Sa voix, que même la mue n’a pu lui voler, saisit par sa clarté et sa hauteur céleste. Un instrument que le trentenaire s’est efforcé de conserver intact, comme pour honorer sa carrière précoce. Anthony Roth Costanzo est de ceux qui ont commencé tôt, à 8 ans en fait, de ces rares qui ont chanté sur Broadway avant d’atteindre la Middle School de ses États-Unis d’origine, des infimes chanceux qui se sont vus offrir un premier rôle à l’opéra pendant leur adolescence. «Quand j’ai eu 13 ans, quelqu’un m’a demandé de faire The Turn of the Screw de Benjamin Britten à l’Opera Festival of New Jersey… Je l’ai fait à titre de boy soprano, mais mes collègues, les autres chanteurs, m’ont dit: “Peut-être que ta voix a changé. C’est possible que tu sois contre-ténor, que tu aies déjà traversé la puberté et que tu chantes juste en falsetto”. En gros, c’est pas mal ce qu’on fait comme contre-ténor. On chante avec notre voix de tête! À partir de ce moment, j’ai décidé d’emprunter cette voie-là et je n’ai jamais regardé en arrière.»
Ça semble facile, quand on l’entend, le voit dans les captations d’Akhnaten de Philip Glass, dans ce numéro périlleux avec pirouettes et claquettes autour d’I Got Rythmn de Gershwin. Une détente qui cache en fait un dévouement entier à son art, une discipline presque olympique.
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D’aujourd’hui et d’hier
Anthony Roth Costanzo est un contorsionniste. «Comme contre-ténor, on est coincé entre ce qui a été fait avant les années 1700 et ce qui a été composé après 1950. Donc, dans ma carrière, j’ai un répertoire à moitié baroque, à moitié contemporain.» Une flexibilité certes forcée, mais une soif sincère de nouveauté, qui pousse les virtuoses des Violons du Roy (ensemble qu’il a «toujours admiré») à se faire aller l’archet hors de leur zone de confort. En acceptant l’invitation de la star infiniment humble Jonathan Cohen – récemment nommé directeur musical en remplacement du fondateur Bernard Labadie –, il consent à entrer dans l’univers bigarré d’un artiste bien de son temps.
Choisi par l’English National Theatre de Londres pour camper Akhnaten l’an dernier, le chanteur est devenu quasi indissociable du pharaon androgyne et, ce faisant, d’une portion de l’œuvre de Philip Glass. «Je m’intéresse à son travail depuis que j’ai vu Einstein on the Beach, sa création phare, quand j’étais jeune. C’est avec Akhnaten, spectacle avec lequel j’ai connu beaucoup de succès, qui, je crois, est un chef-d’œuvre, que j’ai commencé à réaliser que le minimalisme de Philip Glass et son approche moderne à la composition de musique tonale peuvent avoir le même effet qu’Haendel. […] Pour moi, il y a comme une suspension, comme si, soudainement, le temps s’arrêtait. Philip Glass peut faire ça, c’est presque méditatif. Haendel en est aussi capable, c’est une sensation similaire, ça te coupe presque le souffle quand c’est bien fait. C’est presque magique, comme si on te jetait un sort.» De passage au Festival d’opéra de Québec, le musicien étrennera également sa version de Liquid Days – un poème de David Byrne enrobé dans les notes de Glass. Un réarrangement spécialement créé pour sa voix si singulière, une relecture toute neuve cautionnée par la légende vivante qui l’a composée.
Comme contre-ténor, on est coincé entre ce qui a été fait avant les années 1700 et ce qui a été composé après 1950.
Naturellement, le programme d’un vocaliste de sa trempe ne serait évidemment pas complet sans un segment dédié à Haendel. Friand des raretés, de pièces rarement jouées, le New-Yorkais cultive un goût pour l’oublié et les arias obscures comme Stille amare et Rompo i lacci, pièces qui lui ont permis de remporter le Metropolitan National Council Audition en 2009. Il offrira aussi Pena tiranna et Viva tiranno, toujours du grand maître allemand, des airs peu connus qui ont toutefois marqué son parcours «sur le plan artistique, oui, mais aussi humain».
Les époques s’entrechoquent sur les cordes vocales d’Anthony Roth Costanzo. Un mariage entre les styles, les castrats d’Haendel et la coolitude intemporelle de David Byrne des Talking Heads, deux solitudes qui ont plus en commun qu’on ne pourrait le croire. «C’est important de se rappeler que la musique de la période baroque que je chante était, autrefois, chantée par des castrats, les rock stars de l’opéra.»
5 août
Au Palais Montcalm
(Dans le cadre du Festival d’opéra de Québec)
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