Tagaq of the North
Nanook of the North, le documentaire de l’explorateur Robert Flaherty daté de 1922 s’amène à Montréal en lumière avec comme figure de proue la chanteuse Tanya Tagaq, qui le revisitera en improvisations musicales et en extrapolations polaires. Entrevue.
Créé à la suite de multiples séjours dans la Baie d’Hudson comme cartographe et géologue pour le compte d’une compagnie minière, Nanook of the North est le prolongement d’une réflexion entamée quelques années plus tôt sur des pellicules en nitrate détruites par une cigarette. Flaherty décide, après cet accident, qu’il veut filmer ceux qu’il a fréquentés dans une démarche humaniste, contemplative et en dialogue avec ses sujets. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des pères du cinéma documentaire.
C’est à l’occasion d’une rétrospective organisée par le Festival international du film de Toronto intitulée First Peoples Cinema: 1,500 Nations, One Tradition en 2012, que Tanya Tagaq a reçu le mandat d’accompagner musicalement le film de Flaherty. L’occasion était belle pour l’équipe du festival Montréal en lumière d’ajouter l’artiste originaire de Iqaluktuuttiaq au Nunavut à sa programmation 2016.
Parcours d’une combattante
Tanya Tagaq est auteure et interprète, elle a gagné le prix Polaris en 2014 (prix décerné par des journalistes musicaux au meilleur album canadien), pour son plus récent album Animism. Elle a chanté avec Björk, Kronos Quartet et Mike Patton, entre autres. Mais avant tout, elle poursuit une oeuvre faite de militantisme et de démystification des cultures inuites: «Je suis fière de mes ancêtres, je trouve que le film de Flaherty regorge toutefois de stéréotypes et de clichés propres au regard colonialiste sur ma culture. C’est le premier regard cinématographique sur la culture inuite. Quand je pense aux cultures autochtones à travers le monde, je suis saisi par le fait que beaucoup sont immédiatement perçus comme appartenant au passé et envisagés comme des pièces de musée. Mon combat quotidien est celui-là: démontrer que ma culture est vivante et en mouvement.»
Un combat qui l’a amenée à se positionner violemment contre le PETA et sa campagne contre la chasse au phoque en publiant ce qu’elle a appelé un «sealfie», une photo de sa fille à côté d’un phoque récemment chassé. Le même combat l’a aussi amenée à se positionner contre le film Of the North. Bref, Tagaq a tout du parcours de la combattante et elle ne craint pas d’exprimer ce qu’elle pense tout haut.
Mais revenons sur la carrière artistique de Tanya Tagaq et l’excellent album Animism qui l’a fait voyager aux quatre coins de la planète pour chanter et bien faire sentir l’énergie brute qui l’habite. «Le terme musique du monde qu’on attribue à ma musique n’est pas tout à fait juste, dit-elle. En ayant voyagé avec cet album, je pense avoir absorbé plusieurs courants et influences musicales. Et j’aime l’idée de partager avec le public, sans qu’on lui donne de directives ou d’étiquettes précises sur ce qu’ils vont entendre lors d’un concert. Tout procède en fait d’une logique de partage, j’essaie de me tenir loin du prêt à penser. Je crois ainsi mieux me faire comprendre. Nous sommes ici bien loin du gentil petit esquimau rieur.» Animism se présente comme un habile mélange d’influences électroniques, métals, organiques et forme une oeuvre atypique tout droit sortie d’un clip ou d’une installation de Matthew Barney (l’ex de Björk avec qui elle a d’ailleurs collaboré).
Pour celle que l’on décrit souvent comme une chanteuse à l’énergie punk, ce concert ou plutôt la performance qu’elle offrira sortira les gens de leur zone de confort. Ainsi, le Nanook of the North présenté à Montréal en lumière (19-20 février, complet) et au Palais Montcalm (18 février) à Québec, sera l’occasion de revisiter un classique du cinéma documentaire par une artiste qui dit aimer vivre dans un autre monde qui n’est pas réel. «L’être humain s’est placé dans des conditions rigides d’existence et a renié au passage ses instincts. La spiritualité a été gommée de notre mode de vie et je crois que nous vivons dans la peur et la honte. Nous créons notre propre destruction tous les jours et c’est cela le plus triste. La terre ne servirait jamais ce traitement à aucune forme de vie. »
Accompagnée sur scène par Jesse Zubot (violon) et Jean Martin (percussions), cette projection-performance est peut-être l’occasion d’aller voir justement ce monde irréel prendre forme.
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En concert au Palais Montcalm ce jeudi 18 février, puis à Montréal les 19 et 20 février.