Thundercat : le jazz du quotidien
Musique

Thundercat : le jazz du quotidien

«Peu importe ce qu’on peut s’imaginer, moi c’est du jazz que je fais.» C’est ainsi que Stephen Bruner, alias Thundercat, décrit sa musique. Alors qu’on y appose tour à tour les étiquettes de funk, de soul, d’électro et parfois même de hip-hop, la base reste ancrée dans le jazz pour le bassiste angelin de 32 ans qui s’apprête à lancer Drunk ce vendredi. Pour lui, ce n’est même pas une question de s’y efforcer : « Le jazz, c’est ce avec quoi j’ai grandi. Peu importe ce que je compose il sera toujours au coeur de ma musique. Quand j’entends des idées musicales, c’est toujours du jazz. Après, en studio, je les développe à ma sauce… Mais elles demeurent teintées de cette musique qui m’a formé comme musicien. »

composer au drive-in

Sa façon de faire éclore des mélodies et des progressions harmoniques est intéressante. Pour Bruner, c’est vraiment une question de s’immerger dans la musique à tous les jours, même dans les instants les plus ordinaires du quotidien. « Les idées me viennent simplement. Je peux être en train de marcher dans la rue, et une chanson peut naître. Ce doit être une partie de ta routine, même dans les moments les plus anodins. Il y a un truc un peu comique qui m’aide à composer : je chante souvent ce qui est en train de se passer. Ça peut sembler une farce pour beaucoup de gens… tu vois, je commande au restaurant en chantant ce que je veux. Mais même si ça a l’air un peu idiot pour la personne qui est devant moi, dans ma tête cette petite mélodie est accompagnée d’une progression, d’une ligne de basse… et quand je reviens chez moi ça devient une chanson. »

Dans son écriture, également, le musicien puise dans les petites anecdotes du quotidien. Effectivement, sur Friend Zone, on peut entendre les lignes suivantes :

I’m your biggest fan, but I guess that’s just not good enough
Is it cause I wear my hair in or because I like to play Diablo
[…]
Because I’d rather play Mortal Kombat anyway, hey
I want a love like Johnny Cage
If you’re not bringing bottles I suggest you start to walk away
Bitch don’t kill my vibe

« Je m’inspire de la réalité, confie Thundercat. Les paroles et la musique sont complètement séparées pour moi en termes de création. Je pense à des choses qui arrivent, et quand la musique est finie, j’essaie de chanter ce qui m’est venu en tête par-dessus. Des fois ça fonctionne, et d’autres c’est de la merde. J’essaie toujours de trouver quelque chose qui va avoir un certain lien avec le matériel musical, mais en même temps je tente de garder les paroles honnêtes et ancrées dans la réalité. »

collaboration symbiotique

Au nombre de ses acolytes les plus proches, Bruner peut compter sur une pièce de choix : Flying Lotus. Les deux artistes sont partenaires depuis déjà plusieurs années, et Lotus est cité par Thundercat comme collaborateur principal à ce nouvel opus. « On a développé une méthode de travail qui est une véritable symbiose. On crée de façon débridée, complètement libérés de tout esprit de compétition. L’histoire de notre collaboration serait probablement bien différente pour chacun, mais pour moi, je dirais que quand on crée ensemble, on se pousse vraiment à nos limites respectives. Parfois, on peut être notre propre ennemi, on se bâtit nos propres barrières. C’est là que Lotus et moi on est utiles l’un pour l’autre. On est complètement honnêtes l’un avec l’autre, et c’est ce qu’on peut entendre dans notre matériel respectif des dix dernières années. »

[youtube]_Uniu4JAHSk[/youtube]

Flying Lotus sert, d’une certaine façon, de catalyseur pour le potentiel incroyable de création de Bruner. Ce dernier est une machine à composer. Drunk comprend rien de moins que 23 (!) pistes, et ce n’est que la pointe de l’iceberg. « Il y a des tonnes de matériel que personne n’entendra jamais! Quand je me mets en mode créatif, ça devient rapidement une infinité de nuances musicales qui se mettent à m’habiter et j’explore toutes les idées. Après un moment, je me lève la tête et il y a une quantité incroyable d’esquisses musicales. Quand on a décidé ce qui serait finalement mis sur l’album, je me rappelle d’avoir branché mon disque dur sur l’ordinateur de Lotus et quand il a ouvert le dossier (rires)… c’était comme si je venais de déposer des milliers de documents légaux sur son bureau. Il m’a demandé Man, est-ce qu’on doit vraiment tout se taper?” C’était intense, mais dans un bon sens. Il sait vraiment comment aller puiser mon son dans l’océan de matériel que je crée. »

Faire tomber les conventions

Bien que l’on cantonne trop souvent la basse dans le rôle de fondation de l’harmonie et de support rythmique, Thundercat explore l’instrument d’une toute autre façon. Étant lui-même bassiste, il essaie de défoncer les barrières et de placer la basse dans différentes positions au coeur de sa musique. « Je pense que la basse peut prendre des rôles bien distincts dépendant de la façon qu’on a de la jouer. C’est une ligne parfois difficile à trouver, mais le but est de libérer l’instrument des conventions. Vu que je n’ai jamais vraiment joué d’autres instruments, j’ai toujours dû compenser en utilisant la basse à toutes les sauces dans mes créations en solo. Je crois que c’est en partie ce qui définit le son que j’ai. »

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Pour ce qui est de sa méthode de composition et d’enregistrement, Thundercat est un adepte des possibilités offertes par la technologie moderne. « Ableton (un logiciel de création et d’enregistrement audio extrêmement populaire dans le milieu de la musique électronique) a réellement changé la donne. Moi, je veux pouvoir composer chez moi, c’est là où le plus d’idées me viennent. Je prends ma basse, j’improvise sur une progression d’accords ou une mélodie qui m’est venue, et Ableton me permet instantanément d’imaginer une structure autour de ça. Je compose la plupart du temps les beats et les effets sur le programme, puis ensuite en studio avec Lotus on rajoute des enregistrements de clavier et autres. Mais, drôlement, les lignes de basse me viennent à la toute fin. Je vais utiliser l’instrument pour trouver les accords et la mélodie, on construit la chanson au complet, et puis à la toute fin la ligne de basse m’apparaît tout d’un coup et on la rajoute. »

le jazz au coeur

L’album Drunk est une oeuvre absolument géniale (nous lui avons d’ailleurs donné la note rare de 4.5 étoiles sur 5, lisez la critique ici). Explorant toute sortes d’avenues, Thundercat parvient à garder une cohérence exemplaire dans le son général de l’album. Bien que l’opus contienne beaucoup de matériel composé sur ordinateur et des échantillons nombreux, la livraison live de ces titres est bien différente, et c’est là où Stephen Bruner fait ressortir le plus ses influences musicales : « Pour le concert, les gens doivent s’attendre à rien de moins qu’un kick-ass trioDennis Hamm aux claviers, Justin Brown à la batterie et moi-même derrière la basse. C’est complètement différent que les arrangements en studio. Ce qu’on fait, pour me répéter, c’est du jazz. Rien de plus, rien de moins. »

///Thundercat sera en prestation à la SAT le 1er mars prochain, dirigez-vous ici pour vous procurer des billets.

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