Benjamin Booker : Engagé et sans regret
Depuis la parution de son premier album, l’an dernier, Benjamin Booker s’est taillé une place de choix dans la mouvance blues rock, où il s’insère avec son côté punk assumé.
Né en Virginie, Benjamin Booker a grandi en Floride et déménagé, après ses études universitaires à Gainesville, à La Nouvelle-Orléans pour y travailler pour un OSBL. Influencé dès son enfance par le gospel et le blues glanés dans les influences musicales familiales – Mahalia Jackson, Sister Rosetta Tharpe, etc. -, puis à l’adolescence par une multitude de groupes punk qu’il découvrait graduellement sur scène, il s’est forgé un style bien à lui, au confluent du blues rock et du punk rock. « J’essaie de ne pas me concentrer sur un genre très précis à chaque fois, explique Booker. Si la guitare est très heavy ou punk, je vais essayer d’utiliser une mélodie plus gospel. J’essayais de mélanger les choses un peu. »
Cet amalgame lui réussit fort bien, puisqu’après le succès de son premier simple, Violent Shiver, son premier album homonyme a connu la gloire, autant auprès des critiques que du public. Invité sur de nombreux plateaux de télévision aux États-Unis et en Europe, il propage sa voix graveleuse, ses riffs de guitare excités, et ses textes parfois très engagés.
Son premier album, composé d’une douzaine de titres, s’est écrit en quatre mois, dans l’urgence. « C’est difficile pour moi de m’asseoir et d’écrire une chanson, admet le principal intéressé. Souvent, je vais aller dans ma chambre, prendre ma guitare et composer, mais si rien ne me vient, je vais mettre ça de côté. La plupart des chansons de l’album ont été écrites très rapidement : je ramassais la guitare et ça me venait avec force. Parfois, ça te prend la tête et tu y penses tout le temps. Ce qui fonctionne le mieux pour moi, c’est un sentiment très fort qui me pousse à écrire, à un moment précis. » Un démo plus tard, enregistré dans l’intervalle du déménagement entre Gainesville et La Nouvelle-Orléans, puis un contrat avec ATO Records en poche et un premier album en main, Benjamin Booker et son pote Max Norton (batterie) étaient prêts à se lancer. « Même une fois enregistré, je ne pensais pas que ça décollerait si rapidement, lance le chanteur et musicien en rigolant. Je pensais devoir faire deux ou trois albums et beaucoup de spectacles avant de faire ce que nous sommes en train de faire! »
C’est un succès fort mérité qui revient à Booker, ces temps-ci. Non seulement il a pu tourner avec Jack White au cours de la dernière année, il s’est aussi chargé des premières parties de Courtney Barnett, qu’il admire. Et c’est avant un concert avec Jack White qu’il a pu voir, pour la première fois, Nick Cave en spectacle, au Masonic Temple, à Détroit. Ces trois artistes ont même contribué à façonner la formule scénique de Booker, au cours de l’année : » Le concert de Nick Cave était simplement incroyable. J’avais une copine qui était vraiment admiratrice de Nick Cave, mais c’était trop théâtral pour moi, parfois. Le voir live était vraiment hallucinant. Je n’avais jamais rien vu de tel auparavant. Ça a changé notre perception. On s’est dit “on doit être meilleurs, les gars!”. Cette tournée a été très importante, je suis content que ce soit arrivé si tôt [dans ma carrière], car voir [ces artistes] a certainement influencé la manière dont nous jouons maintenant! »
« Engagez-vous! » qu’ils disaient
À ce titre, un court métrage réalisé par James Lee et récemment paru, intitulé The Future is Slow Coming, regroupe les pièces Slow Coming et Wicked Waters, et se penche sur les tensions raciales aux États-Unis, bien que les pièces aient été composées avant les décès de Eric Garner ou Michael Brown. Au sujet de l’engagement et du changement social, Benjamin Booker se fait très éloquent : « Je ne pense pas que nous soyons impuissants face à ces situations [d’inégalités et d’injustices]. Ce serait terrible! C’était plutôt une pièce qui questionne le fait que ça prenne autant de temps. J’avais beaucoup d’amis qui, à l’époque où j’écrivais la pièce, travaillaient fort sur des revendications LGBT.
Aussi, dans le sud, il y a une grande population hispanique et j’avais beaucoup d’amis qui ne pouvaient aller à l’université parce qu’ils n’avaient pas les papiers pour y être admis ou ne pouvaient pas voir de travail, car ils étaient sans papiers, donc ils recevaient un salaire de merde. Il y avait donc beaucoup de problèmes qui devaient être réglés et il me semble que ça prend du temps.
Quand j’écrivais mes chansons, j’habitais à Gainesville et la fille que je voyais à ce moment-là était très engagée. J’ai vu que les gens pouvaient accomplir de grands changements. Il y avait une loi qui disait que tu ne pouvais pas servir de la nourriture à des itinérants plus de trois fois par année. Le gouvernement municipal ne voulait pas que des itinérants se ramassent en ville pour être nourris alors ils ont fait en sorte que ce soit illégal. Ma copine et des amis ont protesté contre la loi et l’ont fait changer, donc je crois que les gens peuvent faire bouger les choses dans leur communauté.
Oui, je crois [que ça fait partie du travail des artistes de s’engager]. Les gens que j’admire artistiquement ont toujours un message porteur. Même quand j’étais plus jeune, les groupes punk qui m’influençaient portaient un message avec leur musique. Ce n’était pas uniquement des chansons à propos de faire la fête tout le temps. »
Et après?
Le succès qu’il connaît présentement, avec un premier album, met évidemment la table pour une suite attendue. Ressent-il les effets de cette attente? Pas si l’on en croit son détachement et cette impression de sagesse qui se dégage de ses réponses : « Au cours de la dernière année, j’ai déjà pu faire tout ce que j’ai toujours rêvé de faire. J’ai pu ouvrir pour Jack White, j’ai joué à la télé, j’ai voyagé partout dans le monde. Ce serait chouette si ça pouvait se reproduire, mais sinon, c’est correct, j’ai fait tout ce qui était sur ma liste! »