Le son du ROC : Les artistes francophones qui font sonner le Rest of Canada
Musique

Le son du ROC : Les artistes francophones qui font sonner le Rest of Canada

De Ponteix aux Hôtesses d’Hilaire en passant par Pandaléon, Arthur Comeau et McLean, les artistes francophones talentueux sont de plus en plus nombreux dans le «Rest of Canada» (ROC). Afin de poursuivre leur ascension, ceux-ci doivent-ils, un jour ou l’autre, s’expatrier au Québec? Si la réponse semblait unanimement positive il y a plus d’une décennie, elle paraît un peu plus nuancée aujourd’hui.

Natif du tout petit village ontarien de Saint-Bernardin, le trio post-rock Pandaléon n’a pas du tout l’intention de déménager à Montréal, même si son rayonnement en Ontario reste somme toute modeste. «Il y a plein de gens qui nous disent d’aller à Montréal parce que ce serait supposément là que ça se passe. Nous, on ne croit pas à ça», indique le chanteur Frédéric Levac. «En ce moment, ça se passe partout, la musique. Des frontières, il n’y en a plus. Si les gens trippent sur ce que tu fais, ils s’en foutent d’où tu peux bien venir.»

Des cas de figure de la sorte, il y en a plein dans le ROC. Et c’est particulièrement le cas en Acadie, là où plusieurs artistes (notamment Joey Robin Haché, Simon Daniel, Cy, Les Hôtesses d’Hilaire et Arthur Comeau) choisissent délibérément de rester fidèles à leur terre d’origine. «Ce sont des gens très attachés à leur région», résume Carol Doucet, gérante d’artistes installée à Moncton et directrice de la boîte Le Grenier musique. «Pour eux, venir s’installer au Québec n’est pas un gage de réussite.»

Directrice de l’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM), qui travaille à «l’épanouissement de la chanson et de la musique francophones de l’Ontario et de l’Ouest canadien», Nathalie Bernardin remarque également un changement de paradigme: «Il y a 20 ans, le Québec était un passage obligé. Je pense, entre autres, aux filles de Hart rouge, qui avaient dû partir de leur communauté fransaskoise pour aller s’essayer à Montréal. Mais, depuis l’arrivée des nouvelles technologiques, qui a permis la démocratisation de la musique, il n’y a plus nécessairement de point central. Ça permet, par exemple, à un groupe comme Pandaléon de pouvoir vivre de sa musique tout en restant dans son patelin.»

Résultat: l’industrie musicale francophone se développe plus largement dans certaines autres provinces canadiennes. «Ça a des effets directs sur les professions complémentaires, comme les gérants, les relationnistes et les producteurs. Il y en a maintenant beaucoup plus qu’avant en Ontario et au Nouveau-Brunswick», observe Nathalie Bernardin. «Généralement, la production musicale francophone est aussi plus stable partout au Canada. Il y a cinq ans, je l’aurais décrite comme cyclique et ponctuée de hauts et de bas. Maintenant, elle se nourrit d’elle-même. Les artistes qui restent dans leur communauté deviennent, en quelque sorte, des mentors pour la relève.»

Loin de rester enfermés dans leur coin de pays, certains artistes sillonnent de long en large les nombreux marchés francophones canadiens, notamment grâce au programme Vitrines musicales de MusicAction, qui favorise la circulation des artistes de minorité francophone en leur permettant de réduire considérablement les coûts de leurs déplacements.

Ainsi, il semble souvent plus simple pour un artiste francophone du ROC d’aller jouer dans une autre province que le Québec, souvent considéré comme un marché plus difficile d’accès. «Les alliances et les liens entre les diffuseurs et les gérants sont relativement étroits entre les autres provinces. L’APCM, par exemple, a des liens privilégiés avec des organisateurs de festivals des Maritimes», remarque Samuel Perreault, chroniqueur web à l’émission franco-ontarienne BRBR. «Au Québec, c’est différent puisque la compétition est déjà très forte. C’est un écosystème en soi.»

Montréal, l’écosystème

C’est d’ailleurs pour cette raison précise que Jean-Étienne Sheehy, également chroniqueur à BRBR, croit que, dans la majorité des cas, les jeunes artistes franco-canadiens ont tout intérêt à venir s’installer dans un écosystème musical aussi vivant que Montréal. «Ça leur permet d’être à l’affût de ce qui se fait de bon sur la plus grosse scène musicale francophone du pays», fait-il remarquer. «Dans leur village, ils sont parfois uniquement exposés à ce que leurs amis font. C’est souvent pour ça qu’après, ça devient difficile de percer le marché québécois.»

Pour le groupe indie rock fransaskois Ponteix, qui s’est rendu jusqu’en demi-finales aux Francouvertes 2016, l’expatriation montréalaise est une option de plus en plus tentante. «Il y a quelque chose à Montréal qui m’attire, qui m’excite. C’est sûr que c’est ici qu’on veut faire de la musique», admet le chanteur Mario Lepage. «Chez nous, il n’y a pas beaucoup de gens et encore moins de jeunes qui écoutent de la musique en français. Ça devient difficile de rejoindre notre public cible.»

C’est également dans le but d’agrandir son auditorat que Lisa LeBlanc a, il y a cinq ans, fait le saut officiel dans la métropole québécoise, tout comme l’ont fait Damien Robitaille, Radio Radio et, plus récemment, Joseph Edgar.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que, pour Lisa, le jeu en a valu la chandelle. «Après avoir fait Granby, je savais qu’il fallait que je décolle et que je fasse autre chose. Autant j’aimais le Nouveau-Brunswick, autant j’avais besoin de faire un gros move qui allait me déstabiliser», se souvient la chanteuse acadienne. «Je ne crois pas que c’est une obligation de venir s’installer à Montréal, mais pour moi, c’était quelque chose de très naturel. Il fallait que je le fasse.»

La clé: un pied-à-terre au Québec?

Signée sous l’étiquette montréalaise Bonsound, Lisa LeBlanc retourne tout de même souvent dans son patelin, ne serait-ce que pour prendre des vacances ou pour s’inspirer de nouvelles chansons. Son exode à Montréal lui facilite les choses de manière administrative et lui permet d’avoir un rayonnement plus large.

«Je ne crois pas que Lisa aurait eu la même visibilité si elle n’avait pas fait paraître son premier disque sous une étiquette québécoise», projette Jean-Étienne Sheehy. «En fait, dans tous les cas, les artistes franco-canadiens ont tout à gagner d’avoir un pied-à-terre au Québec.»

Respectivement installés à Clare (Nouvelle-Écosse) et à Moncton (Nouveau-Brunswick), les artistes acadiens Arthur Comeau et Les Hôtesses d’Hilaire ont compris cette réalité. Alors que le premier est signé sous l’étiquette de Québec P572, le deuxième fait affaire avec la boîte de développement culturel montréalaise Let Artists Be (L-A Be).

À l’instar de Pandaléon (signé sous Audiogram), ce «pied-à-terre» leur permet d’avoir un rayonnement médiatique notable à travers la province québécoise, sans avoir à déménager. «C’est avec des exemples de la sorte qu’on se rend compte que, oui, le Québec est encore un passage obligé, mais plus nécessairement de la même façon», analyse Samuel Perreault de BRBR. «Avant, fallait partir de son village pour s’installer à Montréal et essayer de s’insérer dans le réseau montréalais. Maintenant, on peut rester dans sa ville, profiter des subventions de notre province, puis ensuite tenter d’intéresser le Québec.»

Et au-delà du Québec, c’est bien entendu la multiplication des marchés possibles qui, à long terme, est le plus bénéfique. À cet effet, les nombreuses vitrines musicales canadiennes (ROSEQ, Contact ontarois, bourse Rideau, Contact Ouest, Francofête en Acadie) se présentent comme des lieux de rencontres incontournables pour tout artiste franco-canadien désirant accumuler les spectacles partout au Canada et, parfois même, se faire repérer par un diffuseur français, belge ou suisse. (O.B.-M.)


­L’Acadie

Dans les provinces de l’Est, les communautés francophones sont plus volumineuses que dans l’ouest du pays. Il y a beaucoup de variété chez les artistes acadiens francophones, le public est là pour eux et ils peuvent profiter des nombreuses ressources efficaces à leur disposition. Petit tour d’horizon sur la diffusion de la musique francophone en Acadie.

Les Hôtesses d'Hilaire
Les Hôtesses d’Hilaire

Le Nouveau-Brunswick a plusieurs avantages à cet égard: c’est la seule province officiellement bilingue au Canada (donc il y a beaucoup plus de francophones), c’est à proximité des grands réseaux au Québec, mais il y a beaucoup de mouvements du côté de la Nouvelle-Écosse également. Autour de la baie Sainte-Marie, par exemple, on retrouve le quatuor de folk traditionnel Cy – participant aux 20es Francouvertes récemment – ainsi qu’Arthur Comeau (ex-Radio Radio, maintenant en solo). Son travail dans la communauté est notable puisqu’il est devenu en quelque sorte un mentor.

«Avec son projet la Tide School [un projet de label qui regroupe des artistes acadiens de la Nouvelle-Écosse comme Young Corleone et Denzel Subban], Arthur Comeau est allé recruter plein d’artistes émergents de la baie Sainte-Marie, explique Jean-Étienne Sheehy. C’est inspirant de voir ça, puisqu’en quelque sorte, il redonne à la communauté.»

De l’entraide, il y en a chez les Acadiens. Avant de remporter le Festival de la chanson de Granby en 2010 à 20 ans et d’avoir tout le succès qu’on lui connaît, Lisa LeBlanc était imbibée de culture acadienne dans son village de Rosaireville au Nouveau-Brunswick. C’est l’appui de sa communauté qui l’a poussée vers les sommets des palmarès.

«Ce qui est vraiment cool du Nouveau-Brunswick, c’est que les gens vont te faire jouer jusqu’à ce que tu aies une base, aussitôt que tu commences à faire de la musique, dit-elle. Un des premiers trucs que j’ai faits, c’est Accros de la chanson, un genre de Secondaire en spectacle pour auteur-compositeur-interprète en band ou solo [les Hay Babies et Caroline Savoie y ont également fait leurs dents]. C’est une première formation musicale pour les écoles francophones du Nouveau-Brunswick. Si tu fais les finales, tu fais un démo avec un réalisateur dans les studios de Radio-Canada à Moncton, t’as des formations, tu joues des shows et souvent t’as des prix associés à ça. C’est pas long que tu commences à jouer beaucoup. J’ai eu la chance d’avoir été bien entourée et de faire des shows dans des super salles au début de ma carrière. La communauté est forte à la base, au Nouveau-Brunswick, et la communauté en musique est extraordinaire. Y a tellement du bon monde qui travaille là-dedans. C’est comme une seconde nature d’aider, parce que tu veux que le talent se multiplie.»

La communauté est tissée serré, les radios communautaires et les festivals locaux diffusent des artistes émergents et les concours les propulsent. Il y a plusieurs organismes comme La Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick qui soutiennent aussi la relève. Carol Doucet fait partie de ces acteurs du milieu qui se consacrent à l’émergence acadienne, elle qui a notamment été gérante pour Lisa LeBlanc. «La meilleure organisation de musique francophone – après le Québec – est au Nouveau-Brunswick parce qu’on a tout ce qu’il faut: des réseaux de tournées, un très bon distributeur de disques (Distribution Plages), des grands événements comme la Francofête et beaucoup d’équipes. Dans les autres communautés francophones, les artistes ont des réseaux, mais c’est moins organisé, il n’y a pas beaucoup de labels ou de distributeurs. Nous, on a vraiment une industrie. On a des acteurs de l’industrie de la musique et l’industrie fonctionne.»

Le succès n’est pas garanti pour tout le monde, bien sûr, mais on sent qu’il y a de la place pour toutes sortes de genres musicaux en Acadie. Si Lisa LeBlanc est l’emblème du folk-country qui a du chien, Radio Radio l’est du côté du rap en chiac. Et aujourd’hui, Les Hôtesses d’Hilaire et leur rock psychédélique savoureux font rage. Quand la carrière est sur de bonnes bases, ces groupes peuvent ensuite trouver les réseaux où ils pourront évoluer, que ce soit au Québec ou en Ontario ou encore dans les provinces de l’Est.

Si Lisa LeBlanc est installée à Montréal, elle sera toujours Acadienne et son public acadien qui la suit depuis ses débuts ne la lâchera pas de sitôt. Son conseil pour les artistes de la francophonie hors Québec? «Allez voir les gens dans les organismes et les gens du milieu qui diffusent la musique locale et posez des questions, parce que leur job c’est d’aider et ils sont super contents de le faire. Il faut aller voir des shows et connaître sa scène aussi. Si tu viens de l’Ontario, c’est qui les artistes ontariens? Connais-tu leur musique? C’est cool de commencer localement avant de voir le « big picture ». Tout le monde a sa façon de faire, mais moi j’ai commencé par ça. T’as tellement de bons groupes de soutien quand tu viens de minorités francophones. Y a des ressources, donc utilisez-les parce qu’elles sont là pour ça.» (V. T.)


­L’Ontario

Une décennie après l’éclosion de Damien Robitaille, la scène musicale franco-ontarienne se porte plutôt bien. Si, à elles seules, les subventions gouvernementales ne peuvent garantir une carrière florissante pour la grande majorité des artistes ontarois, elles permettent, à tout le moins, leur survivance.

Pandaléon, photo : Julien Lavoie
Pandaléon, photo : Julien Lavoie

Le journaliste gatinois Samuel Perreault s’intéresse tout particulièrement à ce qui se passe de l’autre côté de la rivière des Outaouais. «Depuis cinq ans, il y a vraiment beaucoup de bon stock franco-ontarien qui sort. Je pense entre autres à McLean, Yao, Mehdi Cayenne Club, Pandaléon…» énumère-t-il.

Gagnant de trois statuettes au gala des prix Trille Or 2015 (l’équivalent ontarois du Gala de l’ADISQ), le trio post-rock Pandaléon, installé à Saint-Bernardin, est sans doute l’un des principaux leaders de cette scène revigorée.

Le chanteur du groupe Frédéric Levac a, lui aussi, remarqué un certain boom musical dans la province où il habite. «Les productions sont beaucoup plus nombreuses qu’avant. Je dirais même qu’on commence à avoir une certaine stabilité en terme de quantité», remarque-t-il. «Disons qu’on est loin des méchants trous noirs des années 1990, durant lesquelles il se passait pratiquement rien.»

Si l’énorme succès d’un Damien Robitaille a potentiellement influencé les jeunes Franco-Ontariens à choisir de chanter dans leur langue maternelle, il faut regarder dans les coulisses pour constater les principales raisons de cet essor.

L’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM) joue un rôle prédominant sur son territoire. En plus de contribuer à l’organisation de Contact ontarois, un événement incontournable pour les arts de la scène francophone en Ontario, c’est elle qui organise les prix Trille Or, le festival Quand ça nous chante! (s’adressant aux jeunes musiciens des écoles secondaires franco-ontariennes), ainsi que la résidence artistique Rond Point, destinée aux musiciens émergents de l’Ontario.

Les avantages de l’Ontario

Aussi variées soient-elles, ces initiatives n’ont qu’un seul et même but: donner de la visibilité aux artistes franco-ontariens. «On veut donner le goût aux musiciens d’ici de faire de la musique, tout en nourrissant leur amour pour la langue française», résume Nathalie Bernardin, directrice de l’APCM.

Et signe que les résultats sont de la partie: c’est l’ancêtre de Rond Point, Ontario Pop, qui a été la rampe de lancement de Pandaléon en 2011. «C’est lorsqu’on a gagné ça que ça a véritablement commencé», se souvient Frédéric Levac, comparant le défunt événement à La Brunante, un concours provincial qui a lieu à Sudbury depuis 1983.

Honnête, le chanteur est toutefois très conscient que ce sont majoritairement les bourses qui ont permis l’éclosion de son groupe, maintenant signé sous l’étiquette québécoise Audiogram. «En Ontario, c’est quand même simple d’aller chercher de l’argent puisqu’il y a beaucoup de subventions pour un nombre tout de même minime d’artistes», admet-il, citant majoritairement le Conseil des arts de l’Ontario. «Le revers de la médaille de ça, c’est qu’il y a certains artistes qui ont des subventions même si leur projet artistique n’est pas prêt. On verrait jamais des choses comme ça au Québec, par exemple.»

Sillonnant les routes du Canada depuis environ cinq ans, Frédéric Levac remarque également qu’il est souvent plus gagnant pour son groupe de jouer dans sa province qu’au Québec. «Vu qu’il y a moins d’offres francophones en Ontario, la valeur des shows est souvent plus grande. On peut parfois vendre notre show trois fois plus cher à Ottawa qu’à Montréal», dit-il, comparant notamment le Festival franco-ontarien aux FrancoFolies.

Certains programmes gouvernementaux permettent également à des groupes de faire la tournée d’une partie des écoles secondaires francophones de l’Ontario, que Nathalie Bernardin dénombre à environ 400.

Le groupe métal alternatif AkoufèN a d’ailleurs fait cette tournée en 2012, à l’instar du mythique groupe pop-trad Deux Saisons, une décennie plus tôt. «C’est vraiment génial comme initiative», croit Jean-Étienne Sheehy. «Ça permet aux artistes de prendre de l’expérience sur scène et, surtout, d’être ensuite mieux outillés pour développer des plus gros marchés.»

Deux choix pour évoluer

Reste que, généralement, les occasions de jouer sont beaucoup moins nombreuses en Ontario qu’au Québec, même pour un groupe qui profite d’un engouement de plus en plus généralisé comme Pandaléon. «Nos prix Trille Or et notre passage à Contact ontarois, ça nous a donné à peu près cinq dates de show en tout», explique le chanteur et claviériste. «C’est là qu’on voit la différence entre vivre de la musique et en survivre. En tant qu’artiste franco-ontarien, même avec des subventions, tu peux pas survivre à long terme avec ta musique, sauf si tu vises un autre marché ou que tu commences à passer dans les radios.»

Cette dernière option a notamment fonctionné pour Damien Robitaille et, plus récemment, pour Swing. Après avoir connu un succès imposant partout en Ontario francophone, le duo ottavien a réussi à obtenir une rotation radio considérable sur les ondes commerciales québécoises.

Pour Pandaléon, cette option radio n’est toutefois pas envisageable. «On ne fait pas de la musique assez pop pour ça. Les diffuseurs ne voudront jamais jouer du post-rock comme le nôtre», croit Frédéric Levac. «Je crois qu’on a plus un style qui pourrait résonner dans les marchés anglophones. C’est ça qu’on vise prochainement parce que, même en incluant le Québec, le marché franco-canadien est trop petit.» (O.B.-M.)


­L’Ouest

Les artistes francophones œuvrant entre l’Alberta et le Yukon sont confinés à de tout petits marchés des communautés francophones de l’ouest du pays. Mais pour les jeunes artistes qui n’ont pas peur de la route ou de l’avion, il y a moyen de s’envoler vers de nouvelles scènes grâce aux bourses et aux réseaux.

Ponteix, photo : Amber Buchholz
Ponteix, photo : Amber Buchholz

Les communautés francophones de l’ouest du pays sont nombreuses, mais somme toute assez petites. En Colombie-Britannique, en Saskatchewan, en Alberta, au Manitoba, au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, les Canadiens francophones sont situés surtout autour des grandes villes puisque les ressources pour eux (les centres francophones, par exemple) y sont.

Si l’on regarde la diffusion de la culture francophone dans ces provinces et territoires, on note en premier lieu le fameux quartier Saint-Boniface à Winnipeg, où se tient chaque année le Festival du Voyageur, dédié à la culture francophone et à l’histoire de la francophonie. Son directeur artistique, Julien Desaulniers, nous donne tout d’abord quelques jeunes artistes à découvrir, qui travaillent fort en français dans leur communauté: Marijosée, Kelly Bado, Jocelyne Baribeau, Shawn Jobin, Rayannah, Mario Lepage.

«Ma priorité est d’engager des groupes francophones hors Québec, explique-t-il. Outre le Manitoba, on travaille beaucoup avec l’Acadie et la Saskatchewan. Il y a beaucoup de bonne musique qui sort de la Saskatchewan en ce moment. Je pense que ça va bien et que les artistes commencent à réaliser qu’il faut traiter leur art comme une business et postuler pour les bourses qui sont là.»

S’il y a présentement une vague d’artistes émergents excitants dans le centre et l’Ouest canadien, Julien Desaulniers croit toutefois que tout n’est pas gagné pour ceux-ci, mais que dès qu’ils auront un peu percé, les bourses (de MusicAction et de Manitoba Music, par exemple) pourront combler leur besoin de se payer quelques billets d’avion et ainsi de diffuser leur musique ailleurs.

Mario Lepage, qui évoluait sous son nom jusqu’à l’année dernière, a la chance de pouvoir faire un genre de 2 en 1 – si on veut – en accompagnant le rappeur Shawn Jobin en tournée au Canada tout en faisant des spectacles et des vitrines pour son projet encore très émergent, Ponteix, dont les Francouvertes, où il s’est rendu en demi-finales cette année. Le chanteur et guitariste, qui s’entoure de musiciens anglophones dans cette nouvelle aventure, a déjà les yeux rivés sur Montréal puisqu’il ne voit pas assez d’opportunités dans son coin de pays. «La population de Saskatchewan, c’est un million de personnes, donc c’est pas beaucoup. On pourrait jouer plus souvent, mais on ne le fait pas parce que ce serait trop saturé.»

Même son de cloche du côté de Julien Desaulniers: il n’y a pas beaucoup d’opportunités de concerts pour les groupes de ces régions parce qu’il n’y a pas assez de population. «S’ils jouent trop, les gens n’iront plus les voir. Il n’y a pas assez de monde pour aller voir des spectacles tous les mois, donc il faut penser à s’exporter. C’est pas seulement un problème francophone, c’est aussi le cas pour la population anglophone. Les groupes finissent par aller à Vancouver ou Toronto, par exemple. C’est la réalité de vivre dans une métropole de moins de 750 000 personnes.»

Il y a tout de même des options aussi pour des artistes qui désirent rester à la maison tout en continuant de faire des spectacles dans leur région. «Le Réseau des grands espaces, par exemple, donne une chance aux artistes de faire des concerts de maison. C’est juste 20 ou 30 personnes, mais ça donne quand même l’opportunité aux artistes de faire des spectacles à l’extérieur de leur communauté», explique Steve Marcoux de Coup de cœur francophone, dont le Réseau Coup de cœur permet la circulation des artistes de la francophonie. L’organisation a un partenaire culturel dans chaque province ou territoire qui s’engage à accueillir au moins trois spectacles en trois soirées avec au moins deux artistes qui ne sont pas de leur province. «Ça favorise la circulation des artistes du Québec, mais aussi interprovinciale. En Saskatchewan, ça permet d’accueillir un artiste du Manitoba ou de l’Ontario parce qu’ils ont une certaine proximité. Y a cette capacité-là du Réseau Coup de cœur à travailler, justement, en réseau. Au Canada, on fonctionne plutôt bien grâce à cet engagement.»

Si le Réseau des grands espaces tire un peu plus de la patte que ses homologues en Ontario ou en Acadie, selon Steve Marcoux, c’est une question de petitesse des marchés et des ressources de diffuseurs qui changent souvent. «Le marché est adapté aux réalités des artistes dans l’Ouest, mais l’organisation du spectacle, la masse critique de public qui peut soutenir une diffusion assez constante, est peut-être moins développée.» (V.T.)