Genres musicaux décomplexés
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Genres musicaux décomplexés

Un pianiste classique s’associe à un label canadien au fort penchant indie rock et un trio jazz signe avec l’étiquette de disques de Yann Perreau et Lisa LeBlanc. Assisterait-on à une nouvelle ère où ces genres musicaux seraient décomplexés? Analyse.

Il y a de ces genres musicaux qui peuvent être intimidants pour le mélomane moyen tellement leur histoire est riche. Par où commencer si on veut se frayer un chemin en musique classique ou en jazz, par exemple? Les jeunes auditeurs ont besoin de portes d’entrée. On écoute alors les grands: Bach, Louis Armstrong. Aujourd’hui, on remarque une tendance qui penche vers un autre type de portes d’entrée chez ces deux genres musicaux: de jeunes artistes qui se détachent légèrement des milieux typiquement jazz ou classique en sortant leur album sur des étiquettes plus établies, au catalogue varié.

Cameron Reed, directeur marketing du label torontois Arts & Crafts, a mis sous contrat le pianiste québécois Jean-Michel Blais l’année dernière après l’avoir repéré sur la plateforme Bandcamp. Cette association permet d’aller chercher des oreilles aiguisées au classique, mais aussi des mélomanes avertis, friands de ce qu’offre normalement le label (Feist, Broken Social Scene, Timber Timbre). La pièce Nostos, premier extrait de l’album de solo piano Il de Jean-Michel Blais, s’est retrouvée dans les palmarès d’Hypemachine et de Spotify. Le pari semble donc fonctionner. «Si tu sors un disque sur un label classique, y a de fortes chances que la majorité des gens que tu rejoindras soient des fans de musique classique, et c’est absolument pas notre approche, dit Cameron Reed. On veut vraiment trouver un public le plus large possible pour la musique de Jean-Michel.»

Même son de cloche chez l’écurie montréalaise Bonsound, qui a sorti il y a quelques semaines l’album éponyme du trio jazz Misc. Le groupe a changé son nom récemment pour sortir des nomenclatures habituelles du genre musical. «Le Trio Jérôme Beaulieu avait une certaine notoriété. Là, on change le nom et l’image, donc on essaie de rejoindre les fans que le groupe avait déjà et d’aller en chercher des nouveaux aussi, avec une image un peu plus jeune et trendy, explique Alexandre Caron, responsable de la mise en marché des albums chez Bonsound. On essaie de les faire connaître à ceux qui suivent Bonsound mais aussi de plaire aux amateurs de jazz traditionnel.»

Amener les fans de Lisa LeBlanc ou de Milk & Bone à prendre goût au jazz, c’est inspirant! Et cette ouverture de Bonsound est totalement réciproque pour Misc, qui a fait ses classes dans le monde du jazz ces dernières années et qui a deux autres albums à son actif. «C’est une occasion pour nous et pour notre génération d’établir un nouveau modèle d’affaires par rapport à la musique, de trouver de nouvelles façons pour que notre musique rejoigne les gens», explique le pianiste et compositeur Jérôme Beaulieu. «Le jazz est un style de musique qui a tendance à être de niche. On nous dit souvent: « C’est malade! Je n’aime pas le jazz, mais ce que vous faites, j’aime ça ». Plus j’entends ça, plus ça conforte mon idée que c’est pas tant un problème que les gens aiment pas cette musique-là, mais un problème de diffusion, qu’il faut penser en dehors du cercle fermé de ceux qui aiment le jazz et qu’il faut oser l’amener ailleurs, dans d’autres milieux, et le présenter à des gens pour qui le jazz c’est Miles Davis et Frank Sinatra.»

Une grand-mère et un hipster

Si de bons labels et de bons artistes prennent ensemble le pari d’ouvrir les portes de la diffusion de ces musiques, c’est aussi peut-être signe qu’il y a aujourd’hui une curiosité qui s’est installée chez un public averti. «Depuis que tu vas à la Casa del Popolo et que t’entends les Variations Goldberg de Bach jouées par Glenn Gould, y a comme une ouverture d’esprit chez le hipster moyen, qui sort un peu de son carcan, affirme Jean-Michel Blais. Pitchfork a commencé à intégrer plein de genres de musique, du world, de l’instrumental… J’ai l’impression que l’approche classique n’est plus réservée juste aux têtes grises. Moi, c’est un peu mon idéal aussi. Si dans une salle j’ai une grand-mère, mais que j’ai des enfants et deux hipsters dans le coin, j’ai l’impression que je fais à la limite un travail de restructuration de classes sociales.»

Le compositeur montréalais espère aussi que les mondes «indie» et plus classique traditionnel se retrouveront en fin de compte. «Je pense que j’amène le classique à quelque chose de plus accessible. Peut-être que les puristes diraient: « C’est vide, c’est de la merde », et je peux comprendre… C’est sûr que ce que je fais n’est pas aussi riche qu’une pièce de Bach. Par contre, si ça amène les gens à s’intéresser plus au piano, que ces gens-là commencent à s’intéresser plus au classique et à Bach et qu’après ça ils achètent des albums classiques plus puristes, ben peut-être que ceux-ci seront contents. Si ça ouvre des portes, y a peut-être une fonction là.»

Au final, espérons que cette tendance convaincra aussi les publics à prêter l’oreille. «Est-ce que c’est un bon move pour un band jazz de se séparer de la scène jazz? On verra», conclut Jérôme Beaulieu.

Roulez jeunesse!

Misc / photo: LePetitRusse
Misc / photo: LePetitRusse

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L’album éponyme de Misc (Bonsound) est maintenant en vente; L’album Il de Jean-Michel Blais (Arts & Crafts) également