

Les 30 ans du Balattou: Ancrage culturel
Depuis 1985, le Club Balattou donne une scène à toutes les cultures. L’établissement du boulevard Saint-Laurent célèbre ce mois-ci trois décennies de musiques du monde. Nous en avons discuté avec Suzanne Rousseau, qui est la co-fondatrice du Festival international Nuits d’Afrique et qui a débuté sa carrière au Balattou aux côtés de son fondateur Lamine Touré.
Originaire de la Guinée, Lamine Touré a été danseur et chorégraphe dans sa jeunesse. Il a beaucoup voyagé en Afrique et en Europe avant de s’établir à Montréal en 1974. Il a alors en tête de faire rayonner la richesse et la diversité des musiques d’ascendance africaine puisqu’elles sont à cette époque inconnues au Québec.
En 1976, il ouvre le Café Créole aux coins des rues Jeanne-Mance et Sainte-Catherine. «Le Café Créole accueillait les étudiants africains qui venaient d’arriver, explique Mme Rousseau. C’était vraiment un lieu pour les nouveaux arrivants qui se cherchaient un point de repère. Souvent, M. Touré les guidait pour savoir où aller quand on vient d’arriver, pour faire ses papiers, etc. C’était un restaurant et y’avait des petits spectacles le week-end. C’était fait de façon très «maison» tout ça. Parallèlement, il présentait des concerts ailleurs un peu partout dans la ville, au Café Campus par exemple. Il n’y avait pas de petits bars-spectacle à cette époque. Il n’y avait pas non plus d’affichage de rue. Il le faisait lui-même. Avant même d’ouvrir le Balattou, M. Touré avait fait quand même des choses très significatives au niveau de la culture et du spectacle.»

L’aventure du Café Créole prend fin en 1981, mais M. Touré ouvre le Balattou quatre ans plus tard, à la demande du public qui a besoin d’un lieu d’échange rassembleur. Il se fait acquéreur d’un petit club en plein coeur du quartier portugais de Montréal, sur le boulevard Saint-Laurent, et y ouvre le Balattou, lieu de toutes les cultures. Suzanne Rousseau, alors jeune vingtenaire, a appris les rouages aux côtés de M. Touré, élu Chevalier de l’Ordre national du Québec en 2013. «Je me souviens dès le début, il y avait du monde la fin de semaine. C’était plein à l’ouverture et c’était déjà un acquis. C’était la première place qui accueillait plusieurs cultures mélangées à la fois. Même pour nous c’était tout nouveau. En choisissant Balattou (Bal à tout), il voulait que les gens comprennent que c’est pour tout le monde, de toutes les cultures et que tout le monde se sente chez eux. C’est vraiment un lieu très convivial où les gens retrouvent des gens de leur pays. Ceux qui ont voyagé retrouvent ces musiques-là au Balattou et ceux qui n’ont pas voyagé, eh bien ils voyagent au Balattou! On a presque créé la scène parce qu’il y avait pas beaucoup de scène en musique du monde. Dès le début, on avait des groupes qui venaient de l’étranger et une scène locale qui commençait à se créer.»

Aujourd’hui, la scène locale de musique du monde a un très bon pouls, en grande partie grâce à l’apport du Balattou. Après 30 ans, le défi de l’établissement est de rester pertinent, avoue Mme Rousseau. «L’important est de rester au goût du jour et d’aller chercher les nouvelles générations», dit-elle, ajoutant qu’on de la chance ici puisque Montréal est parfois la seule destination au pays pour certains artistes étrangers en tournée.
Pour agrandir l’offre déjà fort intéressante de son établissement, M. Touré a créé Les Productions Nuits d’Afrique, qui lui permettent de produire des spectacles à l’année aux quatre coins de la ville, et a mis sur pied le Festival International Nuits d’Afrique en 1987, désormais un événement estival majeur à Montréal. «Le festival est un peu à l’image du Balattou. C’est pour ça que la recette du festival est aussi très forte», estime Mme Rousseau. Tiken Jah Fakoly, un habitué de Nuits d’Afrique, revient nous voir dans le cadre des festivités 30 ans à l’année le 6 mai prochain. Si l’on sent que la confiance et la loyauté entre M. Touré et les artistes sont palpables, c’est que le Balattou a agi à titre de tremplin pour bien des groupes et est un phare pour le rayonnement des musiques du monde.

«Quand on regarde tous les grands noms qui ont joué au Balattou, aujourd’hui ces noms-là on les connait, ils jouent au Métropolis, mais à l’époque ils étaient connus dans leur pays où ils jouaient dans des stades tandis qu’à Montréal ils jouaient au Balattou. Baaba Maal, Ismaël Lo, Youssou N’Dour, par exemple. Tout était à faire mais tous ces artistes venaient jouer au Balattou. S’ils étaient venus jouer au Canada et qu’ils n’avaient pas joué au Balattou, leur feuille de route n’était pas crédible! Quand ils retournaient dans leur pays, ils passaient à la télé et ils disaient qu’ils avaient joué au Balattou à Montréal. Le Balattou est plus grand à l’international qu’il l’est ici. Pour eux, M. Touré est un homme mythique.»
Et c’est ainsi qu’il nous permet, depuis 30 ans, de vibrer aux rythmes du monde.
Merci, M. Touré!
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Les 17, 24 et 31 mars, le Balattou célèbre trois décennies de musiques du monde lors de soirées gratuites.
La 10e édition des Syli d’Or, le concours-vitrine des musiques du monde, se poursuit au Balattou jusqu’au 13 avril.
Infos: balattou.com