SoundCloud : la fin est-elle proche?
Service en ligne de premier choix autant pour les mélomanes que les artistes, le site Soundcloud se retrouve dans une position financière des plus précaires. Portrait d’une situation épineuse.
Cela fait déjà neuf ans que le site SoundCloud a été mis en ligne. Fondé à Stockholm par Alexander Ljung et Eric Wahlforss puis établi en août 2007 à Berlin, le but de cette nouvelle plateforme était aussi louable que simple : permettre aux musiciens d’échanger entre eux des enregistrements. De ces débuts modestes, l’entreprise a connu une croissance fulgurante tout au long du début des années 2010. Il devenait presque essentiel pour un créateur d’utiliser le service s’il voulait briser toutes les barrières géographiques et répandre ses compositions partout dans le monde. Des carrières se construisaient via SoundCloud, et le nombre de musiciens y accédant pour partager leurs créations était en hausse constante.
l’ombre des poursuites
Un problème assez grave prenait toutefois de plus en plus d’ampleur : de nombreux utilisateurs utilisaient le service pour mettre en ligne des morceaux dont ils ne possédaient pas les droits. Bien que les labels majeurs voyaient au départ SoundCloud comme un petit joueur, son omniprésence devenait une menace certaine à leurs précieux revenus. Les dirigeants de la plateforme essayaient tant bien que mal de faire supprimer tout téléversement contrevenant à la loi sur les droits d’auteurs, mais le nombre croissant d’utilisateurs rendait la tâche de plus en plus difficile.
Prenant le taureau par les cornes avant que des poursuites n’arrivent sur la table, les représentants de SoundCloud démarrèrent en septembre 2014 le programme de partenariat On SoundCloud. L’idée en était simple : ajouter, en plus du service gratuit rendu rentable par des publicités, des services d’inscriptions payants comprenant des avantages marqués pour l’utilisateur. Grâce à cette initiative, ils signèrent un grand nombre d’ententes avec une centaine de partenaires issus de l’industrie de la musique, histoire d’assurer une répartition des revenus obtenus par l’écoute des morceaux de leurs artistes.
Cette première démarche fonctionna à merveille, car en mars 2015 SoundCloud concluait une entente avec Merlin, une association regroupant plus de 20 000 labels indépendants. L’un des trois plus grands magnats de l’industrie de la musique commerciale, Warner Music Group, avait également joint ses forces à celles de SoundCloud quelques mois plus tôt, solidifiant la position du site. Les autres géants de l’industrie surveillaient pour leur part d’un oeil préoccupé et de plus en plus près la plateforme en ligne, se refusant à une entente formelle, pesant le pour et le contre. Il faut dire que les structures légales entourant des compagnies telles que Sony Music Entertainment (SME) et Universal Music Group (UMG) sont d’une complexité désarmante, mais aussi qu’ils contrôlaient (et contrôlent toujours), à eux deux, plus de la moitié de la musique produite commercialement sur la planète. Voyant de plus en plus d’acteurs de l’industrie embarquer dans le bateau avec SoundCloud, ces deux majors entrèrent en pourparlers pour tenter de trouver un terrain d’entente.
un premier clou dans le cercueil
En juin 2015, après plusieurs mois de négociations, la situation vira rapidement au rouge. Un article parut sur Digital Music News mentionnait que les deux géants, en association avec la RIAA (Recording Industry Association of America) s’apprêtaient à prendre les armes contre SoundCloud, citant une atteinte massive aux lois du copyright. Effectivement, l’idée des fondateurs de conserver une partie du service gratuite ne plaisait pas aux monstres de l’industrie musicale. Pourtant, la position de Ljung, devenu PDG de la compagnie, se défendait à merveille : «Il y a 3 milliards de personnes en ligne, c’est impossible qu’ils s’inscrivent tous à un service payant, ça n’arrivera tout simplement pas. Certains viendront malgré les pubs, et d’autres paieront pour les éliminer.»
Les majors ne voyaient pas les choses de la même façon. SME procéda à faire éliminer tous leurs morceaux apparaissant sur SoundCloud, allant même jusqu’à envoyer des avertissements d’atteintes aux droits d’auteurs pour de courts extraits contenus dans des performances de DJs mettant leurs sets en ligne sur le site. Alors qu’UMG se faisait silencieux après ces rumeurs de poursuites massives, on a dû attendre quelques mois de plus avant d’apprendre une excellente nouvelle pour SoundCloud.
vent d’espoir
Effectivement, les pourparlers s’étaient vraisemblablement remis en branle entre les deux compagnies pendant que SME continuait sa chasse aux sorcières, et on apprit en janvier dernier qu’une entente avait finalement été signée, permettant à SoundCloud de diffuser la musique d’artistes d’UMG (la plus grosse des majors, comprenant une liste époustouflante de groupes). Cette licence permet non seulement aux artistes d’UMG de bénéficier de redevances tirées des publicités présentes sur SoundCloud, mais à des artistes émergents de tous horizons d’utiliser les pistes du catalogue UMG dans des remixes ou des sets de DJs : «Avec UMG à bord, nous pensons avoir l’opportunité de créer un écosystème viable où de multiples formes d’expression cohabitent et où les artistes viennent partager leurs travaux, à toutes les étapes de leur carrière», indiquait SoundCloud via communiqué.
Cette bonne nouvelle n’est pas venue seule, car Wahlforss (maintenant directeur technique de la compagnie) a confirmé du même coup les rumeurs voulant qu’un plan d’abonnements payants verrait le jour au courant de l’année. On ne connait toujours pas les détails de ces niveaux de souscription, mais avec un peu de chance, c’est ce qui fera changer l’arme d’épaule à SME, qui devient maintenant la seule major à ne pas avoir conclu d’entente avec Soundcloud.
encore dans l’eau chaude
Aujourd’hui, avec plus de 175 millions de personnes visitant le site chaque mois pour écouter des pistes d’artistes tout autant obscurs que mainstream et au-dessus de 18 millions de créateurs l’utilisant, la plateforme demeure définitivement l’une des plus populaires malgré la multiplication de services d’écoute en ligne tels que Spotify, Apple Music ou Tidal. Avec les derniers développements légaux, on pourrait croire que SoundCloud est tiré d’affaire pour de bon. Ce serait être un peu trop optimiste.
On apprend maintenant que, malgré tous ces revirements positifs, la compagnie n’est toujours pas tirée d’affaire. Leur bilan financier de 2014 vient d’être rendu public, et la situation est tout sauf rose. En effet, ses frais généraux ont monté en flèche alors que ses revenus n’ont pas suivi la même courbe. Alors que SoundCloud a engrangé 15,37 M€ de revenus en 2014, elle a perdu 39,14 M€. Les salaires de ses employés ont également grimpé de 42,5% dans cette même année, pour un total de 17,9 M€. Le salaire moyen d’un employé de la compagnie est de 79 980€.
Selon ce rapport, alors que la compagnie «avait en 2014 les ressources nécessaires pour continuer d’être en opérations dans un futur rapproché», SoundCloud devenait dépendant de nouveaux investissements en capital pour continuer de fonctionner dès 2015. Le responsable de l’audit de la compagnie, KPMG, a mentionné dans son rapport que ce besoin de nouveaux investissements est «une incertitude matérielle qui fait planer un sérieux doute dans la possibilité pour SoundCloud de continuer à fonctionner.»
perspectives d’avenir
L’entente récente avec UMG pourrait être une porte de sortie, mais il faudra inévitablement que les abonnements payants au service fassent non seulement leur apparition, mais qu’ils soient aussi très populaires si SoundCloud veut rester en activité. On sait que la compagnie aurait réussi à amasser 69,12 M€ en investissements privés durant l’année 2015, mais ces créanciers devront évidemment être remboursés. Ce n’est donc pas une assurance, loin de là.
Quoiqu’il en soit, force est d’espérer que SoundCloud restera en vie. La plateforme a été le tremplin de plusieurs artistes et elle permet aux musiciens plus émergents de distribuer leurs créations partout dans le monde, avec une efficacité qui n’a pas d’égal. Bien que Bandcamp soit une alternative intéressante, l’aspect de réseautage inscrit dans la communauté SoundCloud en fait un outil particulièrement pratique pour les créateurs, surtout au niveau émergent. La perte de cette plateforme serait sans contredit un dur coup pour les plus petits joueurs du monde de la musique.