Co/ntry : spontanéité brute
Musique

Co/ntry : spontanéité brute

Duo déjouant habilement les classifications en n’en faisant qu’à sa tête dans ses méthodes de composition, Co/ntry a récemment lancé son deuxième album complet intitulé Cell Phone 1, une succession impressionnante ainsi qu’un véritable OVNI dans le paysage musical québécois. Portait d’un groupe au futur constamment changeant.

Beaver Sheppard et David Whitten, bien que de tous deux natifs de Terre-Neuve, sont désormais bien ancrés à Montréal et y font partie intégrante de la scène musicale émergente. C’est même au sein de la métropole que les deux musiciens ont fait connaissance, sans même avoir l’idée initiale de jouer ensemble : « Beaver sortait avec ma coloc, donc on ne se parlait pas beaucoup, explique David. “Salut, au revoir”, ce genre de trucs. » Beaver poursuit : « De mon côté j’étais dans la lotto Pop Montréal. Ils ont pris quelque chose comme 50 musiciens et les ont mélangés pour créer différents bands, et tous les musiciens placés avec moi ont décidé d’abandonner. Ma copine m’a alors mentionné que son coloc jouait aussi de la musique… Alors j’ai cogné à sa porte et je lui ai dit “Hey, ça te tente de jouer dans un groupe avec moi? On doit avoir trois chansons prêtes d’ici trois jours.” »

David a rapidement accepté l’offre cavalière de son compatriote et ils se sont tous deux mis à composer en rush. Dès les premiers instants, la chimie s’est installé entre eux. Avec un clavier, une guitare et un microphone branchés, ils se sont simplement mis à jouer, et ce qui en est sorti est devenu l’ébauche du son inimitable qu’ils arborent aujourd’hui. « En quelques heures, on avait déjà les bases d’Africa, et ensuite ça a vraiment déboulé, explique Beaver. On faisait vraiment simplement ce qui nous passait par la tête, et ça marchait. Des fois, faut pas se poser plus de questions que ça, tu sais. »

[youtube]fgm4kgi2new[/youtube]

créer sans destination

C’est en partant de cette méthode de composition, proche de l’improvisation, que s’est poursuivie l’exploration sonore du groupe. « On ne fait pas vraiment de compromis quand on travaille ensemble, mentionne David. Certains trucs que j’écris le font royalement chier et je déteste d’autres trucs qu’il peut composer. En général, on arrive avec chacun des tonnes d’ébauches, et les seules chansons que l’on développe sont celles sur lesquelles on s’entend tous les deux. Si ça ne nous plaît pas dès le début, on ne perd pas de temps à essayer de rendre ça plaisant, on passe à autre chose. »

C’est ainsi que s’est très rapidement construit le matériel qui allait être l’essence du premier album du groupe. Mais initialement, le projet n’en était pas nécessairement un de longue durée et les deux artistes ont plutôt travaillé à rendre les arrangements intéressants pour un contexte de performance. Après un spectacle initial en 2011, Co/ntry (qui se nommait toujours Country, à ce moment) a fait quelques autres concerts, puis David est parti vivre au Nunavut pendant un an. À son retour, ils se sont rejoints et, instantanément, ils ont eu le désir de poursuivre leur travail. Ils se sont mis au boulot, en raffinant et enregistrant la musique qui devait se retrouver sur Failure, leur premier album.

« Un coup que tout était prêt, on s’est dit que ce serait bien de magasiner un peu pour un label, histoire de ne pas lancer ça dans l’univers sans support, explique Beaver. Après peut-être une ou deux semaines de recherches, BOOM! David le sort de son côté.» Ce dernier poursuit : « Ouais, je l’ai juste sorti sur Facebook, sans en parler à Beaver avant. On négociait avec un des gars du Bethlehem XXX, qui allait ouvrir un label, et puis on soir où j’étais probablement pas mal soûl, je me suis simplement tanné et je l’ai sorti. Juste comme ça. »

[youtube]s27R4w_Anoc[/youtube]

abus de composition

Après avoir eu une âpre discussion à propos de ce move des plus aventureux, Beaver et David ont décidé de se remettre à la composition immédiatement. « On a composé un album au complet, mais on ne l’a jamais lancé, explique David. Ça s’appelle Technoprisoners, et on était vraiment très wasted quand on l’a composé. Y’a du bon, mais ce serait impossible à recréer en show. » Beaver l’interrompt : « J’adore cet album! Il y a juste une chanson qui ne serait pas jouable en concert, selon moi. David a simplement joué intensément pendant 15 minutes sans jamais rien répéter et j’ai fait la même chose avec ma voix. C’est un sommet artistique qu’on ne pourrait jamais réussir à atteindre à nouveau. On va peut-être le lancer un jour, mais sûrement pas avant un bout, et sûrement quand on va être chauds. »

Après avoir pris la décision de ne pas aller de l’avant avec la sortie de Technoprisoners, ils se sont demandé s’il était plus viable de retravailler ces chansons que d’en faire de nouvelles. « Dans un monde idéal, on lancerait un album par semaine, lance David. Mais bon, il y a certaines formes de contrôle de qualité qui nous empêchent de faire ça. » Beaver le coupe à nouveau : « Personne ne veut un album de Co/ntry par semaine, de toute façon. Comme avec n’importe quoi, si t’en as trop, ça perd de sa saveur. »

dsc00117
Beaver, David et leur chat

Plutôt que d’essayer de raffiner la musique de Technoprisoners pour la faire paraître, ils ont donc décidé de se lancer, encore une fois, dans la composition erratique de nouveaux morceaux. « Ce qu’on compose, c’est des moments, dit Beaver. Quand on essaie de revenir sur des chansons écrites il y a trop longtemps pour les retravailler, elles nous ennuient. On n’a pas le choix de toujours se renouveler dans ce projet-là. On a aussi la chance d’avoir notre studio directement dans l’espace de pratique et de mixer nous-même notre musique, ce qui nous permet de tout le temps créer et enregistrer à mesure. »

un chemin guidé par l’improvisation

C’est donc encore une fois en quelques mois seulement que s’est composé et réalisé Cell Phone 1, leur second (et excellent) opus. Beaver est arrivé au local avec une nouvelle basse, ce qui explique les nombreux hooks de basse sur le nouvel album. « On compose tellement avec un focus sur le moment présent, mentionne David, que juste d’avoir un nouvel instrument peut influencer notre direction musicale de manière significative. On s’est mis à mettre de la basse partout, et ensuite Beaver s’est mis à faire de nouvelles choses avec sa voix, ce qui a vraiment guidé le nouveau matériel. Mon truc pour cet album, en studio, c’était de lui dire de chanter comme Macy Gray. Ce n’est pas qu’il sonne même proche de Macy Gray, mais quand je lui dis ça, il se met à chanter d’une façon vraiment bizarre qui marche vraiment bien avec ce qu’on fait. Un peu comme une Marge Simpson musicale. »

Pour enregistrer cet album, Co/ntry y est allé d’une technique qui sied parfaitement à son esprit créatif presque chaotique. Laissant simplement rouler un beat en arrière plan, Beaver et David s’échangaient tour à tour la place sur les différents instruments pour enregistrer des portions de chansons. En réécoutant ces longues sessions, ils choisissaient ce qui leur plaisait le plus, et ré-enregistraient ce qui le nécessitait. « C’est vraiment comme un jam session enregistré, cet album-là, développe Beaver. On s’est laissé complètement aller à notre créativité et à nos idées de merde, sans rien filtrer avant de les essayer. Comme ça, on a certainement pu faire passer des choses qu’on aurait jamais laissé passer si on en avait discuté avant, et ça donne une musique réellement plus authentique et fidèle à ce qu’on est comme artistes. »

Le groupe se prépare à promener un peu Cell Phone 1 sur les routes avant de se remettre à composer. Avec une bonne réception de la critique et du public, ce nouvel album saura certainement élargir encore plus leur bassin de fans.  « On va essayer de jouer le plus possible avec ces chansons-là, conclut Beaver, mais c’est certain qu’on va rapidement se tanner. Je ne veux rien promettre, mais je suis pas mal certain qu’on va se remettre à composer comme des malades d’ici un mois ou deux, qu’on va encore se soûler et faire un album qu’on ne sortira pas, pour finalement avoir 48 chansons et en mettre 16 sur un disque. C’est ce que nous sommes. »