatuor folk montréalais.
Vers une œuvre plus «engagée»…
Dès le début de l’entrevue, la cassette déraille. Si le communiqué de presse annonçant la parution de Sleeping Operator mettait en relief le fait qu’une quarantaine de chansons avaient été considérées avant que 13 soient retenues, le natif du Rhode Island balaie d’emblée le petit exploit. «Ces 40 chansons ont été écrites sur une période de trois ou quatre ans – depuis la parution de notre premier album, en fait», spécifie-t-il tout en réalisant que l’album homonyme précédent dépendait, lui aussi, de compositions étalées sur une période de temps semblable. Des paroles écrites sur la route et dans des chambres d’hôtel en tournée, mais également lors de périples solos du chanteur et guitariste. «Ce n’est donc pas si impressionnant que ça, en fait. Ça me fait une moyenne de 10 chansons par année. C’est un ratio que je tente de faire augmenter, d’ailleurs!»
Si Brad considère que les pièces retenues ont bien malgré eux toutes une certaine «pureté» musicale en commun – «celles-ci sont à peine retouchées, alors qu’on a passé près d’une bonne année à remanier les 40 chansons!» glisse-t-il –, son cadet, lui, y distingue un thème récurrent sur Sleeping Operator.
Andrew: Peut-être que vu que Brad est l’auteur de ces chansons, il trouve la création puis la sélection finale comme un processus un peu disparate, mais, pour moi, je crois que les 13 pièces retenues sont quand même liées les unes aux autres. Si «l’esprit» de notre album précédent en était un de «quête», je crois qu’ici, il est davantage question d’un album «engagé», voire d’«établissement» dans le sens qu’il est davantage question d’obligations, comme s’installer ici, etc.
Voir: Es-tu d’accord avec cette interprétation, Brad?
Brad: Je ne l’aurais pas interprété de cette façon, mais je n’ai pas cette perspective non plus. Je vois quand même d’où ça vient… et c’est une interprétation avec laquelle je suis quand même d’accord!
… et plus collaborative aussi
Si la liste d’invités sur Sleeping Operator fait baver (Patrick Watson, Little Scream, Richard Reed Parry, etc.), celle-ci témoigne surtout de l’impact que le collectif, complété par la harpiste Sarah Pagé et le multi-instrumentiste Andrés Vial, a eu au fil des années sur la scène locale en multipliant les contributions à d’autres projets. En résulte donc une œuvre plus collaborative, mais surtout plus démocratique. «Tout le monde s’y est investi et y a lancé de ses idées. C’était important», précise Brad avant de noter qu’il se laissait également une marge de manœuvre dans ses compositions afin d’inclure les idées de ses collègues. «Il y avait donc une porte entrouverte à l’interprétation de chaque chanson. Ils pouvaient l’interpréter comme bon leur semblait. Bref, je ne voulais imposer ma vision qu’au besoin ou lorsque c’était demandé!» D’où une abondance de répétitions pour apprivoiser les pièces.
Brad: Ça relevait donc beaucoup du jamming. Pendant les quatre mois précédant l’entrée en studio, on répétait trois à quatre fois par jour.
Andrew: Par semaine!
Brad: J’ai dit par jour?
Voir: Ça relèverait du domaine olympique, à ce stade.
Andrew: Avec trois ou quatre répétitions de 10 minutes par jour? Pas vraiment!
Fou rire général, puis le cadet reprend son sérieux. «On y allait beaucoup par instinct pour explorer ces pièces. Ça fonctionnait la plupart du temps, mais, lorsque ça n’allait pas, c’était un peu comme dire à un collègue: « Ton instinct n’est pas… exactement… tu sais… bon ». Ça pouvait donc être difficile par moments, mais bon, ça arrive dans n’importe quel champ de travail!»
Et les Beatles pour terminer
En fin d’entrevue, les frères reviendront sur les fameuses 27 pièces finalement écartées de l’œuvre et sur les réactions autour de Sleeping Operator depuis la mise en ligne de séances d’écoute sur les sites de la CBC et de Voir. «Je suis très satisfait de cet album, mais je ne suis pas prêt à dire que c’est « notre meilleur »», tranche Brad. «Ce qu’on a laissé en studio n’était pas des rebuts. Des 40 chansons qu’on avait au départ, bon nombre d’entre elles étaient parmi les meilleures que j’ai écrites à ce jour. Plusieurs autres auraient pu se retrouver sur ce disque. J’espère donc que cet album sera davantage considéré comme une étape dans notre évolution plutôt que comme notre « magnum opus ».»
Andrew: On voulait faire notre équivalent de III de Led Zeppelin et on sort plutôt Wish You Were Here.
Voir: De très bons disques, quand même! Bref, vous voulez dire que vous ne tenez pas encore votre White Album. C’est bien ça?
Brad: C’est ça, mais c’est quand même notre Revolver!
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Sleeping Operator (Secret City Records); Disponible dès le 7 octobre;
Album en écoute sur Voir.ca jusqu’à cette date.