Plume Latraverse: Récidives
Musique

Plume Latraverse: Récidives

J’avais à peu près l’âge que ma fille a présentement lorsqu’en visite chez la parenté, dans un sous-sol où nous trouvions refuge, mon cousin du côté des Malchelosse m’injecta la première dose d’une substance qui allait créer chez moi une longue dépendance et dont je ne me suis jamais entièrement sevré. Sur une cassette 90 minutes, il m’avait enregistré deux disques vinyles que nous avions passé l’après-midi à écouter. D’un côté, Triniterre. De l’autre Pomme de route.

C’est ainsi que j’allais devenir un plumeur et ma vie n’a plus jamais été la même. Plumeur récidiviste même, à répétition, plusieurs fois par jour. Un à un, avec patience et engagement, j’ai recherché dans les bacs de disques usagés les précieux vinyles que je garde désormais sous globe.

Imaginez-vous donc que je n’allais certainement pas manquer ces « Récidives » que nous propose ces jours-ci celui qu’on appelle avec affection Le grand flanc mou, poète monumental qui a marqué les 45 dernières années de la chanson québécoise.

Et je n’ai pas été déçu. Non pas par dévotion devant cette idole de ma jeunesse que je garde toujours dans mon cœur, mais par respect ému pour cette performance généreuse, humble et sereine qu’il nous a offerte hier soir à la 5e salle de la Place des arts. Sans flaflas, comme toujours, mais cette fois plus que par le passé, en toute dignité, celle de l’artisan, du sculpteur de chansons.

On ne donne pas dans la rétrospective dans ces récidives. C’est une sélection d’œuvres choisies qui nous est offerte. Des morceaux principalement tirés de la période post-métamorphose qui débuta en 1987 avec de l’album D’un début… à l’autre. Un bon vieux disque double qui marquait le point de jonction entre l’ancien et le nouveau Plume, par un son inusité porté par le trio alors nommé Les Waboboys (Jean-Claude Marsan à la guitare et Denis Masson à basse).

Ce sont ces petites perles parfois oubliées que nous ressort Plume, comme la fameuse L’ours, le singe et le lion. Des trous de mémoire dont il s’amuse sans nostalgie, presque complice: « Vous ne la connaissiez pas celle-là, hein? »  Meuh non! Je n’en avais oublié aucun mot. Il y a de ces textes comme ça qui nous restent gravés longtemps dans la tête.

C’est cependant en puisant dans le grand cru Chansons nouvelles (1994), qu’on récidivera le plus, en revisitant Le tapis volant, Si, Cahin-Caha, Quelle histoire ou encore Les patineuses. De splendides chansons, on le savait déjà, mais c’est la livraison qui étonne le plus. C’est là que se joue tout le spectacle. La complicité de Latraverse et Marsan n’est plus à démontrer, mais c’est le calme solide du vieil arbre bien enraciné, en complète symbiose avec son vieux compère, guitariste virtuose, qui transparaît à toutes les notes. Sans se regarder, Plume toujours droit, prenant son temps à tous les mots et à chaque accord, ils déploient, comme si rien ne pressait, des gerbes de chansons qui se marient les unes aux autres. Ils en ont vu d’autres, des salles en tous genres et des publics exotiques pour dire le moins, et ça se sent. Ici, on est à la Place des arts, donc silence SVP. Placé un peu derrière, armé de sa grosse contrebasse, Greg Morency est au poste, patient lui aussi, n’en manquant pas une avec ses doigts ou son archet.

Évidemment, on n’en restera pas là. On puise un peu dans le passé, pour d’autres bijoux, Gisèle avec 2 L viendra nous rendre visite, le Faux dur aussi. Plus lointain, Le tango des concaves se joint avec merveille au Tango pital. On a même droit au futur, avec quelques nouvelles coulées qui sortent à peine de la distillerie.

On en ressort grandi, touché. Plume Latraverse n’a jamais réellement changé. Alors que tous ses collègues au tournant des années 80 tentaient toutes sortes de sparages pour renouveler leurs sons afin de se garder à la page, il est demeuré enraciné dans sa démarche artisanale entamée dans la mouvance des années 60. C’est ce qui ressort le plus aujourd’hui. L’image est galvaudée, certes, mais il s’agit bien de grands crus qui se sont magnifiés avec l’âge, un peu comme ces choses qui font partie des meubles et qui ne se démodent jamais, parce qu’ils n’ont peut-être jamais été à la mode.

Merci bien, monsieur Plume.

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En spectacle partout au Québec
Toutes les dates sur le site des productions Phaneuf: http://phaneuf.ca/plume/spectacles.html