Musique

Amours, délices et orgues : Quand l’avant-garde fait de la pop

Pierre Lapointe présente Amours, délices et orgues, un nouveau spectacle multidisciplinaire à Québec et à Montréal, une rencontre entre disciplines qui aspire à charmer plusieurs types de publics, autant averti que néophyte. Le créateur présente un projet audacieux, à l’image d’une curiosité qu’il nourrit depuis plusieurs années. 

Un passage à Nice, au Hi hôtel aménagé par Matali Crasset, designer de renommée internationale, puis un premier concert avec l’organiste en résidence de l’OSM auront été des événements déterminants pour la matérialisation d’Amours, délices et orgues. Le premier événement l’a mené à se lier d’amitié avec la designer, tandis que le deuxième l’a inspiré à présenter un spectacle dans une salle destinée à la musique classique, ce qui éveillera chez lui l’idée de faire intervenir le design pour résoudre les contraintes de performances. Pour ce passionné du design, c’est aussi une façon de donner de la visibilité à cette discipline et d’y sensibiliser le public québécois. Une démarche que l’on associe bien au chanteur qui aime également se qualifier de «chercheur» en se donnant le défi de décloisonner l’accès aux pratiques contemporaines. «Tout le monde est sensible à la beauté et à l’émotion […] on n’a pas besoin d’une maîtrise en art contemporain pour le voir et l’apprécier.» Pierre Lapointe prend ainsi la chanson comme «prétexte pour faire tomber les frontières entre les médiums», une démarche qu’il a entreprise dès les débuts de sa carrière en travaillant avec des artistes visuels comme David Altmejd ou Dominique Pétrin, tantôt pour habiller ses pochettes d’albums ou pour proposer des spectacles éclatés.

Avec Amours, délices et orgues, le chanteur demeure fidèle à lui-même en poussant le concept de rencontre un peu plus loin, dans une formule qui conjugue voix, danse et orgue. Pour ce faire, il a rassemblé une équipe éclectique composée de l’organiste Jean-Willy Kunz, de l’auteur Étienne Lepage, du chorégraphe Frédérick Gravel, du concepteur d’éclairage et collaborateur de longue date Alexandre Péloquin, de la comédienne Sophie Cadieux pour la mise en scène et de Matali Crasset pour la scénographie.

Photo : Antoine Bordeleau
Photo : Antoine Bordeleau

D’ailleurs, son coup de cœur pour le travail de la designer s’explique facilement; elle a fait ses armes aux côtés de Philippe Starck et cultive une démarche basée sur l’expérimentation qui lui a permis de s’aventurer en graphisme, en architecture intérieure et en design industriel en osant se servir de couleurs et de formes atypiques. «Elle a un esprit communautaire, une conscience sociale et écologique qui est assez inébranlable dans son travail. Au-delà de sa forme plastique, il y a une démarche qui est très intègre et ça suscite beaucoup d’admiration chez moi.» Accompagné d’étudiants de l’UQAM, Matali Crasset a développé une scénographie composée d’un système de formes superposées autoportantes. Pierre Lapointe n’en dira pas plus dans un souci de faire perdurer le mystère du spectacle jusqu’à sa première. Quand on lui demande à quoi on peut s’attendre pour son contenu, il demeure réservé, si ce n’est de l’enthousiasme avec lequel il aborde cette nouvelle création. «C’est une espèce de spectacle libre. Je m’amuse en disant que c’est un show d’Yvon Deschamps 2.0, version design-intello, parce qu’il va susciter exactement le même genre de plaisir. Quand Yvon Deschamps commençait à raconter quelque chose, il y avait à un moment une chanson qui partait et qui servait à faire un lien ou à rompre avec le thème qu’il venait d’aborder. C’est un peu l’approche avec laquelle on a construit le spectacle. C’est très libre, très distrayant et très joyeux. Il y a des moments un peu plus sombres, mais c’est un spectacle qui va demeurer extrêmement vivant pendant lequel les gens n’auront pas le temps de s’ennuyer.»

Il y abordera des questionnements artistiques, sentimentaux et sociaux à travers des monologues de quelques minutes entrecoupés de chansons où vont s’insérer des chorégraphies. Les textes seront récités de façon à laisser planer un doute entre ce qui aura été écrit par Étienne Lepage ou affirmé spontanément par lui. «Il y a une confusion entre les deux qui est très intéressante pour moi parce que je ne peux pas arriver comme un acteur sur scène.» Un flou délibéré et des textes qui feront vivre des malaises. «L’écriture d’Étienne Lepage ressemble beaucoup à mon humour. Je ne le mets pas de l’avant parce que je suis chanteur, mais quand les gens viennent voir des spectacles souvent, ils sont surpris de rire autant. Je suis beaucoup dans l’autodérision. Je vais souvent passer mes idées sociales par ironie ou par contradiction, toujours à travers l’humour.»

Au cours de la prochaine année, on verra se succéder le dévoilement de projets artistiques signés par l’auteur-compositeur-interprète qui annonçait récemment la sortie de son prochain album à l’automne. «Je suis fatigué, mais je suis extrêmement heureux. Les moments où je m’oblige à être plus calme, à moins voir mes amis, sont compensés par une grande fierté. De voir le spectacle prendre forme, c’est un grand accomplissement. C’est pour ça que je vis, c’est pour ça que je fais ce métier-là.»

Les 9 et 10 juin au Palais Montcalm (Québec)
Du 14 au 17 juin à la Maison Symphonique dans le cadre des FrancoFolies (Montréal)