Gabriel Dharmoo : Brouiller les pistes
Vocaliste extraordinaire et compositeur post-exotique, le chanteur Gabriel Dharmoo fera entendre sa voix avec un ensemble interculturel en avril puis avec la Société de musique contemporaine du Québec en mai, tandis que sa musique sera jouée par l’Orchestre Métropolitain. Pas mal!
Gabriel Dharmoo s’intéressait davantage à la composition qu’à l’interprétation, alors qu’il perfectionnait le maniement du violoncelle à l’Université Laval au début du siècle. C’était avant de devenir lui-même son propre instrument, et l’interprète de sa musique. Né d’une mère québécoise et d’un père caribéen d’origine indienne, le compositeur a trouvé sa voie en retournant à ses racines lors de deux voyages en Inde en 2008 (6 mois) et 2011 (3 mois). Autour d’un café, rue Saint-Laurent, il explique: «Je m’intéresse à plusieurs traditions musicales, mais celle du sud de l’Inde m’interpelle particulièrement. Je ne suis pas un expert de la musique carnatique, parce qu’il s’agit d’une tradition très riche, mais j’ai quand même pu en apprendre pas mal à ce sujet durant mes séjours. Je m’en suis inspiré ouvertement, mais les gens de là-bas trouveraient certainement que ma musique n’a rien à voir avec la leur!»
Cette connaissance partielle de la tradition l’a poussé à développer l’idée d’un folklore imaginaire: «Ça m’est venu d’un certain inconfort à être vu comme un ambassadeur de la musique indienne… Je pense qu’en tant que personne métissée, on ne se sent jamais appartenir totalement à une tradition en particulier, et puis, j’aime cultiver l’ambiguïté entre ce qui est expérimental et ce qui pourrait être traditionnel.»
C’est à travers l’improvisation que le compositeur s’est senti devenir performeur et que le violoncelliste est devenu chanteur. «À Québec, j’avais un groupe avec la chanteuse Elizabeth Lima et on faisait de la musique actuelle de manière instinctive, sans savoir que c’était relié à un courant; ce n’est qu’au Conservatoire, après mon arrivée à Montréal en 2003 que j’ai découvert cette musique dans les cours de René Lussier. J’ai suivi sa classe d’improvisation en tant que chanteur, et c’est lui qui m’a fait découvrir Phil Minton, par exemple.» Dharmoo a eu l’occasion en 2013 de perfectionner sa technique vocale auprès du vocaliste britannique bien connu des habitués du FIMAV.
C’est à la suite de cette découverte de son véritable instrument, la voix, que le travail de Gabriel Dharmoo s’est inscrit dans le courant des compositeurs-performeurs. «C’est une remise en cause du modèle standard, qui remet en doute la nécessité d’avoir un intermédiaire: l’interprète. C’est aussi dans l’air du temps, c’est-à-dire que les jeunes compositeurs ont avec le milieu un rapport qui est différent de celui que pouvaient avoir leurs aînés, à une époque, par exemple, où la musique contemporaine jouait à Radio-Canada…» Si elle ne joue pas à la radio, la musique de Dharmoo se fait tout de même entendre, et après lui avoir déjà mérité de nombreuses récompenses, elle a été retenue pour une troisième fois parmi les finalistes du Prix collégien de musique contemporaine qui sera remis en mai; il a déjà remporté les 2e et 3e prix. Sa pièce en lice cette année, Futile Spells, pour chœur, s’inscrit dans ce folklore imaginaire dont il développe le concept depuis qu’il a décidé de se mettre lui-même en scène avec sa pièce Anthropologies imaginaires: «C’est une pièce solo, quelque chose d’hybride, un documenteur qui est programmé dans des festivals de théâtre. J’y présente de faux exemples de musiques traditionnelles, commentés par de faux spécialistes…» La pièce connaît cependant un vrai succès et il l’a présentée jusqu’en Australie!
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Dharmoo revient fin avril dans un programme de l’Orchestre Métropolitain après y avoir été invité une première fois en 2015. Sa nouvelle pièce s’inscrit dans un concert jeune public, et il aura à sa disposition, en plus des musiciens de l’Orchestre sous la direction du jeune chef Nicolas Ellis, les élèves de 5e et 6e années du programme musique-études au primaire de l’école Vincent-d’Indy, qui chanteront et joueront de la percussion corporelle! «J’adore le fait que ma musique est jouée par un ensemble d’une telle qualité, mais j’aime aussi faire de l’improvisation dans un loft du Mile-End… C’est ce mélange qui me garde créatif!»
Dharmoo chante aussi en tant qu’interprète, mais en demeurant un interprète créatif, qui vient avec sa propre couleur: «C’est encore cette idée, qui est dans l’air du temps, de brouiller la hiérarchie entre compositeur et interprète. C’est aussi ce que je fais avec Sound Of Montréal, l’ensemble interculturel que codirigent Kiya Tabassian et Sandeep Bhagwati.» Gabriel Dharmoo participera aussi en tant que chanteur à la grande création Niemandslandhymnen de Sandeep Bhagwati, qui occupera tout un programme de la Société de musique contemporaine du Québec en mai. Reste plus qu’à espérer que le public le suivra au-delà des frontières entre les genres!
Orchestre Métropolitain: La Symphonie des jouets
30 avril, 14h, Théâtre Outremont
SMCQ: Niemandslandhymnen
18 mai, 19h, Usine C