Musique

Tei Shi: Tellement plus qu’une sirène

De partout et de nulle part à la fois, Valérie Teicher s’est créé une identité musicale à son image. Bigarrée, ouverte sur le monde, résolument américaine – au sens continental du terme. 

Retour en mars dernier. Valérie Teicher, qui a choisi Tei Shi pour nom de scène, fait paraître un premier LP très cohérent et, par-dessus tout, terriblement envoûtant. Ceux qui aimaient déjà l’univers futuriste de l’inclassable chanteuse y ont vu une évolution certaine. Un changement de méthode, très certainement, pour cette musicienne qui a pris du galon et qui ne compose plus systématiquement a’capela. «C’est comme ça que j’ai commencé à écrire et à m’enregistrer parce que je n’avais que très peu de ressources et que je ne savais pas trop ce que je faisais. Je me suis beaucoup fiée sur ma voix, c’est comme ça que j’ai fait presque tout mon premier EP.  C’était, grosso modo, juste des couches de voix et des arrangements vocaux. J’ai aussi beaucoup écrit mes idées d’arrangements avec ma voix avant de les remplacer par d’autres instruments.» Passée de créatrice débrouillarde à multi-instrumentiste en l’espace d’à peine quatre ans et deux maxis déjà très bons, la musicienne est devenue sa propre beatmakeuse – mot rarement féminisé, inutile de le préciser. «Je suis devenue assez confortable pour jouer toutes sortes de choses.»

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Ce qui ne change pas, c’est ce registre vocal large, cette facilité qu’elle a de passer à des notes basses, une voix presque rauque, à ses susurrements infiniment doux, cristallins, tellement hauts. Une “musique de sirène”, c’est elle même qui la présentait comme ça au début de sa carrière, au nombre de BPM plutôt bas, certes, mais qui se danse quand même. “Ce n’est pas un choix conscient. Je pense que j’ai toujours aimé la musique plutôt lente, la musique qui est un peu plus downtempo. Je crois que ça me permet d’écrire des mélodies qui me viennent plus rapidement parce qu’il y a plus d’espace [entre les notes]. Je trouve ça vraiment difficile d’écrire de la musique up-beat.”

Latina du nord

Aujourd’hui basée à Brooklyn, Valérie Teicher est de ces humains, les rares, qui ont vu leur courte existence bousculée par des déménagements à l’autre bout du continent. Elle a vu le jour en Argentine, de parents Colombiens, avant que ces derniers ne plient bagages pour regagner la mère patrie. “Je suis née à Buenos Aires, mais je n’ai pas vraiment de lien avec le pays outre ça. On a vécu là-bas jusqu’à mes deux ans.”

C’est à Bogotá que ses racines sont ancrées, la capitale, cette ville d’Amérique du Sud qui a laissé une empreinte quasi indélébile sur son travail. À cause de ce que ses parents écoutaient à l’époque, sans doute. “En vieillissant, j’ai vraiment développé un plus grand intérêt pour un tas de styles de musiques latines. Par exemple, j’adore la musique brésilienne, le jazz latin, la bossa nova. Adolescente, j’ai découvert Fito Páez, un auteur-compositeur-interprète très important en Argentine.  Dans les dernières années j’ai davantage été en contact avec la salsa, le meringue, un paquet de genres auxquels je n’étais pas exposée en Colombie et que je n’aimais pas avant. […] Je pense que j’incorpore inconsciemment et subtilement ces différents styles. Les musiques latines ont définitivement influencé mon travail, surtout au niveau des rythmiques et des percussions, sur certaines chansons. Je crois que mes mélodies vocales peuvent aussi rappeler quelques chanteuses brésiliennes comme Gal Costa et Astrud Gilberto.”

La pop mondialisée, états-unienne surtout, l’a aussi façonnée. À 8 ans seulement, sa famille a choisi de fuir la Colombie («il y avait beaucoup de corruption, de violence, ç’a n’allait pas bien du tout») et de reconstruire leur nid à Vancouver. Une nouvelle vie, un nouveau départ pour la pré-ado qui sera, comme tant d’autres petites Canadiennes, secouée par l’ouragan Britney – figure iconique qu’elle évoque d’ailleurs sur la plage 6, un monologue intitulé bad singer, l’extrait d’une cassette enregistrée enfant. «J’espère seulement qu’un jour, clame la mini Valérie, je pourrai être comme Britney Spears.» Force est d’admettre que la vedette n’a pas laissé de trace sur sa musique, outre ce petit intermède et, peut-être, cette envie de foncer. «Elle est comme notre Madonna. Je me souviens d’elle comme d’une jeune femme qui a redéfini les codes de la pop et qui était, aussi, une excellente performeuse.»

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L’enfance est justement le fil conducteur de Crawl Space, son premier disque qui – traduction libre – tire son titre du sous-sol pas fini où elle se forçait à aller pour vaincre sa peur de l’obscurité. Des souvenirs aussi évoqués par les interludes vocaux vintage parsemés entre les morceaux, des segments audio qui l’ont aidé à se retrouver et se définir comme adulte. «Le processus de création de l’album a été marqué par beaucoup de méditation, spécialement en écoutant ces cassettes et en retombant sur de vieilles vidéos VHS où je me suis vue chanter pour ma famille, présenter des petits spectacles. J’ai réalisé que j’avais, en quelque sorte, perdu cette passion, cette confiance en moi. Personne n’a d’inhibition, étant enfant. En grandissant, on apprend à repousser ces parties de nous et à nous conformer pour plaire aux autres.» Une réflexion, ou serait-ce un constat, qui l’a aidée à surmonter sa timidité comme adulte, à devenir cette artiste sans complexe, «unapologetic» comme elle dit, un mot qui ne se traduit pas vraiment. Valérie Teicher a beaucoup appris de «la version enfant» d’elle-même parce qu’après tout, et quitte à citer Céline, «on ne change pas, on ne cache que des instants de soi.»

Mardi 11 juillet à 19h45
Impérial Bell
(Dans le cadre du Festival d’été de Québec)

Mercredi 27 septembre à 20h30 (avec Dizzy en première partie)
Petit Campus, Montréal

Crawl Space, Arts & Crafts
Disponible maintenant