Musique

Musique contemporaine : L’attrait de l’inconnu

Musique moderne, musique contemporaine, musique nouvelle… Peu importe comment on la nomme, la musique savante est loin d’être morte. Elle se compose et se joue toujours, que ce soit ici ou ailleurs. Mais qu’en est-il de la vitalité de cette forme de création musicale au Québec? Peu connue du grand public, elle mérite d’être explorée plus avant.

La perception traditionnelle du grand public de la musique contemporaine est souvent remplie d’incompréhension, la majorité des gens ayant l’impression fausse que c’est une musique toujours très abstraite et difficile d’approche. Le fait est que, un peu comme pour les termes «rock» ou «jazz», la classification «musique contemporaine» ne veut pas dire grand-chose en elle-même. Alors que certaines pièces présentent des sonorités extrêmement étrangères à nos conceptions occidentales de la musique, il y a de nombreux compositeurs dont les œuvres ne sont pas du tout ardues à écouter. Avant de disserter sur l’état de cette musique en nos terres, un peu d’histoire s’impose, question de bien savoir de quoi il en retourne.

Un art de recherche

Après que l’époque romantique eut amené les compositeurs aux extrêmes des explorations permises par le système tonal, plusieurs d’entre eux ont cherché à se sortir des balises imposées par les systèmes classiques. On pense notamment à la seconde école de Vienne, composée d’Arnold Schönberg, d’Alban Berg et d’Anton Webern, qui a théorisé le dodécaphonisme, à la musique longtemps perdue et imagée de Charles Ives ou aux magnifiques explorations dans le rythme et les intensités d’Olivier Messiaen.

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Au sortir de l’Holocauste, les compositeurs se sont rapidement mis à chercher de nouvelles avenues, de nouvelles techniques pour faire exploser les carcans rigides de la composition de musique savante (terme que l’on utilise pour séparer la musique de type plus «classique» de la musique populaire).

Naissent alors de nombreux sous-courants qui seront reconnus comme parties intégrantes de la musique dite contemporaine: le sérialisme intégral (suite logique du dodécaphonisme), la musique concrète (combinant exécution instrumentale et utilisation de bandes préenregistrées et/ou modifiées), l’indétermination (œuvres ouvertes où l’interprète prend une grande part de choix esthétiques; John Cage en est l’emblème avec sa musique laissant place au hasard), le minimalisme (où la répétition, le décalage de phases ou l’addition et la soustraction de motifs forment une grande partie de l’exploration artistique) et le courant spectral (où l’on explore les composantes mêmes du son comme matériel musical, décomposant le spectre sonore et mettant à nu ce qui compose chaque timbre). Des extraits musicaux sont disponibles tout en bas de cet article pour vous guider dans la découverte de ces  divers courants.

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Il faut donc se sortir de la tête cette idée préconçue de la musique contemporaine selon laquelle elle serait froide, clinique, inappréciable pour les gens qui aiment la musique qui «a du sens». La musique contemporaine est aussi (sinon plus!) riche, variée et sensible que tous les autres courants musicaux existants. Son esprit de recherche l’amène dans nombre de terrains où l’on ne l’y attendrait pas.

Gabriel Ledoux, photo : Antoine Bordeleau
Gabriel Ledoux, photo : Antoine Bordeleau

L’offre et la demande

C’est précisément ces conceptions erronées de ce qu’est réellement la musique contemporaine qui nuisent d’une certaine façon à sa diffusion. Selon Walter Boudreau, directeur artistique de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), ce n’est clairement pas à cause d’un manque de productions que le public ne s’y connaît pas: «Y a jamais eu autant de compositeurs qui composent. Y a jamais eu autant de concerts, on se pile parfois même sur les pieds. À notre dernière production, il y avait trois concerts simultanés dans trois salles différentes et même une lecture d’œuvres de jeunes compositeurs par l’OSM. Donc, sur le plan de l’offre, c’est incroyable. Le problème est la demande, en dehors d’un milieu très restreint. On dirait qu’on a tellement peur de découvrir quelque chose de neuf, il faut que tout soit formaté.»

Ce n’est pas sans lancer une petite pointe du côté des médias, qui ne parlent que très peu de musique savante, qu’il poursuit en développant une seconde idée: celle du soutien de l’État. «Contrairement à la France et au Royaume-Uni, le soutien de la radio d’État ici est complètement disparu. Il faut comprendre que la musique contemporaine, ce n’est pas une offre de grande consommation; c’est de la recherche et du développement. Il y a beaucoup moins de restaurants fins qu’il y a de McDonald’s, on peut pas faire de grand vin avec de la garnotte. Si Radio-Canada avait diffusé aussi peu de musique savante il y a 50 ans qu’il le fait aujourd’hui, on aurait rien de nos grands compositeurs. La problématique est là: il y a une barrière qui a été créée entre les gens qui font de la recherche musicale et le grand public. Maintenant que les médias ont trop peur pour diffuser des choses nouvelles, le public s’en désintéresse, naturellement.»

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Comme il le mentionne, il est plus difficile que jamais d’avoir accès à cette musique nouvelle, qui pourtant est foisonnante. Alors que Radio-Canada a fait sa toute dernière commande de musique contemporaine en 2011 (pour le Concerto de l’asile, de Boudreau), la société d’État signait du même coup la fin d’une époque. Effectivement, elle commandait auparavant des œuvres, les enregistrait et les diffusait, ce qui donnait au moins au milieu un sentiment d’être soutenu un tant soit peu. «Le problème, c’est que les décideurs, en haut, ont décidé d’abandonner le navire pour des intérêts purement en lien avec un profit immédiat. Moi, je trouve ça tout bonnement honteux.»

Pierre-Olivier Roy, photo : Jay Kearney
Pierre-Olivier Roy, photo : Jay Kearney

Revoir ses méthodes

Cette situation délicate n’est pas étrangère aux autres courants musicaux et aux formes d’art novatrices en général. Les temps sont durs pour les créateurs, et ceux-ci doivent redoubler d’inventivité pour tirer leur épingle du jeu dans un climat socioculturel qui favorise souvent le prémâché au détriment de l’innovation. Désireux de sortir des sentiers battus et de donner au public l’envie de la découverte, certains ensembles modernes développent donc de nouveaux partenariats afin de s’exposer dans le paysage musical actuel.

Raphael Guay, directeur artistique d’EP4 (un ensemble de percussions basé à Québec), explique: «Depuis environ deux ans, ça bouge beaucoup pour la musique nouvelle à Québec. Il y a de plus en plus d’intérêt de la part d’organisations qui ne sont normalement pas du tout impliquées dans la musique contemporaine. Par exemple, on a pu faire un gros événement au Festival OFF en 2015. Avec le soutien de l’ensemble Lunatik et du Pantoum, qui ne donne pas du tout dans le contemporain en temps normal, on a pu présenter Music for 18 Musicians de Steve Reich en concert d’ouverture… Ce n’est pas rien! Le festival des Nuits psychédéliques de Québec nous a aussi fait confiance deux fois depuis sa création. Ç’a permis aux gens qui aiment les musiques un peu alternatives de découvrir des choses auxquelles ils n’avaient pas nécessairement accès auparavant. Maintenant, ceux qui ont trippé suivent nos activités et se déplacent aux concerts.»

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Autre pilier important de la musique nouvelle œuvrant dans la Vieille Capitale, l’organisme de production Erreur de type 27 mise quant à lui sur l’exploitation de techniques modernes pour créer un engouement autour de ses concerts. Pierre-Olivier Roy, qui y tient le rôle de directeur artistique, précise: «Aujourd’hui, la facilité technologique d’intégration de différents médiums qui te permettent de sublimer la musique, de la mettre au centre d’une production mais de l’entourer d’une expérience qui la dépasse, je trouve ça super enthousiasmant. On se sert beaucoup de ces outils-là pour aller répondre à la demande d’un public qui attend maintenant plus d’un concert que la simple musique. C’est comme un DJ, c’est bien rare qu’il ne va pas s’entourer d’un kit de lumières! Il ne faut pas avoir peur d’amener ces éléments-là dans la musique nouvelle.»

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Composer avec le passé

Du côté des jeunes compositeurs, on sent toutefois une certaine insatisfaction. Âgé de 28 ans, Gabriel Ledoux réussit à vivre modestement de la musique. Lorsqu’il s’exprime sur la place laissée à sa génération dans la diffusion de la musique contemporaine, il n’est visiblement pas enthousiaste: «Le problème, c’est que les comités artistiques qui décident de ce qui est diffusé font des choix politiques qui ont une incidence esthétique. Ils vont prendre quelqu’un qui a eu un certain succès et définir que ce qu’il a fait, c’est ça, l’excellence et le “standard” à atteindre, alors que c’est une musique qui, par définition, doit être motivée par la découverte. C’est comme mettre des barrières à quelque chose qui ne devrait pas en avoir.»

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Cette nouvelle génération de créateurs devra faire preuve d’audace et de résilience pour s’installer comme une force fondamentale dans le paysage lourdement standardisé de la diffusion musicale. L’objectif, désormais, est de recréer chez le public l’envie de découverte. Mais sans le soutien de l’État et des diffuseurs, le défi est de taille. Boudreau l’image: «Si tout ce qu’on te sert partout où tu vas, toute ta vie, c’est de la dinde et des patates pilées, tu ne sauras jamais à quel point tu aurais pu aimer la cuisine raffinée.»

extraits musicaux

sérialisme intégral:

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musique concrète:

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musique indéterminée:

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minimalisme:

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musique spectrale:

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