Musique

Peter Peter : La poésie des déracinements

Peter Peter a tergiversé puis chanté les beautés baroques avant de poser sa valise à Paris. Une myriade de questions s’imposaient à l’arrivée de son troisième album, Noir Éden.

Né à Jonquière, Peter Peter aura grandi à Chicoutimi puis vécu de part et d’autre de l’autoroute 20 avant de migrer à l’est de l’Atlantique. «J’avais déjà ce fantasme-là à 16 ans. J’écoutais Smashing Pumpkins en boucle et je m’imaginais fuguer à Toronto, vivre quelque chose de nouveau. Après, oui, je suis déménagé de Québec vers Montréal, il y avait l’épiphanie de la grande ville et tout ça, mais quand je suis arrivé ici, j’ai vraiment vécu ça au centuple.» Un nouveau départ ultime qui nourrit sa pop déjà inspirée, une occasion de s’isoler, anonyme et au milieu de la foule, pour mieux reconnecter avec sa propre vérité.

Étrangement, c’est en France qu’il se distancera de M83, influence manifeste d’Une version améliorée de la tristesse – son précédent disque -, pour devenir l’architecte d’un nouveau son: le sien. Sa musique est aujourd’hui teintée par le gospel (nous y reviendrons), la deep house, une certaine idée de la proverbiale French Touch qui s’immisce dans l’intro de Fantôme de la nuit comme sur la finale de Bien réel, et d’un usage décomplexé de la langue de Bowie. Un exercice de style qui passe essentiellement par la prononciation. «Je trouvais ça intéressant de chanter dans un anglais presque francisé. […] Moi, dans ma tête, c’était Roch Voisine qui faisait ce genre de chansons-là! C’est sûr que j’ai changé de références et que je me suis libéré de ce tabou-là. C’était la même chose quand je suis arrivé à Montréal, je me faisais reprocher mes accents toniques en anglais. Quand t’arrives ici et que tu dis ces mots-là comme un anglophone, tu te rends compte que ce n’est pas perçu de la même façon. Tout ça a altéré, changé mes codes.» Caméléon, il ponctuera par ailleurs notre entretien téléphonique dans le + 33 de «carrément» (son expression du moment) sans pour autant renier les «faque», les «in» et les «là» de son enfance au Saguenay. Comme un hybride entre deux accents, comme le ferait un comédien soucieux de doubler un film dans un français international. La parlure Peter Roy (c’est le nom inscrit sur son passeport) est la somme d’expériences, de rencontres. C’est l’aboutissement de sa vie de jeune adulte longtemps resté sans domicile fixe, mais qui a finalement trouvé le bonheur à Paris.

Cavalier (presque) seul

L’album Noir Éden marque aussi l’émancipation de l’esthète qui, plus que jamais, tire les ficelles de son propre truc. Enregistré à la manière d’un bedroom project bonifié de quelques séances en studio, notamment avec Emmanuel Éthier pour les batteries, ce troisième opus aura été une occasion pour lui d’explorer le producing. Pardon pour les anglicismes. «Tous les sons [complémentaires] ont été enregistrés au iPhone. Les gens qui parlent ou mon chat sur Venus, par exemple. Pour moi, c’est quelque chose de très identitaire, c’est l’album qui me ressemble le plus. Je signe tous les arrangements, la plupart des synthés ainsi que les voix finales de Bien réel et Damien, qui ont été faites chez moi.»

Peter Peter (Crédit: Shayne Laverdière)
(Crédit: Shayne Laverdière)

« Je trouvais ça intéressant de chanter dans un anglais presque francisé. […] Moi, dans ma tête, c’était Roch Voisine qui faisait ce genre de chansons-là! »

Peter Peter

Le clavier rétrofuturiste d’Orchidée témoigne merveilleusement de ses expérimentations sonores avec les instruments électroniques qui meublent son petit appartement. Des techniques non orthodoxes et un brin saugrenues qui confèrent à la plage 11 des tonalités si uniques, captivantes. «Bizarrement, je n’utilise aucun plug-in. Je suis très old school par rapport à ça. […] Les genres de séquences de piano qu’on entend au début [d’Orchidée] sont faites à partir d’un synthé qu’on appelle le OP-1. C’est hyper sali. En fait, j’ai enregistré en mettant le clavier devant mes speakers d’ordi. Y a pas plus lo-fi que ça, mais je trouvais que, justement, ça avait plus de personnalité qu’un plug-in. Je cherchais à mettre une griffe vraiment authentique sur ça.» Ce goût, ce désir d’explorer des sonorités organiques, colore aussi le refrain du troisième extrait radio Loving Game.

Sorti de sa talle, c’est lui-même qui le dit, il a tendu la main à quatre membres d’une chorale gospel de Montréal. Du nombre, la spectaculaire et infatigable Kim Richardson. «C’est elle qui fait le lead, le blow, c’est elle qui fait les “yeah!” et les “ouh!”. J’avais une première version où c’était moi qui chantais et j’aimais vraiment pas ça. J’ai toujours imaginé un chœur gospel pour cette compo-là. [C’est parce que] j’intègre l’anglais au disque d’une autre façon, d’une façon un peu plus slacker comme sur Allégresse, par exemple. Là, c’était un refrain trop pop pour que je me voie chanter ça.»

Vérités alternatives

Peter Peter est allé au bout du retranchement pour l’écriture de ses textes, se laissant porter au passage par les écrits du romancier de science-fiction américain Philip K. Dick. Une influence majeure pour le parolier, un univers onirique et étrange où l’existence même des protagonistes est remise en question – un peu à la manière du film The Truman Show.

Noir Éden, la pièce-titre, détaille justement cette impression de vivre sur un plateau de ciné, entouré d’acteurs qui jouent nos parents, nos amis, nos voisins. «Les myriades de questions que j’évoque sont par rapport à ça. Parfois, c’est la solitude qui fait en sorte que tu finis par perdre la connexion avec la réalité. L’album raconte ça.»

(Crédit: Paul Rousteau)
(Crédit: Paul Rousteau)

« Parfois, c’est la solitude qui fait en sorte que tu finis par perdre la connexion avec la réalité. L’album raconte ça. »

Peter Peter

L’ermite du 18e arrondissement, des buttes de Montmartre, plonge enfin dans le monde réel pour présenter le fruit de sa fuite. Une tournée qui le ramènera à la maison de manière imminente, où il sera épaulé par une escouade de musiciens exclusivement français qui «ne sont jamais venus au Québec». Une récompense qui arrive cinq ans après la sortie de son dernier effort, tant de temps après l’isolement qu’il s’est lui-même forcé à vivre. On récolte toujours ce que l’on sème.

Noir Éden (Audiogram)
Disponible maintenant

8 mars au Club Soda (Montréal)
12 mars au Cercle (Québec)

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