Aliocha: Délier ses chaines
Musique

Aliocha: Délier ses chaines

Il a donné la réplique à Monica Bellucci, on l’a vu dans deux films de Léa Pool, mais Aliocha a toujours rêvé de musique. 

C’est une entrevue en deux temps : de son siège d’un train Bruxelles-Berlin, dialogues intéressés entrecoupés de silences forcés, puis d’où ne sait où une fois arrivé à bon port. Une idée de la vie de tournée et ses déplacements chaotiques, les boîtes d’instruments en soute, cette fatigue qui se mêle à l’excitation des départs, l’ambition qui, parfois, peut-être, se heurte aux lendemains de veilles. Accompagné de son frère Volodia, batteur émérite connu pour son travail avec le Cirque du Soleil et une réinterprétation assez fantastique de Heartbeats par The Knife, Aliocha nage entre deux eaux avec ses onze chansons dans ses bagages. Un album complet, un premier, pour cet artiste d’ailleurs et d’ici, éternel étranger à l’accent métissé et au prénom qui évoque l’œuvre, une nouvelle en fait, de Tolstoï.

Il y a cette vie d’acteur, mentionnons-la brièvement, qui reste indissociable de son être. Sans parler des comparaisons, esthétiques surtout, avec son doppelgänger de frère aîné: Niels. Une fixation des journalistes, peut-être même des fans de Dolan, qui doit l’agacer au plus haut point même s’il ne l’évoque qu’à demi-mot. Trop timide, tellement poli, dans un éclat de rire « Mais des fois, ça a des avantages! Je me suis déjà fait servir le champagne dans l’avion pour me féliciter de mon travail dans Les amours imaginaires. » Toujours est-il que c’est dans sa musique que l’avant-dernier de la lignée Schneider prend son pied, canalise sa créativité et s’exprime en son nom. Il s’écrit des paroles autobiographiques, mais romancées, « qui dévient de la réalité », des histoires qui résonnent en lui d’une toute autre manière que les dialogues d’autrui qu’il s’efforce d’apprendre par coeur. Cette fois il ne joue pas de rôle. « Je le vois comme deux choses vraiment différentes. Beaucoup de musiciens commencent avec un autre métier avant et moi, le mien, ça aura été comédien. Mais voilà, c’est un peu ma peur aussi… Que les gens qui me connaissent comme comédien aient l’impression que je fais de la musique comme hobby comme beaucoup d’autres font, pour s’amuser, alors que moi c’est pas du tout ma façon d’aborder le projet. »

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Crédit: John Londono

La chanson est la passion première de l’avant-dernier de la fratrie Schneider – lignée de talentueux jeunes hommes à la gueule d’ange. Des garçons poussés par un père autrefois danseur de ballet qui a initié ses héritiers à l’art : Vassili, Volodia, Niels et feu Vadim – l’aîné qui avait offert un album de Shania Twain au petit Aliocha. « Ça me fait rire, c’est plus trop mon style!, puis, dans un chuchotement, j’ai honte de dire ça, mais je trouve encore ça bon, Shania Twain… C’est clairement mon guilty pleasure. J’ai arrêté d’écouter ça quand mes frères ont ri de moi parce que je chantais Man! I Feel Like a Woman dans la cuisine. » N’empêche : c’est avec Come on Over, pochette sur fond blanc avec la diva country pop vêtue de rouge, qu’il décide, à 9 ans, de devenir chanteur. À cause d’elle, oui, mais aussi de Robbie Williams et ses vidéoclips élaborés. S’en suivront des leçons de chant puis la découverte de la guitare à travers Bob Dylan, Cat Stevens et Neil Young. « C’est là que j’ai commencé à composer, en fait, parce qu’avant je croyais qu’il fallait être un génie pour écrire une chanson à partir du silence. C’est avec cet instrument que j’ai vu que c’était possible. » Dès lors, il dévie de sa trajectoire pop aux accents parfois country pour se coller à la folk, un genre musical qui sied bien aux voix imparfaites, façonnées par les émotions. Dès lors, il abandonne les cours. « J’avais peur d’être le chanteur Star Académie et d’avoir une voix stéréotypée, comme tout le monde. »

Chassant le quétaine, soucieux de ne pas tomber dans le piège en s’entourant des meilleurs, il accoste Jean Leloup dans un café. Accessible, l’auteur-compositeur-interprète de légende l’invitera à enregistrer quelques maquettes dans son studio, des sessions initiatiques qui lui auront permis de récolter quelques conseils. L’icône, pour lui, deviendra mentor. « Au moment où je l’ai rencontré, j’avais 17 ou 18 ans. J’avais que des chansons acoustiques et j’avais jamais joué avec des musiciens en fait. Du coup, j’aurais facilement pu m’associer avec un arrangeur, par exemple, qui aurait fait quelque chose de plaqué autour de ma guitare. Je n’aurais pas eu ma couleur. » Conscient du travail qu’il reste à faire, l’adulescent entreprend de s’enfermer avec un batteur, un autre guitariste et un bassiste. Pour la première fois dans sa vie, c’est lui qui donne les ordres aux interprètes plutôt que de les subir. C’est lui le patron. « Ce qu’il m’a apporté, Jean, c’est beaucoup la confiance et la légitimé de faire ça. D’avoir quelqu’un qui m’admire et qui me dit : ‘’c’est bon, tu devrais faire ça dans la vie’’, c’est ça qui m’a lancé. »

Contemporain d’Alex Turner, surtout pour la B.O. de Submarine qu’il avoue d’ailleurs adorer, et même du groupe The Seasons, il partage avec eux un accent late sixties/early seventies dans ses arrangements. Aliocha cultive son goût des sonorités organiques sur cet album réalisé par Samy Osta ( La Femme et Feu! Chatterton), fruit d’une retraite de deux semaines à Göteborg en Suède. « C’est le bassiste de Soundtrack of Our Lives, un groupe local qui a bien marché dans les années 90, qui a ce studio-là. Pour l’anecdote, c’est la même console que Bowie a utilisée pour enregistrer Heroes! » C’était il y a un an et demi, un exil introspectif, une bulle d’où les chansons ont germé avant d’être retravaillées à Paris. Une vingtaine créations dont quelques plages cachées sur un disque dur externe qui verront la lumière au FIJM – 75 minutes sur scène, son plus gros set à vie.

Les 29 et 30 juin au Savoy du Metropolis
(Dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal)

Eleven Songs (Audiogram)
Disponible le 2 juin

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