Musique de jeux vidéo : Les musiciens du pixel
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Musique de jeux vidéo : Les musiciens du pixel

L’industrie du jeu vidéo connaît depuis une dizaine d’années un véritable boom dans les régions de Québec et de Montréal. Avec un nombre grandissant de studios majeurs et indépendants, la demande pour des créateurs de musique originale est de plus en plus massive. Mais qui sont ces musiciens qui mettent leur art au service des gamers?

Bien qu’il n’ait pas encore eu l’honneur de trouver sa place officielle dans la classification des arts, le jeu vidéo a tellement évolué dans les 30 dernières années qu’il pourrait très bien s’y retrouver assez rapidement. Les studios rivalisent d’audace pour créer de réels petits chefs-d’œuvre d’originalité, et les capacités de calculs de nos processeurs modernes permettent aux artistes derrière leur imagerie de laisser libre cours à leur imagination. De leur côté, les programmateurs doivent également s’adapter à un public de plus en plus critique et à la recherche de nouveauté, d’innovation. En dépit de la popularité des jeux où l’histoire passe en deuxième et où l’essentiel de l’intrigue consiste à tirer dans le tas, on voit maintenant apparaître un nombre faramineux de jeux mettant de côté cette mécanique rudimentaire pour révolutionner les arts numériques. Même si les prouesses graphiques et la jouabilité en soi font partie des caractéristiques les plus importantes qui peuvent rendre un jeu vidéo mémorable, un autre art est essentiel à l’expérience pour le transformer en expérience réellement transcendante: la musique.

La fusion des arts

Effectivement, une bonne bande audio peut faire ou défaire un divertissement vidéoludique. On n’a qu’à penser aux jeux rétro pour se rendre compte de l’importance qu’ont la trame sonore et les bruitages dans l’expérience globale qu’offre un jeu vidéo. Les mémorables jingles de Super Mario Bros ou de The Legend of Zelda sont imprimés de manière indélébile dans la mémoire de millions de gens. Ces compositions créées à l’aide d’outils numériques relativement rudimentaires réussissent malgré tout à rester appréciables des années après leur création.

Photo : Square Enix / Hitman GO
Photo : Square Enix / Hitman GO

Non seulement sont-elles facilement assimilables, mais ces chansons se doivent d’être endurables sur de longues périodes de temps. Eric Shaw, un des membres fondateurs du studio Pixel Audio qui travaille régulièrement avec Square Enix Montréal, explique: «La musique est au moins aussi importante dans un jeu vidéo que dans un film. Tu sais, quand t’écoutes un film, pis que la musique est ordinaire, ça dure une heure et demie, deux heures. Dans un jeu, tu peux passer des dizaines d’heures devant, voire des centaines d’heures, dans le cas des jeux en ligne. Si la musique ne colle pas, si elle est trop redondante ou tout simplement agaçante, les gens vont finir par la fermer. Et puis là, ton art, bin il passe dans le beurre pas mal.»

Composer pour les gamers

C’est là qu’est l’attrape: dans un jeu, le joueur a le contrôle sur le mix final entre effets sonores et musique, et peut même décider de complètement baisser le volume de l’un ou l’autre, s’il le trouve énervant. Un compositeur de musique de jeu doit avoir cela en tête lors de la composition, car une musique trop répétitive peut facilement devenir lassante. Heureusement, les avancées technologiques étant ce qu’elles sont, il est maintenant possible d’enregistrer des pièces beaucoup plus longues qu’avant. De cette façon, le moment où la boucle fait redémarrer la chanson au début arrive beaucoup plus tard et de façon moins régulière. Ainsi, on n’a pas l’impression d’entendre les mêmes 32 mesures encore et encore, ce qui donne une chance à la musique des jeux modernes d’être plus facilement digérable.

Photo : Square Enix / Hitman Sniper
Photo : Square Enix / Hitman Sniper

Bien que composer de la musique soit un défi en soi, réaliser la trame sonore d’un jeu vidéo comporte de nombreux défis qui sont extrêmement différents de ceux que rencontrent les musiciens qui endisquent. Premièrement, il faut être constamment à l’affût de ce qui se passe dans le milieu, de ce qui se fait comme musique dans les jeux similaires à ceux sur lesquels on travaille. «Comme compositeur de musique de jeu, il faut savoir que je n’ai pas beaucoup de temps de divertissement, on est vraiment occupés, m’explique Maxime Goulet (compositeur issu du milieu classique ayant travaillé sur plus de 25 jeux vidéo, dont Warhammer 40,000: Eternal Crusade). Par contre, on n’a pas le choix de jouer à certains jeux, plus précisément ceux qui sont dans le même genre que ceux sur lesquels on travaille. Non seulement il faut voir ce qui se fait dans le style, mais ça peut également nous donner des pistes pour explorer d’autres avenues. Il faut savoir que la musique de jeu, ce n’est pas linéaire. Il y a une interaction avec le joueur et on essaie de trouver des façons nouvelles de jouer avec ça. Mais crois-moi, je passe pas mal plus de temps à composer qu’à jouer! Il y a beaucoup de boulot.»

Plonger dans un autre univers

Le concept d’interactivité que soulève Maxime est intéressant. En effet, alors que la musique est passive dans un film, elle se doit de réagir à nos actions lorsqu’on est en train de jouer à un jeu. Quiconque a déjà mis les mains sur une manette et joué à un jeu d’aventure sait que lorsque le tempo s’accélère et que la percussion devient plus présente, c’est signe qu’on approche certainement d’un ennemi ou d’un passage plus difficile. C’est là où réside la qualité principale d’une bonne trame sonore: la capacité d’immersion du joueur est aussi importante (dans une certaine mesure) que la qualité même du matériel musical. Un bon jeu est un jeu qui captive toute l’attention du joueur et qui réussit à le faire pénétrer en entier dans un univers complètement différent de sa vie courante.

Photo : Red Barrels Games / Outlast
Photo : Red Barrels Games / Outlast

«La façon de composer varie énormément d’un type de jeu à l’autre, et il faut toujours penser comme un joueur, précise Samuel Laflamme, qui a travaillé sur le jeu d’horreur Outlast. Quand on fait un jeu qui doit faire peur, il faut absolument sortir le joueur de son salon. Il faut que tout ce qui se passe de manière auditive soit tout aussi effrayant que ce qu’il voit.» De son côté, Ulric Corbeil Trudel (collègue d’Eric Shaw) mentionne ceci: «La musique et ses changements peuvent complètement changer ta perception de ce qui se passe dans le jeu. Ça joue sur ton émotivité, on a le rôle de générer de l’émotion à travers la musique, de faire sentir au joueur qu’il avance dans la bonne direction, ou qu’au contraire, il s’en va droit dans un piège. Il faut bien comprendre l’influence qu’a l’audio sur le niveau d’immersion.»

Une nouvelle avenue lucrative?

Cette prolifération de créateurs de jeux vidéo au Québec pourrait laisser croire que la composition de musique est un véritable nouveau Klondike pour les musiciens cherchant à faire des sous avec leur art. Samuel Laflamme nuance quelque peu cette position: «Oui, il y a du travail en masse, et quelqu’un qui est prêt à travailler fort va pouvoir assez bien s’en tirer. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a aussi beaucoup de studios indépendants qui n’ont pas les budgets de géants tels qu’Ubisoft. De plus, il y a de plus en plus de gens qui ont envie de se lancer dans ce boulot, et la compétition est donc de plus en plus grande.»

Photo : Behaviour Interactive / Warhammer 40,000: Eternal Crusade
Photo : Behaviour Interactive / Warhammer 40,000: Eternal Crusade

Comme il le mentionne, il y a de la demande. Le site Mtlgs.ca, qui répertoriait jusqu’à récemment les studios dans la capitale et la métropole, comptait pas moins de 135 studios à Montréal et une vingtaine à Québec. Par contre, il faut avoir les reins solides et être polyvalent. Comme le dit Eric Shaw: «Les petits studios comprennent de plus en plus l’importance qu’a la musique, chose que les gros ont assimilée il y a longtemps. Par contre, pour en faire un gagne-pain, il faut que tu sois capable de t’adapter constamment, de toujours tâter le pouls de la concurrence et de diversifier ta palette sonore. C’est énormément de travail, la musique de jeux vidéo, et il faut être capable de mettre ton ego de côté pour satisfaire le client. Mais quand ça marche, et que tu joues en entendant des airs que tu as composés, le feeling est assez inimitable!»