Betty Bonifassi: À l'unisson
Musique

Betty Bonifassi: À l’unisson

La chanteuse lance un deuxième disque dédié aux chants des esclaves africains. 

C’est une grande passion qui l’anime depuis longtemps. Avec Lomax, son nouvel album, la chanteuse Betty Bonifassi couche sur disque pour une deuxième fois des pièces composées en s’inspirant de chants d’esclaves africains. L’Américain Alan Lomax, à qui l’on dédie cet album qui fait suite à l’homonyme Betty Bonifassi (2014), a fait un travail remarquable d’archivage de musiques du 20e siècle, permettant à des artistes comme Betty Bonifassi de poursuivre la diffusion des chants d’esclaves comme messages d’espoir.

«Ça, dit-elle, en pointant du doigt son disque, c’est montrer l’intelligence de ces esclaves-là et montrer à quel point ils ont créé un médicament dans l’horreur. Quand tu chantes ça, tu vas bien tout de suite.»

Si sur Lomax, Betty Bonifassi revisite quelques titres déjà entendus sur son précédent effort (Berta, Grizzly Bear, Rosie – tous assez contagieux -), c’est que la chanteuse dit avoir près d’une dizaine de versions de chacune des 50 chansons sélectionnées dans le catalogue Lomax.

Mais si l’on connait les refrains, l’énergie est plus roots et blues qu’électro et punk cette fois-ci puisqu’elle a travaillé avec un réalisateur différent, Jesse Mac Cormack (Rosie Valland, Emilie & Ogden). «J’ai eu du plaisir à chaque note qu’il a joué cet enfant-là. Il est vraiment très doué. Je suis fière comme une maman!», dit-elle avec un grand sourire.

Des huit pistes du disque, on retient Old Hannah par sa chaleur et son côté très brut. La chanteuse explique: «Old Hannah, ça veut dire le soleil en langage secret africain. Cette chanson, c’est la préférée de M. Lomax. Les esclaves demandent au soleil de se coucher, ils n’en peuvent plus de travailler. Elle dure huit minutes et on pousse le soleil, quoi! J’en ai fait une version très Bombino, très maghreb. Je voulais qu’il y en ai une parce que ça fait partie de mon oeuvre aussi, la transformation de la musique arabe lorsque mélangée aux groupes africains», précise-t-elle en mentionnant que Coltrane et Hendrix, par exemple, étaient aussi fascinés par les tribus de ces régions-là qui se sauvaient des massacres.

«Ce qui me rapproche des esclaves africains, c’est que ma mère est Serbe et les Balkans du Sud ont été les esclaves de tous les empires européens pendant six siècles et demi, donc plus longtemps que les esclaves africains, explique-t-elle. Je suis très touchée par cette condition-là, le «contre son gré» vient me chercher, c’est très fort.»

Se répondre

D’un point de vue sociologique, ces deux derniers albums de Betty Bonifassi sont fascinants. Les êtres humains ont ce besoin de faire partie d’un groupe, d’évoluer dans une communauté. Les esclaves noirs d’Amérique se retrouvaient à créer des chants pour combattre ensemble l’horreur du quotidien. Ils s’unissaient ainsi pour leur survie. «Oh oui, sur ce disque cette idée est encore plus forte, dit Betty. Comme m’avait dit mon idole Angélique Kidjo cet été quand j’ai ouvert pour elle: «Betty, dans la musique africaine, tout est dans la question-réponse. Les instruments se répondent, les voix se répondent». Et j’ai fait: «criss, je l’ai pas fait sur le premier album». Qui se donne la réponse vocale sur l’album? C’est moi. J’ai construit des back-vocals de moi-même.»

Celle qui se dit humaniste et démocrate a alors voulu faire de Lomax une oeuvre d’«une harmonie absolue, humaine». Elle a recruté le groupe de choristes Les Marjo’s pour lui donner la réponse et dit que les musiciens conversent aussi beaucoup sur le disque.

Betty Bonifassi fait sa part pour raconter l’histoire des esclaves, artistiquement mais aussi socialement. Il y a quelque temps, elle a été invitée dans une classe de lycéens de sa France natale afin de discuter de la pluralité, en partant de l’esclavage. L’expérience est à refaire, dit-elle, satisfaite de cet exercice d’apprentissage. Il faut continuer d’en parler. Le sort réservé aux esclaves déportés en Amérique pendant les 18e et 19e siècles est extrêmement honteux. Lorsqu’on constate qu’aux États-Unis, le tout premier musée consacré à l’esclavagisme a ouvert ses portes l’année dernière… et a été bâti en secret, on se dit qu’il y a encore énormément de travail à faire.

Et au-delà de son immersion musicale, Betty Bonifassi prône haut et fort un retour aux sources. «On vient tous de l’Afrique. Pouvons-nous revenir à cette majeure-là pour reconstruire un monde normal? Moi j’y crois, de revenir à cet accord commun mondial qu’on vient tous de la même place et que notre sauvegarde est dans l’Afrique.»

Dans le cadre de Montréal en lumière, Betty Bonifassi nous convie à un spectacle roots et acoustique de ses deux plus récents albums. Sur la scène du Club Soda, elle sera entourée des Marjo’s et de plusieurs musiciens.

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Lomax (L-A be), disponible le 4 mars.

Concerts: mardi 23 février au Club Soda (Montréal en lumière), samedi 27 février au Carré 150 – Espace culturel de Victoriaville, samedi 26 mars à La Grande Salle (Sainte-Camille), vendredi 22 avril au Pavillon des arts et de la culture (Coaticook).