Alexandre Martel : Appelez-moi Anatole
La La Land l’a transformé, fait de lui le prophète de bonheur qu’il est aujourd’hui. En enfilant le combi-pantalon squelettique d’Anatole, Alexandre Martel s’éclate, choque les oreilles chastes et répand ses paillettes sur une scène locale en manque de glamour.
À Québec, Alexandre Martel est déjà une figure importante de la vague de musiciens de l’ère web post-My Space qui ont sorti leur tête de l’eau à l’orée de la décennie 2010. La mise en ligne du vidéoclip de Annie Hall, tube allenesque qui raisonnera instantanément sur les ondes hertziennes universitaires, marque sa naissance médiatique comme auteur-compositeur-interprète. Dès lors, on sait que le quatuor limoulois Mauves sera l’objet d’articles et qu’on devra surveiller de près l’évolution de sa pop rock teintée par les seventies, aux textes qui témoignent de la culture générale enviable de ses membres. Une plume somme toute assez poétique qui s’explique en partie par les études littéraires d’Alexandre et l’éloquence du cofrontman Julien Déry, partageant avec lui les tâches d’auteur et de chanteur.
Deux albums complets – un plus beatlesque, l’autre résolument progressif – et un maxi très léché plus tard, l’insaisissable Alexandre y va d’une première galette en solo pour un projet déjà étrenné dans les salles de Québec et de la province. Un disque (L.A./Tu es des nôtres) qu’il présente aux journalistes en tenue de scène, le visage peint en blanc, col roulé cramoisi. Un exercice de style total, radical même, qui ne manque pas de faire tourner les têtes dans le café de Saint-Roch où on lui a donné rendez-vous. «Je suis mandaté pour transmettre un message et annoncer l’avènement de la nouvelle L.A. qui ne saurait tarder. […] On regarde encore Jérusalem parce que c’est écrit dans les récits saints, mais le focus a été déplacé sans que la plupart des gens s’en rendent compte.»
Une proposition audacieuse – c’est presque un euphémisme – qui tranche avec la surabondance de folk ambiante, inspirée par Bowie (période Thin White Duke) et Prince «pour le côté pognage de poche». Un acte d’indépendance, même, pour aller à l’encontre de ses contemporains, qu’il ne se gêne pas de critiquer. «Y a clairement une volonté, autant dans les chansons que sur scène, de ramener une esthétique et une manière de concevoir le spectacle musical qui est issue directement des années 1970, qui s’est un peu perdue aujourd’hui et surtout ici avec le superbe culte du folk. […] Je ne pense pas que le folk c’est quelque chose de mauvais ou que les gens ne devraient pas en faire, mais c’est plutôt une option parmi 10 000 autres. Le public est formaté par l’industrie québécoise qui, elle, veut recréer un modèle de chansonniers qui date d’il y a 60 ou 65 ans. C’est ça le problème.»
Le public est formaté par l’industrie québécoise qui, elle, veut recréer un modèle de chansonniers qui date d’il y a 60 ou 65 ans.
Pour Anatole, de toute façon, jouer au gars normal en «jeans et t-shirt» est un mensonge. «Il faut que le public en soit conscient, qu’il puisse accepter une proposition scénique pour ce qu’elle est et ne pas voir ce qui déroge de l’authenticité comme des béquilles pour pallier certains manques, des trucs pour se cacher. Tout le monde se cache sur scène.» Puisqu’il faut mettre un masque, aussi bien incarner ses fantasmes sans honte ni détour.
Rétro-futurisme alla Giorgio
Avec L.A./Tu es des nôtres, Monsieur A. explore l’électro «analogique» qui fait fi des technologies actuelles, des ordinateurs en fait. Une instrumentation axée sur les synthétiseurs d’autrefois (comme le Korg Ms-10) qui, par moment, donne l’impression d’écouter la trame sonore d’un film de science-fiction des années 1980. «Les albums électropop d’aujourd’hui ont un spectre de fréquence vraiment large, il y a beaucoup d’aigus, beaucoup de basses et c’est très clair. Nous, on ne voulait pas ça, on voulait que ce soit un truc bien serré au centre. Je suis tanné des disques qui sonnent tous pareils!»
[vimeo]122789964[/vimeo]
«Nous», c’est son band – ses claviéristes Simon Paradis et Jean-Michel Letendre-Veilleux, son batteur Jean-Étienne Collin Marcoux et son propre frère Cédric à la basse. Des musiciens vêtus de chiennes de peintres relégués au deuxième plan, figurants complices de ses strip-teases et autres écarts de conduite savamment mis en scène. Un goût du théâtre qui s’étend au format de la comédie musicale, idée qu’il médite pour la suite des choses. «Pas de style Broadway, mais un spectacle à plus grand déploiement qui combinerait danse, théâtre, musique. C’est dans les cartons, je ne peux pas en dire plus.»
L.A./Tu es des nôtres
Disponible maintenant
(Pantoum Records)
Concerts: 7 avril au District Saint-Joseph (Québec), 22 avril à La Petite Boîte Noire (Sherbrooke), 28 mai à La Taverne (Saint-Casimir).
Anatole sera en concert également le 16 avril au Théâtre Plaza dans le cadre du Festival Vue sur la relève.
// Mise à jour, 1er juin à midi: Anatole sera de passage à Montréal, et plus précisément au Divan Orange, ce mercredi 8 juin à 21h30. Un double plateau avec YOKOFEU.