L’Opéra à Québec : Floraison lyrique
Morosité économique, productions onéreuses, public vieillissant. Alors que les maisons d’opéra d’Amérique mangent leur pain noir, Québec échappe miraculeusement à la dégringolade.
Doubler le taux de fréquentation en pleine crise c’est, grosso modo, l’exploit accompli par Grégoire Legendre, le directeur général et artistique de l’Opéra de Québec. «Il y a des compagnies qui ont fermé aux États-Unis et même au Canada, notamment à Ottawa et Hamilton. Ici, on dirait qu’on est arrivés au bon moment avec le festival, ça nous a donné une belle visibilité.»
Un événement qui, depuis sa création en 2011, comble un vide dans une ville plongée en état d’hibernation artistique entre le FEQ et la rentrée, une période presque morte en musique comme au rayon scène – les quatre théâtres étant fermés de juin à septembre, de la fin du Carrefour au début de la saison régulière. La soliste de renommée internationale Marianne Fiset croit cependant que le festival ne doit pas exclusivement son succès à son positionnement stratégique dans le calendrier. «Le Festival d’Opéra de Québec se compare facilement avec ce qui se fait en Europe et qui est traditionnel à leur culture. […] On est chanceux d’en avoir un à Québec d’aussi grande qualité que les événements de France, d’Autriche, de Belgique. Je pense que Grégoire Legendre est un visionnaire, il a beaucoup de flair.»
L’estimé administrateur, autrefois chanteur, a lui-même tracé son chemin jusqu’à la maison rouge de la rue Taché, quartier général de l’Opéra de Québec, avec un parcours académique sur mesure: études supérieures au Conservatoire, maîtrise en musique et baccalauréat en administration des affaires. La tête bourrée d’idées, il entre en poste en 1994, d’abord aux côtés du directeur artistique Bernard Labadie. C’est sous leur règne conjoint que démarre le concept de générales publiques ouvertes aux élèves des écoles secondaires de la région. Une formidable façon de faire du «développement de public», pour reprendre une expression du jargon de l’industrie du spectacle.
Joseph Rouleau, patriarche de l’opéra canadien, n’avait lui aussi que de bons mots à l’endroit de Grégoire Legendre, celui à qui il a, en quelque sorte, passé le flambeau. «J’avais créé le Mouvement d’action pour l’art lyrique du Québec en 1976, alors que j’habitais encore à Londres. J’ai fondé ça en ayant trois objectifs: la création d’une compagnie d’opéra à Montréal, la création d’une compagnie d’opéra à Québec et la création d’une école supérieure d’opéra au Québec.» Trois missions concrétisées dans les années 1980 et un pas de géant pour le milieu d’alors, économiquement instable mais peuplé de chanteurs comme M. Rouleau et Richard Verreau qui brillaient déjà à l’international.
«La compagnie la plus solide depuis Champlain»
L’histoire locale de l’art lyrique remonte à bien avant l’Opéra de Québec (fondé en 1983), l’Opéra du Québec (1971-1975), la Société lyrique d’Aubigny (fondé en 1968) et le Théâtre lyrique de Nouvelle-France des années 1960. Les recherches du musicologue Bertrand Guay l’ont fait remonter jusqu’en 1782. Cette année-là, on présentait The Padlock de Charles Dibdin, «un opéra anglais qui n’avait rien à voir avec les grands opéras de Mozart ou Verdi».
Puis, viendra 1853 et l’inauguration d’une salle importante, communément appelée L’Académie Saint-Louis (bien que ledit nom ne fut jamais officialisé), située sur la rue homonyme, à l’actuel emplacement de la Galerie d’art inuit Brousseau et Brousseau. «C’était l’une des plus belles salles d’Amérique, semble-t-il. J’ai vu quelques photos de l’extérieur et une gravure de l’intérieur et c’était effectivement magnifique, très moderne pour l’époque. […] À partir de là, on a commencé à recevoir les grandes troupes d’opéra des États-Unis, surtout, mais aussi de l’Angleterre et d’ailleurs.» La fin sera néanmoins abrupte pour le lieu de diffusion puisque – coup de théâtre! – la bâtisse sera la proie des flammes en 1900.
Dès lors, le maire Simon-Napoléon Parent propose de construire une nouvelle salle et c’est ainsi que, trois plus tard, on inaugure le Théâtre de l’Auditorium rebaptisé Capitole de Québec quelques décennies plus tard. En l’an de grâce 1903, justement, M. Guay estime qu’un opéra est présenté un jour sur trois dans la capitale. «L’activité musicale était riche, mais souvent mal structurée. Il n’y avait pas d’organisme de production, c’était surtout les directeurs de théâtre qui engageaient [les troupes]. […] Il ne faut pas oublier que l’OSQ et le Club musical ont respectivement été fondés en 1902 et 1891. Les compagnies d’opéra ici ont longtemps été très éphémères. L’Opéra de Québec est probablement la compagnie la plus solide depuis Champlain!»
Une puissance mondiale
Joseph Rouleau découvre sa voix à 17 ans, et par pur hasard, alors qu’il faisait ses études classiques au Collège Jean-de-Brébeuf. Ce sportif aux ambitions d’avocat ou d’ingénieur était bien loin de se douter que son don lui servirait de passeport, lui permettrait de faire le tour du monde bien des fois et même d’endisquer avec des super-vedettes comme Maria Callas.
C’est dans les concours amateurs que le jeune basse fera ses dents avant de remporter le Prix Archambault en 1949, prestigieux honneur d’autrefois qui l’amènera à côtoyer Wilfrid Pelletier. «Il m’a dit: “Mais mon p’tit, d’où venez-vous?” J’ai dit que je venais de Matane et que j’étais à Brébeuf, pour ensuite aller à l’université. Il m’a répondu: “Mais faut venir au Conservatoire!” Moi, je savais même pas où c’était.» Son diplôme en poche, le Bas-Laurentien entame des études en Italie avant d’auditionner pour le Covent Garden. «J’ai chanté trois airs puis le directeur s’est avancé et il m’a dit: “My boy, est-ce vous désirez joindre le Covent Garden de Londres?” J’ai failli perdre mes pantalons.» Il y restera pendant 30 ans.
Marianne Fiset, comme bien d’autres, fait partie de ce groupe de chanteurs à la voix d’or qui marchent dans les pas de M. Rouleau et qui ont eu la chance de le croiser alors qu’il était président (lire: mentor) des Jeunesses musicales du Canada. Marie-Nicole Lemieux, Frédéric Antoun, Marc Hervieux, Julie Boulianne, Éric Laporte… Le Québec est réellement une puissance mondiale en chant lyrique. Mais comment expliquer pareille éclosion? La soprano a son hypothèse. «Y en a des dizaines et c’est quand même assez particulier, compte tenu de la population. On a une bonne tradition vocale dans l’enseignement, des bons professeurs, des bonnes institutions… Mais je me suis toujours demandé si ce n’était pas en lien avec notre accent. C’est une théorie personnelle, mais je trouve que notre façon de parler est déjà très ouverte, plus large, contrairement par exemple aux Français qui parlent plus pointu. Peut-être que ça nous prédispose à former un son plus naturel pour l’opéra!»
La Bohème de Puccini
(Avec Marianne Fiset)
Les 14, 17, 19 et 21 mai au Grand Théâtre de Québec
Une production de l’Opéra de Québec