2014: la langue rapaillée : Dead Obies pour les nuls
Le collectif post-rap Dead Obies clôt une année tumultueuse avec la parution de Montréal $ud, un livre accompagnant le fameux album du même nom.
Sans être encore aussi historique que l’incipit de L’étranger de Camus (Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas), celui de Montréal $ud donne autant le ton: une citation de Socrate (Une vie sans examen ne vaut pas la peine d’être) juxtaposée à un extrait bouillant de la pièce Dead Zeppelin. L’érudition rencontre le vernaculaire; la référence populaire côtoie la culture hip-hop.
Une nuit à l’opéra
«Je me demandais comment ça serait reçu», révèle Yes Mccan, qui cosigne l’œuvre avec ses frères d’armes en plus d’avoir coordonné l’annotation des chansons décortiquées dans cet ouvrage. «Est-ce que ça allait être reçu comme 1, prétentieux, ou 2, pas assez… académique? En même temps, on voulait que ça soit un peu jokey, pas trop… « sec »!»
Snail Kid, de son côté, souligne que Montréal $ud, le bouquin, outille le mélomane afin de mieux comprendre l’album. «Ce qu’on fait, nous, est hypercodé, et sans les outils pour décoder, c’est comme… n’importe quoi!», lance-t-il, hilare. «C’est comme aller voir de l’opéra sans y être initié. C’est un autre monde au « langage » hypercodé et où il faut connaître les « lettres » utilisées, savoir comment s’articulent les conventions, pour bien apprécier le spectacle, son meaning, etc. Sinon, on se contente de trouver ça… « beau »!»
Mccan revient à la charge: «On ne voudrait pas que les gens passent à côté de tout le travail qui s’est fait autour», tranche-t-il, en faisant référence au succès critique de l’œuvre. Rappelons d’ailleurs que le LP a permis à la troupe de récolter quatre trophées Panache lors du récent GAMIQ, en plus de s’être hissé jusqu’à l’édition 2014 de la longue liste du Prix Polaris et donc parmi les 40 meilleurs albums du Canada selon un jury de plus de 200 journalistes de partout à travers le pays. «Sans ce succès, on se serait dit whatever et c’est tout, mais on a senti que les gens ont beaucoup apprécié l’album… et qu’ils sont également passés à côté de certains trucs!», fait-il valoir. «T’sais, nous encenser en disant que la langue prime sur le propos? Comme si on disait un peu n’importe quoi!» Et Snail Kid de glisser dans un grand éclat de rire: «Y’a du monde qui nous « défendait » comme ça!»
D’où la controverse de cet été… également abordée dans l’ouvrage.
«Non, Chris Rioux won’t hold me back» – Montréal $ud, Dead Obies
Bien que Christian Rioux n’était pas le premier commentateur à reprocher au sextuor d’abonder dans le «franglais» – la participation du collectif à l’édition 2013 des Francouvertes, une vitrine musicale pour la chanson chantée en français, avait également fait jaser –, sa salve dans Le Devoir du 18 juillet («J’rape un suicide…») a, décidément, mis le feu aux poudres. S’en suivit une intervention de Mathieu Bock-Côté («Le franglais: le raffinement des colonisés», édition du 13 juillet du Journal de Montréal), une réplique de Marc Cassivi («Lettre à Christian Rioux», édition du 22 juillet de La Presse), moult débordements sur les réseaux sociaux ainsi qu’une couverture de la débandade dans des médias canadiens (The National Post) et européens (Nova Planet).
Le 23 juillet, Yes Mccan allait enfin riposter au nom des Dead Obies avec sa «Lettre aux offusqués», parue sur le site de Voir, qui se retrouve aussi en annexe du livre. «Moi, ça ne me dérangeait pas que ces gens critiquent ou interprètent mal nos propos parce que je n’arriverai jamais à changer l’opinion de ces gens-là et des gens qui les suivent comme des moutons», mentionne le principal intéressé en revenant sur la rédaction de sa missive.
Après avoir soupiré que «les débats du genre ne changent jamais rien. Ils ne font qu’épuiser», le rappeur – et polémiste bien malgré lui – fait valoir qu’il a finalement sauté dans l’arène… lorsque certains partisans des Dead Obies se sont manifestés. «Ça a changé quand des gens ont commencé à prendre parti pour nous et à nous défendre en nous prêtant des arguments qui n’étaient pas les bons. Là, je me disais: « On va nous associer à des choses qui ne sont pas vraies! » J’ai entendu à la télé quelqu’un qui disait: « C’est simple! Ils font ça pour pogner aux States et je les encourage! » Non, non, non! Ce n’est vraiment pas ça!»
Snail Kid s’esclaffe. «Moi, j’ai vu quelqu’un intervenir sur plusieurs forums, et qui disait des affaires comme: « Moi, je suis vraiment down avec leur affaire parce que, à un moment donné, tout le monde va parler franglais et tout le monde va s’entendre! » Comme si on voulait créer une nouvelle langue!»
Des mois plus tard, l’affaire est close pour les Obies, mais Mccan – qui, on l’apprend dans le bouquin, est un grand mordu de lecture – déplore tout de même deux tendances du moment dans les médias de masse: l’immédiateté et le sensationnalisme. «Là où j’en ai contre, c’est quand un éditorialiste gagne sa vie pour faire peur à des gens qui travaillent 40 heures dans une usine et qui n’ont donc pas autant de temps que lui pour s’informer. Ils comptent sur eux pour les éclairer et ils se font balancer des extrapolations et des idées paranoïaques voulant que le français va être exterminé par des groupes comme les Dead Obies! T’sais, il y a des gens pour qui leur seule information sur le statut du français au Québec provient de ces gens-là. Hier, ils se couchaient avec l’idée que le français au Québec se portait quand même bien. Le lendemain? Ils apprennent qu’on va l’exterminer!»
Snail Kid, de son côté, se désole du manque de préparation de certains chroniqueurs abonnés aux controverses du moment. «Il y a quelque chose qui ne marche pas là-dedans: vouloir se prononcer parce que le sujet est chaud, mais sans prendre le temps de faire la recherche là-dessus. C’est un engrenage où l’éditorialiste informe tout le monde sur un sujet… sans être un spécialiste de celui-ci.»
2015: l’année du post-contemporain de…
Après la lecture de cet essai où les Obies détaillent l’aspect triptyque de leur album se soldant sur Tony Hawk, un brûlot à la musicalité se situant quelque part entre le punk et le post-rap, une question point: où va-t-on après Montréal $ud?
Bien que l’ensemble demeure coi lorsqu’interrogé sur la suite, il planche bel et bien sur de nouvelles idées, voire sur une nouvelle direction, en vue d’une œuvre à venir. Ainsi, les Dead Obies ne se contenteront plus d’être les contemporains d’autres rappeurs. «Sinon on va devenir un pastiche», tranche Mcann. «La scène [rap québécoise] s’est décomplexée. Elle n’est plus « en retard » avec ce qui se fait ailleurs. C’est maintenant crédible. Pour le prochain, j’aimerais maintenant que ça soit… unique!»
On peut commander le livre Montréal $ud en ligne. Détails sur deadobies.com