Profession, personnificateurs : Phil, Elvis et Dalida
Musique

Profession, personnificateurs : Phil, Elvis et Dalida

Ils gagnent leur vie en incarnant quelqu’un d’autre et sont passés maîtres dans l’art de l’illusion parfaite. Qui sont ces chanteurs extrêmement humbles qui dédient leur carrière au rayonnement d’une autre étoile?

Martin LevacMartin Fontaine et Joan Bluteau ont ce point en commun: ils ont cumulé individuellement moult années d’expérience (voire une décennie) avant de respectivement reprendre les traits de Phil Collins, Elvis Presley et Dalida.

Artiste : Joan Bluteau Crédit : Victor Diaz
Artiste : Joan Bluteau Crédit : Victor Diaz

Ce sont des interprètes aguerris qui ont fait leurs dents dans les bars, passage obligé, avant de parcourir le monde grâce à leur voix, comme Joan, femme du monde qui vit au jour le jour dans ses valises. C’est justement au retour d’une tournée avec le Cirque du Soleil, fidèle client depuis sa participation au mythique spectacle Alegria, qu’elle redécouvre la diva par pur hasard par le biais d’un reportage. «Je m’étais dit: “Mon dieu, il faut raconter cette histoire-là incroyable!” Et comme je suis chanteuse, j’ai tout de suite pensé à un spectacle. […] On parle de 30 ans de carrière. Dalida était de ces rares artistes qui ont touché à tous les styles et qui les possédaient chaque fois. Je pense au gitan, à La danse de Zorba et après ça, on tombe dans le disco des années 1970, la musique égyptienne avec Salma ya Salama… C’est quand même particulier!» Un terrain de jeu extraordinaire pour cette polyvalente performeuse qui s’est imposé l’étude du baladi pendant quatre ans, question de s’imprégner de «la gestuelle gracieuse et du petit côté méditerranéen» de l’icône LGBT par excellence dont elle revêtira les robes à paillettes très prochainement pour un important concert au Festival de Dbayeh au Liban.

Martin Fontaine a lui aussi découvert son alter ego sur le tard avec les films d’Elvis diffusés sur les ondes de Télé-Métropole – l’ancienne appellation de TVA. «Il est décédé en 1977 et c’est exactement à l’époque où l’album et le film Saturday Night Fever sortaient… Moi, j’écoutais Sold GoldÇa tourne et toutes ces affaires-là à la télévision. J’étais vraiment passionné par le disco! […] Pour la musique populaire, c’est les Beatles qui m’ont donné le goût de jouer dans des groupes, d’apprendre la guitare et de chanter. J’ai eu mon premier groupe à 16 ans, ça s’appelait The Wheels et j’étais là-dedans avec mon frère. Mon rêve à ce moment-là, c’était éventuellement de remplacer John Lennon qui venait de mourir.» Une audition fortuite viendra toutefois le faire dévier (sérieusement) de sa trajectoire.

Crédit : Érick Labbé
Crédit : Érick Labbé

Les prérequis

Il ne suffit pas de savoir imiter un artiste, comme le ferait un Marc Dupré pré-Rythme FM, pour remplir le Capitole de Québec ou le Théâtre St-Denis. Une grande part du succès d’un personnificateur vient, ça va de soi, avec l’apparence, la ressemblance. En ce sens, Martin Levac est un grand privilégié, surtout si on le compare, par exemple, avec Joan qui ne partage avec Dalida qu’une taille de guêpe.

Pour Martin Fontaine, le rouquin, son faciès et sa pigmentation constituaient même un handicap majeur qui inquiétait les producteurs d’Elvis Story aux premiers abords. «Je leur ai dit: “Vous voulez raconter l’histoire d’Elvis? Moi, je sais qu’Elvis a eu des phases dans sa carrière. Le jeune rebelle avec la mèche courte, le Elvis des films, celui de retour de l’armée, la superstar… Si tu prends quelqu’un qui ressemble à un certain type d’Elvis, tu vas te limiter. Tandis que là, avec un canevas vide comme moi, on peut faire évoluer le personnage pendant les deux heures du show.” […] Ils ont trouvé l’idée ben, ben l’fun et c’est là qu’ils ont contacté Jean Bégin, un spécialiste de la transformation qui a fait beaucoup de Bye Bye à l’époque.» C’est lui qui lui a enseigné les rudiments de la métamorphose, des techniques que Martin utilise toujours 20 ans plus tard, une séance de maquillage très élaborée d’une durée de deux heures dont il ne peut se passer avant chaque entrée en scène.

Le syndrome Gigi l’amoroso

Faire carrière dans la peau d’un autre et séduire le public avec des chansons qu’on connaît déjà peut ouvrir les portes d’une carrière solo. C’est le constat de Martin Levac, sosie bien réel de Phil Collins et auteur-compositeur-interprète en parallèle. «Avec la personnification, j’ai rejoint du monde que je n’aurais pas atteint autrement. Moi, j’ai sorti mon premier album en 2000, un disque en français, et je n’ai pas rejoint grand monde avec ça même si j’avais été finaliste à Granby en 1996 et en 1998. […] Je savais que mon album 1985 plairait aux gens qui viennent voir Dance into the Light parce qu’ils sont nostalgiques de cette époque-là aussi.»

Crédit : Marie-Josée Bertrand
Crédit : Marie-Josée Bertrand

En revanche, le chemin des personnificateurs vedettes est parfois parsemé d’embûches, d’échecs et de déceptions comme dans le texte de Gigi l’amoroso, emblématique pièce du répertoire de Dalida que Joan décortique comme personne. «Souvent, on va rire en l’entendant, mais c’est une chanson tellement magnifique! C’est l’histoire de l’artiste qui part de son petit village pour aller faire sa vie, sa carrière, et qui revient un peu penaud parce que ça n’a pas fonctionné. Mais son village le reprend et les gens de chez lui sont heureux de le revoir. C’est l’histoire d’à peu près tous les artistes.»

Si Joan a vu son ambitieux spectacle Dalida: une vie s’éteindre pour de complexes questions de droits d’auteur dans l’Hexagone en 2006, Martin Fontaine panse quant à lui une blessure encore toute fraîche après le passage trop court d’Elvis Experience à Las Vegas, une reconstitution historique qui était présentée au même Hilton qui a accueilli le King au temps de toute sa gloire, un spectacle pour 32 musiciens approuvé par Priscilla Presley elle-même. Ce sceau d’approbation suprême aurait dû garantir presque à lui seul le succès de ce concert déjà réglé au quart de tour. «Mon incompréhension est dans le tapis en ce moment. […] On a adoré l’expérience là-bas. On était avec un partenaire qui, bon, était couci-couça, peu expérimenté dans le domaine, et il s’est retiré. Là, il s’agirait de se retrouver un autre partenaire plus solide pour faire perdurer tout ça.»

N’empêche, le public sera toujours là pour appuyer Martin et, qui sait, peut-être lui permettre de rebondir aux États-Unis dans un futur proche. En mars dernier, son passage au Théâtre St-Denis a eu l’effet d’un bouillon de poulet pour l’âme. «C’était comme un retour triomphant. On arrivait de Vegas, on avait fait trois étés au Capitole et les gens n’avaient pas encore vu le spectacle à Montréal. […] J’ai senti un soutien plus grand que d’habitude, c’était chaleureux, il y avait une sorte de fierté. On s’est sentis portés par une vague.»