Alexandre Belliard et «Légendes d’un peuple : le collectif» : Ma petite entreprise

En 2012, l’auteur-compositeur-interprète Alexandre Belliard surprenait en livrant de façon indépendante Légendes d’un peuple, une œuvre hybride combinant astucieusement récits de figures historiques francophones et musique folk. Un cours d’histoire en chansons? Pourquoi pas!

Quelques mois plus tard, il enchaînait déjà avec un second tome. Puis, l’année suivante, avec un troisième chapitre. Vient maintenant un disque où Patrice Michaud, Mara Tremblay et plusieurs autres reprennent le matériel de Belliard. Concrétisation d’un projet? Oui et non selon le principal intéressé. 

«En fait, c’était l’idée de départ», lance-t-il en entrevue. «Légendes d’un peuple n’était pas supposé être “moi”, mais bien un spectacle et un album. Je voyais ça comme une fresque historique qui serait également présentée sur scène avec visuel vidéo et photos d’archives. Je voulais mélanger le narratif le visuel et la musique.» Du même souffle, l’instigateur confiera que l’idée de lier différents artistes aux figures historiques se veut autant rassembleuse que populaire. «T’sais, ça interpelle davantage les gens si Vincent Vallières chante Denis Vanier à ma place!»

Encore là, Belliard surprend. 

De l’absence du «moi» dans «collectif»

Alors que plusieurs de ses congénères mèneraient un tel projet avec un égo démesuré, voire une main de fer, Alexandre Belliard, lui, tient presque à s’effacer.  «Le fait de le faire en groupe permet au projet de “vivre” en dehors de moi; d’avoir sa propre identité», poursuit-il avant de souligner que «C’est ce que je voulais. Moi, tout ce que je voulais, c’était écrire un corpus de musique et l’amener aux gens; pas d’en être le véhicule.» En fait, ce sont les contraintes financières qui ont amené Belliard à tout d’abord lancer le bal en formule solo. «Ce n’était pas réaliste de commencer avec ça. Je me suis donc dit que je commencerais, histoire de montrer que ça se peut. Je me disais que peut-être que le monde allait embarquer ensuite puis on verra.»

En fait, si ce n’était pas de la bénédiction d’Yvon Deschamps, Alexandre ne se retrouverait même pas sur ce disque.

Une fois, c’t’un gars qui en chante un autre…

«Je n’avais pas besoin d’être là. Ça m’était suffisant», tranche-t-il avant d’ajouter qu’«en fait, si je n’avais pas eu cette nouvelle pièce –  quelque chose que je trouvais pertinent et que je voulais présenter — je n’y serais pas. C’est sûr que ça m’aurait déçu. Je voulais quand même voir mon nom parmi tous ces artistes, mais je ne l’aurais pas mis là pour rien.» Des personnages historiques «endisqués» à ce jour, Belliard allait interpréter le premier qui était toujours vivant : Yvon Deschamps.

«Je n’aurais jamais lancé une chanson d’un personnage vivant sans son accord», raconte-t-il. «Comme je me disais qu’Yvon n’était sûrement pas très courriels, j’ai contacté Judi Richards. Je leur ai envoyé des albums pour expliquer le projet en plus de leur envoyer une version guitare et voix de la chanson sur Yvon. Après trois, quatre jours sans nouvelles, je commençais à angoisser. Je ne voulais pas  lire un message me disant qu’il ne trouvait pas ça bon!», révèle Belliard dans un rire gêné.

Vint ensuite le punch…

«Finalement, Judi m’a répondu “Alors, tu nous l’envoies la toune?” J’avais oublié d’attacher la pièce au premier courriel! J’angoissais pour rien!»

Quelques heures plus tard, le couple répondait qu’il donnait sa bénédiction au chanteur. «Sinon, j’aurais peut-être fait un duo ou en trio, mais je n’aurais pas repris une de mes chansons juste parce que. J’ai quand même cherché ma place longtemps. Je suis d’ailleurs le dernier artiste à avoir enregistré.»

Œuvre engagée bien malgré elle…

Dès l’ouverture— Je sais que tu sais, un duo réunissant Joséphine Bacon et Chloé Sainte-Marie qui aborde la Loi sur les Indiens de 1876 — , on ne peut s’empêcher de replacer le LP dans un contexte plus moderne alors que la situation précaire des Premières Nations est on ne peut plus criante et d’actualité. Quand on lui demande si Légendes d’un peuple ne serait pas, bien malgré elle, une salve politisée, Belliard sourit. «En fait, ce que j’aime de ce projet-là, c’est que je n’ai pas à donner mon opinion. T’sais, je passe ma vie à la donner! Le rappel historique lui-même ramène à l’injustice ou à la beauté de quelque chose, selon le sujet. Pour reprendre le cas de cette chanson, oui il y a une prise de position, mais c’est aussi la vérité. Il y a eu ça. C’est arrivé! cette ghettoïsation a bel et bien eu lieu. Ce que j’aime, c’est que ça se défend tout seul.»

Plus tard, l’auteur-compositeur-interprète — qui étonne en rappelant qu’il a davantage joué au Canada, voire en Haïti, avec ce projet — en rajoute en mentionnant que, doublée à quelques kilomètres, l’histoire peut autant être rassembleuse qu’outrageuse. «T’sais, Riel, ce n’est pas moi qui l’ai pendu. Est-ce qu’en parler est prendre position? Peut-on juste en parler? J’ai passé trois mois au Manitoba l’année dernière. Quand je chantais Riel à Saint-Boniface, il était perçu comme un héros. Mais à 800 kilomètres au Nord, à Thompson, là où les corbeaux sont sûrement sur les stéroïdes tellement ils sont gros et où les gens rentrent leurs chiens la nuit pour pas que les loups les mangent, on me parlait de lui comme du traitre de la Couronne. Bref, chanter Riel là pouvait être choquant pour certains. Je trouvais ça intéressant : juste rappeler un fait historique pouvait faire de moi quelqu’un de subversif!»

Un spectacle puis un potentiel changement de carrière

Comme Légendes d’un peuple : Le collectif parait sur l’étiquette maison de Spectra — boîte à qui l’on doit, notamment, les Francofolies et 12 Hommes rapaillés -, Belliard certifie que la prochaine étape est bel et bien la production d’un spectacle. Bien que les détails sont, en ce moment, nébuleux — ou secrets, c’est selon —, Belliard ne cache pas que l’impact de ce disque sera décisif dans sa carrière. «La réception de cet album déterminera la suite, mais j’vais quand même finir les tomes quatre et cinq — parce qu’ils sont déjà écrits — et les sortir par moi-même ben relaxe. Pour la première fois de ma vie, je suis déjà en paix avec un de mes projets. Je n’angoisse pas avec la suite. Ça fait du bien.  Bref, si ça ne marche pas, je ne m’acharnerai pas non plus.»

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Légendes d’un peuple : le collectif est disponible sur disque sous étiquette Spectra depuis aujourd’hui. À noter qu’une bande dessinée, signée par Gilles Laporte et l’illustrateur Vincent Partel, accompagne le projet. Elle est publiée chez Septentrion.