Coeur de pirate : Bouquet bilingue
Avec son troisième album, Roses, Coeur de pirate nous offre un joli bouquet, réalisé en compagnie de producteurs européens de renom.
Ce n’est pas un hasard si le titre de ce troisième effort de Cœur de pirate, Roses, se dit aussi bien en anglais qu’en français, puisque la jeune chanteuse et musicienne montréalaise signe ici plusieurs pièces dans la langue de Shakespeare, en plus des quatre autres dans celle de Molière. Le marché anglophone n’est pas étranger à Béatrice Martin, puisqu’elle a fait plusieurs petites tournées aux États-Unis dans les dernières années. Et la cerise sur le sundae: le 12 août dernier, elle confirmait sur les réseaux sociaux sa signature avec le label américain Cherrytree Records (Ellie Goulding, Robyn).
Après deux albums de Cœur de pirate et un succès populaire plus qu’enviable autant au Québec qu’en Europe, Roses représente donc un plongeon définitif vers de nouveaux marchés anglophones pour la chanteuse. Cette nouvelle aventure bilingue s’inscrit dans un parcours en ascension continue mais somme toute assez stable pour la compositrice.
«J’ai quand même eu un bon boost après ma tournée Blonde, alors que j’étais enceinte. Surtout au Québec, ç’a a vraiment monté, les gens me reconnaissaient dans la rue. Au début, j’étais encore un peu obscure au Québec, les gens disaient: « Oui, on sait c’est qui, mais… ». À un moment donné, je faisais des grosses émissions à TVA et j’étais vraiment présente dans le paysage québécois, c’était quand même cool. Puis au Canada et aux États-Unis, ç’a a commencé à monter aussi donc au moins ça allait en augmentant. J’espère que ça ne va pas redescendre! Mais là c’est comme un nouveau livre que j’ouvre avec cet album, c’est d’autres marchés et territoires. Je ne sais pas ce qui va se passer.»
S’aventurer dans une langue seconde comporte évidemment ses risques, autant en tant qu’auteure qu’en tant qu’interprète. Au-delà de devoir trouver les mots justes pour s’exprimer en anglais, vocalement, ce n’est pas tout à fait la même chose. La bouche et la langue ne bougent pas de la même manière, explique Béatrice.
«Au début, je ne savais pas si mes chansons étaient bonnes en anglais. Ça faisait tellement longtemps que je le faisais en français que je me disait que peut-être c’était quétaine et je ne le savais pas! Finalement je pense que ça va. C’est sûr qu’il y a eu des changements à faire, ma façon de pousser est pas pareil, par exemple, donc ç’a a été quand même un beau défi.»
Entre ce chapitre plus 60s qu’a été Blonde en 2011 et ce Roses, Béatrice a tout sauf chômé. Elle a épaté la galerie avec ses talents de compositrice pour la trame sonore du jeu vidéo Child of Light, remportant par la bande le Prix de la meilleure musique originale aux Canadian Videogame Awards 2014, en plus de définir son jeu d’interprète sur la trame sonore de Trauma en reprenant des succès d’Amy Winehouse, des soeurs McGarrigle et de Tom Waits.
«Ça m’a permis de faire quelque chose de différent et d’être reconnue pour un côté de moi qui n’est pas juste une chanteuse. Pour Child of Light, j’ai vraiment juste composé de la musique donc c’était comme: « Ok, on reconnait que t’es capable de composer de la musique et on te donne ça ». J’ai trouvé ça très cool, qu’on me voit sous une lumière différente. Pour Trauma, c’était vraiment une commande, mais ça m’a permis vraiment de trouver d’autres voix, de composer et de réaliser davantage, de travailler mon travail d’interprète aussi parce que c’était des chansons des autres. Tout ça, c’était un travail que j’avais pas fait depuis un bon moment. J’ai trouvé ça vraiment super intéressant.»
C’est avec ces expériences constructives qu’elle a donc entreprit le chemin vers Roses. Fan depuis toujours des prouesses du producteur de Lykke Li, le Suédois Björn Yttling, elle lui a demandé de produire des pièces de son album à venir. Il lui a dit oui – «J’étais sous le choc», avoue-t-elle – et Béatrice est donc arrivée avec les squelettes des chansons, qu’il a su enrober à sa manière. Il signe 6 des 11 pièces de l’album, dont le premier extrait Carry On (Oublie-moi).
Deux autres producteurs reconnus figurent sur Roses: les Britanniques Ash Workman (Metronomy) et Rob Ellis (PJ Harvey). Avec ses trois hommes d’expérience aux commandes du disque, le courant est bon. «J’ai surtout laissé les producteurs faire leur job en leur disant: « Prenez mes tounes, aidez-moi à avoir du recul, faites ce que vous voulez » et j’ai tellement aimé ça», laisse glisser Béatrice avant de préciser: «J’ai quand même pris des producteurs qui font des trucs très organiques avec de vrais instruments et ils ont une façon de construire les drums en les « samplant », donc ça fait quand même du sens.»
Les textes de Roses, eux, demeurent sentimentaux, soulevant certaines blessures et parcourant parfois des eaux troubles (on entend souvent le mot «fear» dans les textes en anglais, par exemple). Il y a aussi des moments où la chanteuse se montre plus forte. La principale intéressée confirme que l’oeuvre demeure autobiographique, comme ses deux précédents albums.
«Ça parle vraiment de la transition que j’ai eu de ma vie avant ce qui se passe aujourd’hui, de grandir dans l’œil du public, de faire face à tout ça – des grands moments de solitude où je ne savais pas quoi faire – « là, je vais jouer devant 15 000 personnes et après ça je suis serai seule dans ma loge pendant 6 heures ». Y’a eu des hauts et des bas. Il a fallu que j’en parle pour cet album-là.»
Elle a de l’expérience dans le corps, déjà, à 25 ans et des collaborations à rendre jaloux, mais lorsque je lui dit que j’ai assisté à son tout premier concert, au feu Sing Sing sur l’avenue des Pins, ses yeux et son sourire brillent. Elle raconte ses débuts, humble et nostalgique: «Oh shit, t’étais là?! C’est donc ben fou! J’étais vraiment toute seule. Je travaillais là et je me rappelle que j’avais demandé à mon boss: “est-ce que je peux jouer devant du monde?” Il a dit « Oui, oui ». J’ai juste mis un flyer que j’avais dessiné sur je ne sais plus quoi – MySpace, je crois. J’avais des petits démos et c’était fou. […] Je voulais juste avoir du fun, je pense. C’était vraiment ça. Je me suis dit: « Ah, je vais faire ça parce que c’est cool. » Sérieusement, y’a quand même du monde qui sont venus ce soir-là! C’est quand même drôle de savoir qu’y’a des gens qui me suivaient sur MySpace. C’était vraiment très drôle comme moment, mais j’en ai de bons souvenirs.»
Roses à la main, elle est toutefois bien consciente de l’aspect éphémère de la musique, que les goûts des gens peuvent changer rapidement. Elle en fait d’ailleurs un lien avec le titre de son album: «Y’a un côté épineux mais beau à la fois à la rose. Le côté éphémère de la fleur aussi, je trouve ça quand même assez intéressant. Ça meurt, les fleurs. J’ai souvent dit que ça m’énervait parce que ça finit toujours par mourir et je trouve ça dommage. Il faut en prendre soin le temps que ça existe et ça marche un peu avec la musique en général, ce qu’on essaie de raconter à travers la musique. Une chanson, faut que t’en prennes soin quand même.»
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Roses (Dare To Care Records) Disponible le 28 août
Montréal: En spectacle le 16 septembre au Métropolis dans le cadre de POP Montréal
Québec: En spectacle le 1er octobre à l’Impérial Bell (complet)
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