Entrevue avec Francis Cabrel: On l’aime à mourir
Francis Cabrel lançait en 2015 un nouvel album intitulé In Extremis, puis annonçait une tournée au Québec en avril et mai 2016. Une deuxième tournée québécoise a été annoncée récemment et aura lieu à l’automne 2016. Nous avons rencontré le chanteur il y a quelques semaines pour discuter de ses compositions, de sa carrière et de Bob Dylan.
Tout d’abord, comment décrieriez-vous votre relation avec le Québec?
«C’est parti tout doucement dans les années 1980. Je suis venu quasiment seul avec ma guitare. Je chantais dans des boîtes à chanson à Montréal et à Québec alors que chez nous, ç’a avait bien démarré. Je me souviens d’avoir fini l’Olympia à Paris et d’être venu ici chanter dans une boîte à chanson avec d’autres chanteurs du Québec. J’étais content d’être accueilli d’abord, d’avoir 30-50 personnes qui écoutent mes chansons – mes tounes, comme vous dites! Après, y’avait de plus en plus de spectateurs et cetera. C’est vraiment une relation que j’ai entretenue et depuis quelques années ça se passe bien.»
L’année dernière, vous avez fait une courte tournée au Québec seul sur scène. Est-ce que ça vous a permis de vous rapprocher de votre public québécois?
«Oui, c’est sûr. Ça m’a permis un rapprochement avec moi-même et mon répertoire aussi parce que je ne savais pas si j’étais capable de faire ça. Ç’a m’a pris énormément de courage parce que j’ai un peu le trac, je suis toujours inquiet avant d’entrer sur scène. Là, entrer seul, c’est comme une pièce de théâtre. Ç’a m’a beaucoup conforté sur mes chansons, sur ce rendez-vous spécial avec les gens en toute simplicité. Ça m’a plu. Je suis sorti de là réconforté.»
On entend à nouveau sur In Extremis des influences de musiques de la Nouvelle-Orléans et de Nashville. Il y a beaucoup de couleurs là-dessus.
«J’ai toujours écouté ces musiques-là: La Nouvelle-Orléans, Nashville, la côte ouest californienne. Toute l’Amérique, ce qu’elle a produit en chanson j’ai écouté et j’aime – les harmonies vocales, les Eagles, le lapsteel… Toute ma culture vient de là. Si un jour je fais plein d’autres albums, il faudrait que j’essaie d’explorer d’autres univers mais jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours creusé ce sillon-là.»
Vous parlez de politique, de société, un peu d’amour aussi. Vous êtes ironique sur certaines pièces mais on entend aussi vos inquiétudes. C’est très varié comme album. Comme avez mis toutes ces pièces en place?
«Quand je commence à écrire, je n’ai pas de ligne directrice alors j’écris un peu à l’emporte-pièce: une fois c’est ce thème, l’autre fois c’est un autre. C’est juste d’arriver à faire 12 chansons sur tout ce qui m’intéresse, un peu bric-à-brac. C’est vrai qu’on retrouve toujours mes inquiétudes premières, donc d’abord une chanson d’amour sur mes enfants et puis de l’ironie par rapport au monde politique qui se caricature souvent lui-même. Il suffit d’observer.»
On a dit que ça peut vous prendre six mois jour et nuit pour écrire une chanson. Comment savez-vous quand une chanson est fin prête?
«C’est une sorte d’instinct et une fois qu’on a dit exactement ce qu’on voulait dire, y’a pas beaucoup de place dans une chanson. C’est pas comme un roman, où on peut développer sur cinq ou six pages chaque impression, là, on a vraiment deux lignes. À la fin, y’en a 30, mais ce qu’on veut dire est resserré sur des petits couplets de 2 ou 4 lignes. Les places sont chères, les mots doivent être exactement aux bons endroits. Une fois qu’on a tout réuni, le sens et le son, elle est finie.»
Ça fait longtemps que vous n’aviez pas écrit de chansons d’amour et sur ce disque, le sujet revient. Sentiez-vous à l’époque que vous aviez fait le tour de la question?
«Depuis Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai, j’avais plus écrit de chansons d’amour. Je m’étais dit: «Maintenant, j’ai fait le tour du sujet, je vais parler d’autre chose. Et là, je me suis obligé à en réécrire pour voir ce qui se passait 10 ans après sur le même thème. Et je suis content de moi!»
Sur Dans chaque coeur, vous chantez à propos de la crucifixion de Jésus. La religion a une place importante dans votre vie?
«La question centrale de la chanson, c’est le personnage qui a prononcé les paroles desquelles tout est parti, c’est lui. Lui, il est hors de doute. Il a existé, il a vraiment dit ces choses-là et je pense que le message est puissant et qu’aujourd’hui on en a vraiment besoin.
Dans l’état actuel du monde, dans les haines qui surgissent et les incendies de partout, je pense qu’il faut revenir à l’enseignement premier, essayer de se resserrer sur ça.»
Dur comme fer, le premier extrait de In Extremis, offre un regard assez cynique envers les politiciens. Vous avez déjà été en conseiller municipal dans votre village. Qu’avez-vous constasté du monde politique?
«J’ai été conseiller municipal dans un tout petit village qui ne faisait pas vraiment de la politique, mais du bénévolat. La politique, ça m’a toujours intéressé, mais j’ai toujours pensé que les politiciens étaient plus intéressés par eux-mêmes que par nous. Être dans un petit village, on plus intéressés par les autres que par soi puisqu’il n’y a pas de carrière, c’est juste de l’entraide.
Sinon, je pense que c’est un monde qui se protège. Devenir politicien, c’est un étage auquel on arrive par ambition et pour des raisons de confort. Certainement aussi d’argent, y’a pas mal de cupidité, de vanité.»
En 2012 vous avez consacré un album entier à Bob Dylan. Qu’est-ce que vous admirez chez lui?
«C’était important que je le fasse parce que mon admiration est vraiment immense. Ça m’a libéré de tout ce que je lui dois. Tout ce que j’ai écrit c’est grâce à lui. Ce qui me touche, c’est la fluidité dans ses textes. C’est beaucoup de dévis, mais c’est extrêmement calculé, extrêmement musical. Il a aussi le sens de l’observation aigu, beaucoup de force poétique.»
Petite Marie est la chanson qui vous a lancé dans les années 1970 et elle est toujours restée collée à vous. Est-ce vous vous êtes déjà tanné de la chanter?
«Non, je l’ai toujours chantée. Je pense que je la chanterai toujours parce que d’abord je ne chante pas souvent! Chanter Petite Marie tous les 7 ans, c’est pas si terrible! C’est pas non plus un fardeau. C’est un joli rendez-vous parce que je sais que les gens l’aiment bien et la chante avec moi.»
///
Billets et toutes les dates de tournée de Francis Cabrel en 2016: tandem.mu/spectacles/?a=24