Frustration est né un peu à l’improviste en 2002. Quelques amis musiciens qui avaient déjà erré d’un groupe punk, garage ou oi! à l’autre, ont eu l’envie de se lancer dans un projet cold wave, un truc plus sombre et mordant, à l’image de pionniers tels que Warsaw/Joy Division, The Fall, Crisis et Wire. Sans se presser et sans trop d’attentes, la bande s’est mise à répéter et composer pour enfin faire ses premiers pas sur scène en 2003 et ne se commettre officiellement sur disque qu’un an plus tard avec un premier EP. C’est en fait le désormais célèbre label (et boutique de disques) au parcours irréprochable Born Bad qui fit paraître le premier album complet de la formation en 2008. Quand un des fondateurs de ladite boutique – Mark Adolf – joue de la batterie dans le même groupe, disons que ça facilite les rapprochements.
Depuis la sortie de Relax, plusieurs fois réédité, Frustration est devenu le meilleur vendeur et un peu le groupe phare de l’étiquette parisienne. Le quintette a ensuite présenté Uncivilized en 2013 et Empires of Shame à l’automne 2016, récoltant le même succès. «Nous n’avons jamais eu de plan de carrière. Le groupe est né justement d’une frustration commune, parce qu’on n’était plus tellement excités par une certaine musique punk et que tout le reste qui pouvait nous toucher, comme Interpol par exemple, nous paraissait un peu trop formaté et édulcoré. On voulait créer quelque chose de plus incisif», résume Fred Campo, le claviériste de la formation rencontrée alors que celle-ci venait à peine de déposer ses valises et son matériel à Montréal pour une série de concerts au Québec et en Ontario. Il s’agit d’une première mini tournée canadienne qui se terminera samedi à la Sala Rossa dans le cadre du festival Suoni Per Il Popolo. «On répond aussi à une certaine frustration du public», ajoute Fabrice Gilbert, le chanteur du groupe. «Dans le registre musical qui nous occupe, les gens cherchent quelque chose de plus authentique. C’est peut-être parce qu’on croit réellement à ce qu’on fait qu’on est crédible. Je dirais qu’on arrive à amalgamer intellectualisme cold wave et nihilisme punk sans trop verser dans l’un ou dans l’autre». «On va aux sources sans toutefois tomber dans le revival», intervient Mark Adolf. «Et on est bien sûr à l’écoute de ce que font d’autres artistes actuels partageant les mêmes influences.»
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Jamais trop tard
À l’instar de quelques autres groupes virulents, comme Sleaford Mods dont l’âge des membres tourne autour de 45 ans, quatre des cinq musiciens de Frustration ont la quarantaine bien avancée (quinqua même), comme quoi on ne s’assagit par forcément avec le temps, ce qui est plutôt rassurant. Et tout comme le duo britannique, Frustration suscite l’intérêt d’un public de différentes générations, mais souvent plus âgé. «En France, on remarque des gens qui viennent à nos concerts qu’on ne voyait plus dans les salles de spectacles», précise le chanteur. «Des quarantenaires qui aiment le punk, le post-punk et la cold wave mais qui ne se reconnaissent plus dans la majorité des musiques populaires ou underground actuelles ou tous ces restes de groupes de l’époque qui sont aujourd’hui plus pathétiques qu’autre chose. Ce n’est pas le cas de tous, mais il y en a qui sont vraiment tristes à voir. Quand tu donnes en pâture à un certain public Peter Hook and The Light, qui n’est que du réchauffé de Joy Division, malgré tout le respect qu’on a pour Joy Division, ça ne fait pas rêver! Reste que des groupes comme le nôtre, il y en a tout de même quelques-uns et loin de nous l’idée de se positionner comme les apôtres d’une cold wave plus abrasive et authentique. Nous ne faisons que jouer la musique que l’on aimerait entendre ailleurs», insiste Fabrice Gilbert. «Par contre, si on peut inciter des gens de notre âge et des mêmes horizons que nous à reprendre leurs instruments, à se remettre à écrire des chansons, alors là ce serait franchement notre plus bel accomplissement!»
En concert le samedi 10 juin à la Sala Rossa dans le cadre de Suoni Per Il Popolo