Father John Misty: D’amour et de soi
Après un premier album acclamé, Father John Misty revient avec I Love You Honeybear autour de l’amour, du narcissisme, de l’ennui et des rires.
«Insaisissable un peu quand même», me disait un ami à propos de Father John Misty. On ne peut qu’adhérer à ce constat quand on pense aux pirouettes auxquelles il s’adonne. La semaine dernière, le chanteur américain a présenté un site web, une sorte de parodie de plateformes numériques offrant la musique gratuitement, où son nouvel album y est offert en entier, mais en version… MIDI. Hilarant. Mais à l’écoute de I Love You Honeybear – la vraie version, là –, on constate que derrière l’artiste pince-sans-rire se trouve un homme profondément changé et inspiré par l’amour avec un grand A.
En entrevue depuis la côte Ouest, l’homme derrière Father John Misty, Josh Tillman – qui fut un temps batteur pour la formation folk Fleet Foxes – nous explique que la pochette de ce deuxième album, où on l’aperçoit en poupon siégeant sur une déesse, résume bien l’œuvre. «Pour moi, l’expérience de l’intimité avec une autre personne, ça a fait ressortir des qualités chez moi qui ne m’ont pas particulièrement ravi. Cet album est surtout autour de ma jalousie et mon « neediness », et est la confrontation de cette idée, qui est survenue sans que je m’en rende compte, que l’amour est une sorte de guérison magique. Je suis enclin à la réflexion miraculeuse à cause de la manière dont j’ai été élevé [dans une famille très religieuse]. Je crois que cet album est au sujet de ma confrontation par rapport à tout ça.»
La classe
Ce nouveau disque, il a de la grande classe. Les instruments à cordes sont très présents, berçant tantôt le piano, tantôt les guitares, et parfois même des beats programmés, comme sur True Affection, seule chanson de ILYH qui change du registre habituel de Father John Misty, mais qui ne déroute pas l’auditeur.
Chateau Lobby #4 (in C for Two Virgins), très jolie pièce sur sa femme Emma, est même bonifiée de mariachis! «People are boring / But you’re something else completely», y chante-t-il. Josh Tillman précise que c’est un album sur l’amour, mais que ce n’est pas sentimental pour autant. «Ce n’est pas de la fantaisie. Je veux écrire sur la vie telle que je la vois», lancera-t-il avant de mentionner que c’est au moment où il a rencontré sa femme qu’il a enfin vu qui il était vraiment. Et maintenant, il se dit prêt à ce que son public le voie comme tel.
«Il y a une phrase, dans When You’re Smiling and Astride Me, qui dit tout ce que cet album a à offrir: « That’s how you live free – to truly see and be seen« . Pour un narcissique, c’est très difficile. Tu veux que les gens voient ce que tu projettes, pas ce que tu es.»
L’ennui américain
Le premier extrait de ce deuxième album, Bored in the USA, aborde un thème plus sérieux, même si les rires ne se cachent pas bien loin. La pièce se veut un commentaire sur les gens passifs de leur propre vie qui mènent ainsi une piètre existence dictée par les autres. Sur l’enregistrement, on entend des gens rire, tel un auditoire de sitcom. «J’imagine que c’est une performance postmoderne ou un stunt. J’ai réalisé à quel point, dans la plupart des cultures occidentales, on entend le rire tout le temps, et tout doit être drôle. Je ne sais pas d’où ça vient, mais je crois que la plupart du temps, le rire est utilisé comme de l’opium, ou comme une façon d’engourdir l’expérience humaine. C’est très sombre faire ça, c’est une forme de magie noire. C’est une mauvaise façon d’utiliser l’humour. Quand j’ai fait la chanson à Letterman, je me suis dit: « Pourquoi n’aurait-on pas la piste de rires aussi pendant la prestation? » Pourquoi ne serait-elle pas partout tout le temps?»
Il a bien raison. Pourquoi pas?
[rires]
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I Love You Honeybear (Sub Pop), disponible le 10 février //