Mauves : Tout écartillé
On entend les échos de Charlebois sur le nouveau Mauves. Un exercice d’écriture identitaire, profondément québécois, mais surtout un pont entre les légendes et la nouvelle génération.
Il a eu les débuts beatlesques, le simple Annie Hall puis la sortie de Cinéma Plymouth. Deux automnes plus tard, suit une déclaration d’amour prog avec Le faux du soir, un album cérébral et bourré de réverbérations, qui tranche avec Coco, le petit dernier. «Au premier degré, parfois, il n’y avait rien qui pouvait t’accrocher, expose le covocaliste et auteur Alexandre Martel. Il fallait que tu creuses… Cette fois, ce n’est pas moins réfléchi ou profond, mais le premier niveau de lecture est tout aussi significatif que les autres.»
Plus directes, les paroles empruntent la méthode de travail et même une des lignes préalablement entonnées par un gars ben ordinaire. C’est spécifiquement le cas sur la chanson inaugurale J’ai tout essayé, mais aussi sur la plage 7. «Nouvelle-Calédonie reprend son style, une espèce d’antipoésie. Cette idée de droper des noms de villes, c’est très Charlebois et, à la limite [ça peut aussi rappeler] Beau Dommage. Sinon Longtemps, c’est vraiment Beau Dommage rencontre Renée Martel.» Il y a aussi, forcément, un clin d’œil à leur père spirituel Sylvain Lelièvre, regretté Limoulois parti trop tôt qui partage avec eux chauvinisme, prose tendre, mais aussi un certain penchant pour les arrangements jazzy, ou «jazzés», comme on l’aurait prononcé à l’époque. «Ce n’était pas le chanteur de nos parents, ils n’écoutaient même pas ça, se défend Julien Déry. Alex et moi, on l’a découvert en cherchant des vieux vinyles québécois.» Avec Les mots de la gare, on sent que le pianiste et compositeur de Québec a laissé une forte empreinte sur eux, particulièrement en raison du solo de basson feutré et doux écrit par leur ami new-yorkais Damon Hankoff (Out of Sight of Land) et interprété par Marie-Renée Sheridan. Une partition que Lelièvre doit jalouser du haut de son nuage. Quelque part, si Dieu existe, l’auteur-compositeur-interprète et pianiste veille sur eux, sourire en coin. Bien avant cette idée d’album-hommage, pour lequel ils n’ont injustement même pas été invités, les garçons reprenaient déjà Hiroshima en concert.
Hommes du 20e siècle
Cynique, mais pas complètement désabusé, le bassiste Cédric Martel signe pour sa part une pièce country et galopante un rien pince-sans-rire. Une chanson légère, quoiqu’un brin apocalyptique et politique, posant un regard amusé sur notre époque.
Depuis leurs débuts, les frères Martel et Julien cultivent une esthétique sonore près des seventies. Une décennie qui leur sied bien, un goût pour le vintage que le réalisateur Emmanuel Ethier (Peter Peter, Jimmy Hunt) a bien capté. Le Montréalais n’a pas changé grand-chose aux maquettes qui avaient été enregistrées sans lui, pour reprendre les mots d’Alexandre. «Ce qu’il a vraiment amené, c’est une espèce de vibe à l’album. Il avait une idée claire de ce qu’il devait dégager. Il a choisi, par exemple, de faire jouer des lignes de guitare qu’on avait déjà écrites, qui sont identiques, mais avec une 12 cordes électrique au lieu d’une 6 cordes électrique. Ça donne une espèce d’aura qui rappelle la côte Ouest américaine, les années 1960-1970. Il a aussi beaucoup utilisé de claviers Rhodes. Il choisissait des instruments dont les sonorités inscrivaient l’album dans un certain mood.»
Coco, c’est aussi le commencement d’un nouveau cycle pour le quatuor, l’inévitable remaniement causé par le départ du batteur Jean-Christophe Bédard Rubin vers Toronto. Un type éminemment sympathique qui a choisi de parfaire ses connaissances dans le domaine du droit – il est déjà avocat – en entamant une maîtrise. C’est Charles Blondeau, aussi collaborateur de Camille Poliquin pour KROY et de Simon Kingsbury, qui le remplace. Un ami de longue date rencontré à leur passage aux Francouvertes qui n’a pas hésité une seule seconde avant, promet Julien, de combler le siège vide.
Infatigables, les trois membres originels papillonnent et expérimentent en solo lorsqu’ils ne sont pas ensemble. Alexandre enfile son léotard squelettique pour devenir Anatole, libidineux personnage androgyne, Julien se fait ironique avec Notre Père et Cédric accompagne Tire le coyote. Des explorations musicales et artistiques diversifiées qui ont pour effet d’enrichir leur travail commun, leur priorité, on le sent bien. Malgré le temps qui passe, les rides qui commencent à s’inscrire sur leurs visages, Mauves ne sera jamais qu’un projet de jeunesse.
Coco (Coyote Records)
Disponible dès maintenant
Jeudi 6 octobre à 21h
Au centre en art actuel Le Lieu, à Québec