Florent Vollant : La lenteur, la solitude et l’esprit du clan
L’auteur-compositeur-interprète innu Florent Vollant est de retour avec l’album Puamuna – «rêve» en innu -, fruit d’un travail patient de trois années.
Le musicien m’entraîne vers une table au fond de la cafétéria de Radio-Canada, où les lumières sont presque tamisées. «Les néons, ça me fatigue», admet l’homme, d’une voix posée, coulante. Un peu à l’écart, presque dans l’ombre, le dialogue, les images et les histoires prennent forme.
«J’ai ce rythme-là, moi, lance Florent Vollant. C’est parce que je suis impliqué dans d’autres trucs. Tout ça m’amène à la création aussi. Je rencontre des gens, j’organise des projets, mais je suis très lent.» Cette lenteur, il l’utilise pour créer des projets qui l’ont mené vers Puamuna, nouvelle addition à son parcours musical, six ans après Eku Mamu.
C’est lors du spectacle qu’il organise chaque année, en fin d’année, que son copain Richard Séguin est venu faire un tour et lui a proposé une chanson, «Tout est lié», qui a initié le projet Puamuna. « Je n’étais pas convaincu, parce que je me questionnais sur la situation de la musique, sur le fait de pouvoir en vivre et de faire des concessions au niveau matériel. Faire plus pour beaucoup moins, c’est un concept que je trouve difficile. Ce qu’on nous demande de faire avec le peu de moyens qu’on a à travers la musique, c’est difficile. Juste faire de la musique, c’est difficile. Mais je ne me plains pas! Je constate. Mais la musique c’est fort, c’est plus fort que toutes mes questions que je me pose.»
Puis son ami et musicien de renom Réjean Bouchard, de même que l’ami et musicien de longue date Kim Fontaine, coréalisateurs de Puamuna, ont insisté, après que Séguin l’eut amené à jeter les bases de cette nouvelle mouture musicale. «C’est de leur faute! Je cherche des coupables!», s’amuse le principal intéressé. D’autres mélodies, d’autres musiques, d’autres rêves, sont ensuite venus à lui.
Donner au suivant
Et c’est à ce moment que le musicien est distrait par des enfants, passant à côté de notre table. Il les regarde, se retourne et sourit: «Quand je vois des grappes, comme ça, j’adore ça. Ça m’encourage. C’est inspirant. Ça me touche!», admet l’homme d’une cinquantaine d’années, le visage illuminé et les yeux mouillés d’espoir.
Cette foi en la relève ne date pas d’hier, pour Florent Vollant. En 1997, il fondait le studio Makusham, qui agit en tant que studio et centre de formation pour jeunes autochtones de la région de Maliotenam, où réside Vollant. Pourtant, avec Puamuna, c’est la première fois que l’auteur-compositeur-interprète occupe lui-même le studio, pour enregistrer ses propres chansons, de A à Z. «Je l’ai fait pour moi, tu sais, mais je ne l’ai jamais occupé!», rigole encore le musicien innu, avant de revenir à ce que Séguin et Bouchard ont fait pour lui. «Ils m’ont allumé, en fait. C’est eux qui ont joué les gardiens du feu. Je me suis embarqué là-dedans et j’ai trouvé ça. La musique est arrivée, et j’ai commencé à voyager aussi.» Des périples au Yukon, dans l’ouest, à la Baie James chez les Cris, au Groenland, en Suisse, sur la basse Côte-Nord, et dans sa région natale du Labrador – «Ça, c’est un rituel, pour moi» -, lui ont permis de créer un univers musical propice à Puamuna.
JL: Vous y retournez souvent, au Labrador?
FV: Oui, pas souvent, mais j’y retourne. Je suis né là-bas. Quand je vais là-bas… tout redevient…
Il mime avec ses mains deux éléments qui s’alignent.
JL: Tout se réaligne?
FV: Oui, mais tout redevient…je sais pas, la lumière, l’air, le territoire, le feeling que j’ai, le froid…
Je redeviens… Tout ce qui me travaille, ça s’en va. C’est un territoire où… mes rêves sont intenses là-bas.
Du rêve à la musique
Si le titre de son nouvel album signifie «rêve», en innu, Florent Vollant admet n’en être que le messager. «Le chant traditionnel, c’est inspiré du rêve. Le chant lui-même, la mélodie, vient du rêve. Pas de rêve, pas de chant. C’est lié… tout est lié!», rigole-t-il en citant la chanson que Richard Séguin lui a offerte. «Et il y a un message. Le rêveur, c’est lui qui est appelé à livrer le message. Moi, je deviens le messager, avec la musique. Et le chant au tambour est inspiré du rêve. Et ça, c’est pas un choix! Tu vis avec ça. Il ne faut pas nier ça. Moi, j’ai rêvé, et le rêve, c’est pas juste de la musique. Tout le monde rêve. Comme je dis dans la pièce «Puamuna»: tout le monde a un rêve, tout le monde a un chant. Ça, c’est la volonté de l’esprit. Il y a tout un aspect spirituel qui vient avec le chant. Le chant, c’est une médecine, aussi. C’est aussi une danse.»
Influencé aussi par les musiques folk, rock et country de sa jeunesse, des Beatles à Neil Young, en passant par Bob Seger et Bob Dylan, de même que les chants d’Église, des chants grégoriens, et bien plus, Florent Vollant s’est construit un monde gorgé de références musicales qu’il s’est appropriées. «Tout ça m’a amené à être curieux de la musique et à vouloir en faire. Je faisais de la musique, mais j’ai jamais eu l’idée de gagner ma vie avec ça. Mais c’est arrivé comme ça. J’ai fait partie d’un groupe, puis d’un autre, et à un moment donné Kashtin est arrivé. Ça a été le Big Bang et c’est devenu complètement autre chose pour moi! J’ai été pris dans la tornade pendant quelques années.»
La tempête Kashtin a pris fin il y a 20 ans, en 1995 et a, pendant six années, fait le tour du monde, permettant au duo formé par Vollant et Claude McKenzie de devenir l’un des premiers groupes autochtones canadiens à franchir les frontières et obtenir une reconnaissance internationale. «C’était tellement marquant! C’était tellement intense et exigeant. Je pourrais te montrer des blessures…c’était assez difficile. Mais je peux aussi te montrer des reconnaissances qu’on a eues. Y’a eu ça aussi, des appréciations, des traces qu’on a laissées, qui me surprennent moi-même.»
Willie Dunn, Pascale Picard et Lucie Idlout
Grande influence dans son répertoire musical, l’auteur-compositeur-interprète micmac Willie Dunn est décédé il y a près de deux ans. L’un des premiers autochtones canadiens à avoir enregistré ses pièces, Dunn, par sa figure d’activiste, de poète et de musicien, a marqué l’imaginaire de Vollant. «À l’époque de Kashtin, j’interprétais sa chanson «Son of the Sun». Mais je voulais revenir avec ça, pour que sa musique reste, pour que sa lumière reste. Je le fais pour moi. Et si ça peut allumer d’autres, je serai très heureux»
La pièce «Change», quant à elle, est un cadeau de l’artiste inuit Lucie Idlout, rencontrée lors d’un passage à l’émission de Jim Corcoran, Pour un soir seulement, alors que les deux artistes furent invités à jouer ensemble. «Quand j’ai reçu sa musique, j’ai eu peur!», admet candidement Florent Vollant au souvenir de la rencontre musicale. «Je me demandais comment j’allais faire pour rentrer là-dedans. C’est tellement intense!» Puis, le déclic s’est fait, l’énergie contagieuse de Idlout a contaminé Vollant et une invitation à venir jouer à Makusham, pour l’émission du même nom (diffusée sur le réseau APTN) fut lancée. Là-bas, «Change» fut jouée, mais jamais enregistrée, et Idlout l’a offert à Vollant. «Quand je te dis qu’elle est «maternelle», c’est qu’elle est d’une grande générosité. C’est une leader, elle n’a pas peur de personne.»
Pour la pièce «Apu peikussian», Florent Vollant s’est plutôt approprié une composition de Pascale Picard. L’auteure-compositrice-interprète, rencontrée lors d’un concert à Ottawa, lui avait envoyé une version guitare-voix de «Haunted States», que l’on retrouve sur All Things Pass. «J’ai pas compris ce qu’elle voulait que je fasse avec ça. Et on ne s’est pas parlé. Et moi, étant très lent, j’ai pris mon temps, j’ai écouté», raconte Vollant.
En parlant de solitude et du besoin des autres, Florent Vollant a fait sienne la chanson de Picard. «J’ai entendu une histoire triste par rapport à un jeune de 14 ans. Et je me suis mis dans cet esprit-là et je dis, les jeunes vivent des perditions, peu importe qu’ils soient innus ou pas. 14-15 ans, c’est difficile, ce passage-là. Eux font plus confiance à leurs amis qu’à n’importe qui d’autre, souvent. Et c’est ce que je dis. Je l’ai appelée «Apu peikussian», «je ne suis pas tout seul, j’ai des amis qui vont m’aider, que je vais aider». That’s it. Ça tourne autour de ça. Eux autres, ce sont des clans, ces jeunes-là. Je me suis mis dans leur esprit, dans leur clan. Ils se tiennent.»
Changement de cap
Sans l’aide de Bouchard, Fontaine et ses autres acolytes, Florent Vollant n’aurait sans doute jamais mis au monde Puamuna, résultat de trois ans d’efforts, au terme desquels il retire une grande satisfaction. «J’ai eu du fun et j’ai fait du mieux que j’ai pu et j’ai développé une façon de travailler qui n’est pas comme je fais d’habitude. Je suis très instinctif, moi. Mais pour celui-là, il y a des morceaux que j’ai repris, ce que je faisais moins avant. J’ai changé de tonalités, de rythmes, de sons, chose, mais quand tu rentres là-dedans, c’est infini! Je sais pas, c’était comme ça, pour cette fois-là, ça marche comme ça! C’est très nouveau pour moi et je me rends compte que c’est très exigeant…différent, oui.»
Puamuna est présentement en écoute sur Voir.ca
L’album sera disponible le 28 avril
Un lancement montréalais aura lieu le mardi 28 avril à 17h, au Monument National.
// À visionner: notre entrevue avec Florent Vollant dans la série Long sur le web animée par notre rédac chef Simon Jodoin