La Red Bull Music Academy à Montréal: la créativité avant tout
L’événement musical de renommée internationale RBMA larguera ses amarres à Montréal en octobre afin de souffler un vent de créativité sur la ville. Discussion avec l’un des cofondateurs Torsten Schmidt.
La Red Bull Music Academy a 18 ans cette année. Le bébé de Torsten Schmidt devient donc un adulte en 2016. «Ça fait peur quand on le regarde ainsi, mais oui, déjà 18 ans!», rigole-t-il. Nous avons rencontré le cofondateur de la RBMA alors que l’important rendez-vous musical annuel amorce les préparations en vue de son édition montréalaise, en octobre prochain.
La RBMA s’installe chaque année dans une ville du monde et invite une soixantaine de producteurs, beatmakers et musiciens de la relève à y participer. Ceux-ci deviennent des «élèves» de l’événement pendant deux semaines complètes, puis un deuxième groupe de participants fait de même pendant deux autres semaines. Ils participent au quotidien à des conférences de légendes de la musique (Steve Reich, Giorgio Moroder), à des activités, à des spectacles (aussi ouverts au public) et ont accès à des studios hyper bien équipés. Tout est mis en place pour stimuler la création et l’endroit permet aussi aux jeunes participants de sortir de leur nid puisque ceux-ci, oeuvrant pour la plupart en musique électronique, sont plutôt habitués à l’isolement. Au quartier général de la RBMA, le travail d’équipe est valorisé.
«Il y a un plan diabolique derrière ça puisque nous n’avons que 8 studios pour 40 participants, dit Torsten. Par défaut, ils doivent interagir avec d’autres êtres humains et c’est plus difficile qu’on ne le pense. Dans ce contexte, tu ne peux t’empêcher de comparer ton approche à celles des autres. Ça te fait penser: quels sont mes buts? Suis-je prêt à faire ça? Habituellement, nos participants sont au stade où ils se questionnent à savoir s’ils deviendront des musiciens professionnels. Ils se demandent donc s’ils ont ce qu’il faut. La plupart d’entre eux prennent le pari et pour de nombreux participants, ça fonctionne plutôt bien. Pour d’autres, ils vont vers l’enseignement de la musique ou quelque chose du genre et c’est très bien aussi. Personne n’est obligé de faire quoi que ce soit.»
Opération Montréal
Vouée à la création musicale, la RBMA a passé le test du temps et est désormais considérée comme une institution. À l’événement principal se rattachent toutes sortes de concerts, événements et festivals mis sur pied ou présentés par la RBMA après avoir été soigneusement choisis. Il va sans dire que l’étampe RBMA est gage de qualité. Il y a aussi des Bass Camps (des week-ends d’ateliers, de spectacles et de conférences dans une ville choisie), des films autour de la création musicale, une radio en continu, des entrevues avec des légendes de la musique et plus. Lorsque la RBMA s’installe dans une ville chaque année, elle y présente aussi tout un mois de concerts, souvent présentés avec des acteurs de la scène locale. Bref, la RBMA est un gros bateau et c’est tout à l’honneur de la métropole que l’événement largue ses amarres à Montréal cette année.
«L’équipe de la RBMA est déjà venue quelques fois en ville et maintenant, nous sommes à l’heure des réunions!, précise le cofondateur. Nous rencontrons des gens à différents niveaux. Il y a des gens établis comme Alain Mongeau de MUTEK par exemple, mais nous voulons aussi parler avec l’ami de l’ami du gars de 22 ans qui fait de bons partys en ville. Nous voulons avoir une bonne compréhension de la diversité de la ville et pas seulement en commençant par le haut de la pyramide. Nous sommes intéressés par l’héritage de la ville, le présent et le futur!»
L’éducation
Pour comprendre la genèse de la RBMA, on revient à la fin des années 1990. Torsten Schmidt était alors éditeur, rédacteur et pigiste pour différentes publications à Berlin. À l’époque, il y avait un mouvement où les jeunes prenaient d’assaut les rues pour faire la fête, danser ou encore faire des compétitions de breakdance, par exemple. Intrigués par ce mouvement, les gens de Red Bull ont voulu mettre sur pied un événement qui mettrait en valeur ces jeunes créatifs (son public cible) et ont approché Torsten pour ce faire. L’événement original serait présenté par Red Bull (donc payé par la compagnie). Un gros coup de marketing, oui, mais l’intention était d’investir dans la scène musicale et de proposer quelque chose d’intéressant et de nouveau afin de valoriser les jeunes talents. Réalisant le manque flagrant de «vraie» éducation pour les jeunes musiciens en électronique à la fin des années 1990, Torsten a proposé, avec les deux autres fondateurs, le concept original qu’est devenue la RBMA.
«L’Internet était assez lent à l’époque et il n’y avait pas vraiment de littérature adéquate. Si tu voulais apprendre la culture pop dans une université allemande, tu en apprenais davantage à propos des citations de Deleuze qu’à propos de la vraie culture du moment. Il y avait un manque: les écoles d’ingénieurs étaient très mauvaises et les écoles de DJ étaient encore pires. Nous nous sommes dit: «Ok, il y a clairement un vide à combler, pourquoi ne pas donner la chance aux jeunes de vraiment discuter de musique avec des artistes à l’extérieur d’un contexte journalistique où ils ont normalement 20 minutes pour parler de leur nouvel album. Pourquoi ne leur donnerions pas un endroit où ils auraient vraiment le temps de parler de ce qu’ils sont vraiment en tant que créateur, de leurs méthodes et de leur approche créative?»»
Les premières années ont été déterminantes afin de construire le vaisseau spatial qu’est la RBMA aujourd’hui. À la toute première édition berlinoise en 1998, les participants étaient tous locaux, mais dès la deuxième édition – toujours dans la capitale de l’Allemagne – les étudiants provenaient de huit pays différents. Torsten Schmidt et le cofondateur Mani Ameri remarquent alors que les gens de pays étrangers se mêlent bien aux autres. En 2000, la RBMA s’installe à l’extérieur de l’Allemagne, à Dublin, et ainsi débute le cycle nomade de la RBMA où les participants s’imbibent de différentes cultures.
«Les gens ont eu beaucoup de plaisir à Dublin. Nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose de spécial dans le fait de faire voyager l’événement, de l’exposer à différents pays et de voir comment les gens interagissent dans ces cadres-là. Lorsque nous avons fait la RBMA au Brésil, c’était la première fois que la majorité des gens étaient exposés à une culture totalement différente. Ça, c’était une expérience magnifique et unique.»
Si la formule de la RBMA n’a donc pas beaucoup changé depuis 1998, le co-fondateur, lui, y voit tous les petits détails qui démontrent une belle évolution. «C’est l’Allemand en moi qui parle, mais si tu regardes la Mercedes-Benz 300SL de 1958 et la AMG GT S de 2015, il existe une très forte corrélation entre les deux voitures et c’est dans de très petits détails. Mais quand même, l’une est une voiture du 21e siècle et l’autre est l’un des chefs-d’oeuvre des années 1950. Tout est dans le raffinement», dit-il avec un sourire.
Des moments inoubliables
Pour les participants, les conférences de la RBMA (habituellement deux par jour et d’une durée d’environ 90 minutes) permettent de vivre des moments inoubliables. Les artistes invités à faire les conférences sont parfois des légendes vivantes comme Giorgio Moroder ou encore des musiciens chevronnés comme la percussionniste Sheila E. (acolyte de Prince et Lionel Richie, entre autres). À Paris en novembre dernier, Torsten (à l’animation) et celle-ci ont su retracer ses influences grâce à l’écoute attentive d’extraits musicaux créoles et latins. La musicienne a alors expliqué comment elle est arrivée du point a au point b: les liens entre son héritage latin et les solos de drum débiles qui ont fait sa renommée.
«Il y a de bonnes chances que, en tant que jeune musicien, tu n’oublies pas ce genre de moment et que tu comprennes l’importance d’inclure dans ta musique tout ce qu’il y a dans ta vie parce que ça te suivra dans ta carrière.»
Pendant la conférence de la chanteuse de Stereolab Laetitia Sadier, un participant lui a demandé: «n’y a-t-il pas un conflit d’intérêts que vous participiez à un gros événement commandité tel que celui-ci puisqu’au sein de Stereolab, vous chantiez à propos de votre haine des grosses compagnies?» Cette intervention était osée de la part du participant, mais pas surprenante. Oui, c’est Red Bull qui paye pour l’événement et la présence des invités, mais ceux-ci ne sont pas là pour représenter la compagnie ni pour le cachet. Ils y sont pour parler de musique et pour l’éducation des participants. Tout est une question de respect envers la vocation de l’événement, assure Torsten.
«C’est surtout une question de respect et de confiance avec les invités. Si ces deux choses ne sont pas là, y’a pas un montant d’argent qui ne sera jamais assez pour résoudre ça, précise Torsten, soulignant au passage que le cachet offert aux artistes peut payer à peu près deux paires de bons souliers de course. Si on doit avoir un débat politique avec un invité, je suis heureux d’avoir cette discussion parce que c’est généralement les réserves que j’aurais moi-même. Je respecte la personne qui refuserait de faire une conférence pour cette raison. Nous avons eu de la chance jusqu’à présent à ce niveau. Aussi, il n’y a jamais eu de transactions ou d’agissements qui auraient semé le doute de travailler avec Red Bull. Nous travaillons avec eux, mais nous sommes quand même notre propre entité.»
Au final, si le logo de la boisson énergétique abonde aux événements de la RBMA, l’institution veut avant tout favoriser la création musicale avant-gardiste.
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Les artistes qui souhaitent participer à la 18e édition de la RBMA peuvent le faire sur le site web.