Musique

Se laisser voyager avec Leif Vollebekk

Le chanteur montréalais revient sur disque après quatre ans d’absence avec une œuvre émouvante et apaisante, Twin Solitude.

Quand on regarde Leif Vollebekk interpréter ses chansons, il semble possédé par la musique. Il bouge ses épaules et ses muscles du visage au gré des notes. Il laisse tout son corps aller, se laisse chavirer par la musique et les mots. C’est très physique. Autour de 2014, alors qu’il terminait la tournée de son album North Americana, l’émotion évoquée par ses chansons ne s’emparait plus de lui.

«Il arrive un moment où tout d’un coup, tu changes, tes sentiments changent. Une bonne chanson, c’est une chanson qui change avec toi, mais dans ce cas-ci, j’avais des pièces avec lesquelles je n’étais plus d’accord – pas qu’elles étaient mauvaises, mais je ne me voyais plus là-dedans. C’était difficile de les jouer. Il fallait toujours trouver un espace créatif pour les chanter – penser à une personne en particulier, par exemple – et rendu là, ça devenait plus du method acting

Les pièces qu’il pouvait encore jouer sans problème étaient celles qu’il avait écrites en coup d’éclair pour son précédent disque, Photographer Friend et Off the Main Drag. «Ce sont des chansons avec des rimes pas trop naturelles, mais qui sont sorties de ma tête de façon très organique, sans trop y penser.» Pour en arriver à un nouvel album cette année, Leif Vollebekk voulait retrouver ce même sentiment de pureté créatrice. Ç’a pris plus de temps que prévu, mais Twin Solitude arrive enfin ce mois-ci, quatre ans après son prédécesseur.

«Oui, c’était long, mais ce n’était pas long aussi! dit-il. J’écrivais de nouvelles chansons en vue d’un autre album et c’était très artisanal – j’avais une mosaïque d’idées. Mais je n’avais pas envie de les jouer live et y avait quelque chose qui manquait, donc j’ai pris un recul et j’ai arrêté d’écrire. Finalement, la pièce qui ouvre le disque, Vancouver Time, m’est venue, comme ça, un après-midi. C’était pareil quand j’étais plus jeune, j’écrivais des chansons sans y penser. Alors les mois suivants, j’ai commencé à dessiner et à faire plein de choses pour arrêter de penser et de ne pas forcer les chansons.»

Photo : Antoine Bordeleau
Photo : Antoine Bordeleau

Twin Solitude, qui navigue entre folk alternatif et pop de chambre et qui est présenté en deux temps – un côté A au piano et un côté B à la guitare –, fait voyager. Les titres de chansons comme All Night Sedans, Big Sky Country, Michigan, Telluride indiquent que la route et les paysages sont encore primordiaux dans l’œuvre de Leif Vollebekk. Et les histoires qu’il y raconte sont très détaillées: des endroits, des types de voitures, des gens, des conversations, des émotions. On s’imagine bien les scènes qu’il décrit.

Sur Elegy, son premier extrait, il y a cette ligne qu’on aime bien: «Everybody ’round here’s telling me to act my age, I’m trying» [Tout le monde me dit d’agir comme quelqu’un de mon âge, j’essaie]. «Mes amis commencent à avoir des vies plus stables et moi, de moins en moins, dit-il en riant. J’ai le sentiment d’avoir 26 ans pour le reste de ma vie!» Et dans le vidéoclip accompagnant la chanson, on creuse encore plus loin dans le passé de Leif. «On l’a tourné à une plage en Floride où j’allais en famille pendant mon enfance. C’est un parc national où y a des oiseaux partout et le sable est plein de coquillages et de branches. Quand je suis là-bas, j’ai l’impression que je suis juste moi, le moi qui a toujours été. Je reconnais la personne que je serai toujours.»

Leif dit avoir le sentiment d’être très libre avec cette chanson, et c’est à l’image de sa création. Il nous raconte qu’il s’inspirait à la base du roi du soul à la Stevie Wonder. «Je m’imaginais que je chantais un hit du genre Signed, Sealed, Delivered I’m Yours! Je chantais avec plein d’énergie. Et finalement, je me suis dit que ce n’était pas destiné à moi parce que je ne fais pas des chansons comme Stevie ou Ray Charles. Le lendemain, je dessinais et j’avais encore la chanson en tête, alors je me suis dit: “Allez, fais-la à ta manière!”.»

Un regain d’énergie et de liberté semble donc avoir teinté ce nouvel album de Leif Vollebekk. S’il a toujours réussi à nous émouvoir par ses compositions sensibles et sa voix bouleversante digne d’un jeune Bob Dylan, Leif Vollebekk clôt son disque avec une dernière sublime pièce de huit minutes, Rest, qui apaisera les plus ardentes âmes. «Je voulais donner un style Tom Waits à la chanson et mon ami musicien Adam Kinner a dit: “Pourquoi on ne ferait pas ça avec un harmonium?” Alors on a ajouté du saxophone et Sarah Pagé a joué de la harpe. L’idée est que tu tombes endormi. Y a un album de Sigur Ros (Valtari) qui est juste planant, sans batterie. Pendant très longtemps, quand j’avais de la misère à dormir, c’est le seul album que je pouvais mettre dans notre autobus de tournée et disparaître. T’oublies tout.»

Twin Solitude
(Secret City Records)

Sortie le 24 février 

Concert le 2 mars au Cabaret La Tulipe dans le cadre de Montréal en lumière, puis le 13 avril au Cercle à Québec