Le Couleur: Hier encore
Musique

Le Couleur: Hier encore

Le trio d’italo-disco nous présente un album conceptuel et tragique, un monde inventé où rien n’est plus dolce. Des histoires moroses, certes, mais trempées dans leur groove lancinant.

Pacific Ocean Park. Le titre de l’opus est en fait l’acronyme de cette ville peuplée de has-been (n’ayons pas peur du mot!) en proie à des épisodes sérieusement dépressifs. De tristes personnages qui ont perdu la gloire comme la jeunesse, des vedettes qui ont vu leur étoile pâlir au fil des ans. Laurence Giroux-Do, charismatique chanteuse et parolière romanesque, a fait de Dalida son hypothétique muse – imaginant ce qu’aurait pu être sa vie si elle n’avait pas choisi de se l’enlever. « Je me suis imaginé des gens qui auraient été célèbres dans les belles années 60-70. La mode a changée, ils sont devenus des souvenirs… Est-ce que tu peux avoir un futur quand ton passé est aussi glorieux, doré ? […] Là-dedans, le fil conducteur c’est la nostalgie. Chaque être humain l’est d’un moment dans sa vie parce qu’il se sentait bien. Le futur, ça peut être angoissant.»»

(Illustration de la pochette : Carolane Bélanger, via GIPHY)

Bonbon, la pop de Le Couleur ? Plus tellement. Cette fois, l’égérie de la formation ose un exercice d’écriture narratif. On dirait presque la bande originale d’une comédie musicale sombre et présentée à l’ombre de Broadway. « T’as le copilote qui finit par se suicider, la star qui s’est fait rouler par son assistante et qui a tout perdu, le couple infidèle façon Eyes Wide Shut…[…] Mais tu écoutes ça et ça reste léger. C’est pas comme Brel qui te chante Ne me quitte pas. » N’empêche : les larmes coulent sur les joues de la starlette, cette femme dessinée par Carolane Bélanger sur la pochette, à peine voilées par ses lunettes fumées.

Retour vers le futur

À l’instar de leurs contemporains de l’électro-pop raffiné et festif, décalé sans être underground, Le Couleur a eu recourt aux services de l’ingénieur du son Eric Broucek. Une idole pour Patrick Gosselin (qui a même lâché sa job pour le rencontrer à L.A.), une figure emblématique du label américain DFA Records que Steeven Chouinard admire follement lui aussi. « Il a travaillé avec tout le catalogue. Avec Holy Ghost, il a joué avec LCD Soundsystem, il a tourné avec The Juan Maclean. […] C’est une référence, c’est comme une star du mixing indépendant. Il a fait le dernier Neon Indian, il travaille avec The Drums depuis des années, avec Classixx, avec tout le monde qui donne dans le nu-disco cool. On s’est compris tout de suite, c’est vraiment un pro.»

Précisons-le : les deux garçons du groupe sont, eux aussi, des geeks autoproclamés. Des collectionneurs de synthétiseurs qui déterrent des trésors, fréquentent les ventes de garage, furètent de manière quasi obsessionnelle sur Kijiji. « On n’a pas un clavier qui a été fabriqué après 1986, détaille Steeven. Genre que notre plus vieux doit avoir 45 ans, et c’est le premier que Roland a fait. […] Moi j’ai plein d’affaires qui m’ont couté 10 piasses, mais qui valent comme 800$. Une fois, je suis arrivé dans une ferme, le gars me dit « ça vaut pu rien ça !  C’est tout poussiéreux ! » et finalement, c’était un truc rare, mails il ne le savait juste pas. » De précieux instruments qu’ils ne trimballent pas en tournée, mais qu’ils utilisent à leur plein potentiel en studio.

En concert, en fait, ils trichent un peu, ils ont « recourt à des émulations, des plugins avec un clavier midi. » mais aussi à la guitare électrique de Patrick – une quasi première dans l’histoire de Le Couleur. « J’ai un revival de Guns and Roses en ce moment, je suis un fan fini, même si ça n’a rien à voir avec ce qu’on fait ! Ça, c’est un amour d’adolescence. C’est des gros caves, mais ça reste un truc nostalgique. » Une divine idylle qui ne veut pas mourir et laisse des traces.

P.O.P., disponible le 28 octobre via Lisbon Lux Records
En concert : 9 novembre au Théâtre Fairmount (dans le cadre de Coup de cœur francophone) et le 26 novembre au Cercle