Lee «Scratch» Perry: Dub doux dingue
Le légendaire Lee «Scratch» Perry vient célébrer les 40 ans de son fantastique album Super Ape en compagnie du Subatomic Sound System et de ses musiciens. Événement.
Tous les amateurs de dub, de reggae, de musique électronique, de hip-hop, de post-punk et bien au-delà le connaissent ou ont entendu parler de lui; Lee «Scratch» Perry est un pilier de la musique jamaïcaine, un personnage plus grand que nature, fantasque, imprévisible, insaisissable, mythique autant que mystique. Si ses frasques et ses costumes exhubérants ont aidé à alimenter la légende, c’est surtout sa musique et sa façon de la concevoir et de la travailler qui ont fait de Lee «Scratch» Perry un monstre sacré du reggae et du dub. Car si il est ni l’inventeur de l’un et de l’autre, il est celui qui a insuflé le plus de folie et de créativité aux deux genres, intégrant à ses productions échantillonages, rythmiques africaines, grooves soul et cuivres jazz entre autres.
Rétro modernisme
Les albums incontournables de Lee Perry sont nombreux, autant sous son propre nom qu’avec les Upsetters ou en compagnie de la pléiade d’artistes et de producteurs avec lesquels il a travaillé depuis la fin des années 1960, mais s’il y a un album qui revient immanquablement sur toutes les listes, c’est sans contredit le Super Ape de 1976, considéré par plusieurs comme la pierre angulaire du dub, l’album le plus significatif du maître. «Lee «Scratch» n’aime pas trop revisiter ses anciens albums», précise Emch, leader du Subatomic Sound System de New-York avec qui monsieur Perry collabore depuis 2007. «J’ai insisté auprès de Lee pour qu’on revisite ce grand classique en lui insuflant une certaine touche moderne, quelque chose de plus électronique tout en gardant un fort aspect organique. Quand ce disque a été enregistré en 1976, la technologie ne permettait pas d’obtenir des sons de basses et de batterie aussi puissants que ceux qu’on arrive à tirer des machines actuelles. Et la basse et la batterie sont les assises de ce disque. L’idée est d’amalgamer ça à des percussions et des cuivres authentiques, pas des trucs en boîte comme le font un tas de groupes de reggae. De mon côté je mixe en direct et j’ajoute un tas d’éléments sonores en m’arrangeant pour que l’auditeur ne sache plus trop si ces sons proviennent des musiciens ou de mes machines. Il y a beaucoup de place pour l’improvisation et il arrive aussi que Lee Scratch inverse l’ordre des chansons, les écourte ou les allonge, décide de jouer différents morceaux… Car en plus de reprendre l’album Super Ape au complet, nous revisitons aussi quelques chansons du répertoire de Lee Perry. Il faut savoir que nous avons en tout une trentaine de morceaux avec lesquels nous pouvons jongler, ce qui fait qu’aucun spectacle ne ressemble au précédant». Pour s’assurer de mener à bien le concept, Emch et son crew ont recruté le vétéran percussioniste jamaïcain Larry McDonald (qui a joué avec tout le gotha du reggae), le chanteur/MC new-yorkais Screechy Dan (Shaggy & Red Foxx, Masters at Work, Kenny Dope…) et le saxophoniste Troy Shaka Simms (Brooklyn Gypsies, Mobius Collective).
Le dub descend du singe
«Super Ape c’est le monde, le globe, l’univers, le créateur, l’Est, l’Ouest, le Nord et le Sud. Super Ape is super great», répond Lee Scratch lorsqu’on lui demande pourquoi, 40 ans après sa création, cet album est toujours aussi pertinent. «Super Ape est dans tous les livres, il est partout dans le monde, même en Angleterre: chez la reine Elisabeth, le prince Charles, le prince William, la princesse Kate… C’est la super marijuana, le super collie bread, le super ganja bread, le super god bread et le super magic bread, la superscience, la paix Super Ape», poursuit le professeur Tournesol du reggae avant de lancer dans une diatribe incompréhensible sur le tonnerre, les éclairs, le soleil et de se mettre à fredonner spontanément et de manière complètement improvisée «sunshine, blue skies, please don’t go away, I will follow another, I’m coming to Vancouver. I’m coming to Canada, with wa da da and my da da. It may sound strange but I come with my flame, and its gonna rain rain rain, and after the rain I’ll scratch my brain, in Canada. Ça te plaît?»… Interviewer Lee Scratch Perry c’est ça. Tenter de tirer quelque chose de cohérent et de décrypter ce qu’il vous chante ou raconte relève de l’exploit.
Tout au long d’une entrevue qui dura une bonne vingtaine de minutes, Lee Scratch Perry – rejoint chez lui en Suisse – a parlé du feu, des vampires, de Jésus Christ, de raggamuffin et a chanté à plusieurs reprises. «Je ne joue pas de musique de raggamuffins, je fait de la musique spirituelle. Je suis anti cana, anti nada, anti dada, anti ragga et anti puffin. Je ne sais pas ce que le concert va donner à Montréal mais ce ne sera pas du raggamuffin…». «C’est un personnage profondément mystique et j’ai moi-même du mal à comprendre ce qu’il me dit même après toutes ces années», admet Emch qui de son côté demeure à New-York. «Il faut savoir lire entre les lignes, savoir que lorsqu’il parle par exemple de vampires, il fait allusion à tous ces gens qui tentent de lui soutirer quelque chose, comme à l’époque du studio Black Ark». À ce sujet, le Subatomic Sound System et Lee Perry ont récemment fait paraître Black Ark Vampires, un furieux morceau néo-dub incandescent où le tourmenté génie revient sur l’incendie qui a détruit son studio de Jamaïque en 1978. Curieusement, son studio suisse Secret Laboratory a aussi été consumé par les flammes en 2015… «Ce sont les mêmes vampires qui ont brûlé mes deux studios. Des mauvais œufs, des œufs pourris», lance avec véhémence Lee Perry bien qu’il ait toujours affirmé que c’est lui qui avait mis le feu à son propre studio (par dépit ou découragement ou dans un accès de folie) et qu’il est fort probable qu’il ait fait subir le même sort à son studio helvète. «Il y a le Black Ark, d’autres ont le Red Ark, il y a l’Ark béni, mais il n’y a qu’un seul Ark, l’Ark que j’aime, en équipe avec Dieu, en équipe avec le duppy conqueror, qui a conqui Bob (Marley), qui a conqui Peter (Tosh), qui a conqui Bunny Wailer, qui a conqui les Wailers et qui bientôt va conquérir Montréal».
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Lee Perry en concert à Montréal le vendredi 13 mai au Club Soda.