Il s’était vautré dans le noir, il aurait voulu mourir. Jason Bajada, l’homme, s’est arraché à son mal-être et l’auteur-compositeur en est ressorti plus fort, armé d’une inspiration nouvelle. Loveshit II (Blondie & The Backstabberz) est une ode à la résilience. C’est un recueil qu’on écoute les bras hérissés de frissons, la gorge pesante.
Le vent finit toujours par tourner. Rejoint à L.A., de cette villa hollywoodienne dans les montagnes, le chanteur a la voix souriante. « Je suis en train de coécrire des chansons avec plein de monde de partout sur la planète et, nous autres, on est les trois petits poussins d’Audiogram : Matt Holubowski, Aliocha et moi. Y’a pas de pression. On écrit des tunes et y’a comme des semi-commandes. Aujourd’hui, tu vois, je suis jumelé avec des producteurs italiens. » Cette surréaliste résidence est une trêve pour le drama queen autoproclamé, une percée de soleil à l’aube d’une tournée qui le replongera dans d’intenses émotions. « C’est tellement un cliché, je pensais jamais dire ça, mais cet album-là m’a sauvé la vie. »
Sang, sueur et larmes
Les choses de l’amour à marde, pour citer la poétesse Maude Veilleux, ont toujours inspiré Bajada. Loveshit (premier du nom) l’avait guéri d’une relation destructrice en 2009. Huit ans et trois offrandes plus tard, il en dévoile un second chapitre décliné en deux disques. Lui-même vous dira qu’il s’agit de son offrande la plus personnelle à ce jour, tant au niveau des paroles (nous y reviendrons) que des arrangements qu’il cosigne avec son réalisateur Philippe Brault. « J’avais déjà une trentaine de maquettes avant de le rencontrer. J’avais choisi des instruments, j’avais programmé des drums. Habituellement on se sert d’environ 5% des trucs que je fais moi-même, mais là on a gardé plus ou moins 30%. Il y a quand même un gros chunk qui a été enregistré en pyj chez nous avec la basse directe dans la carte de son. »
Ce nouveau bras droit l’a mis en confiance. L’autre musicien, qui l’accompagnera d’ailleurs sur scène, a apaisé ses insécurités pour mieux le pousser à aller au bout de ses idées, à assumer la pluralité de ses références. Sur Loveshit II, le Montréalais concilie toutes ses voix : celle du crooner, du rockeur façon Julian Casablancas ou Iggy Pop, du poète tourmenté alla Morrissey ou du contemporain de Springsteen pour le côté roots. Des influences qu’il n’avait jamais osé assembler jusqu’ici. « Je le dis sans gêne, c’est l’album qui me ressemble le plus. »
Je suis sûr que je mens quand je dis ça, mais c’est mon dernier album. J’ai tout laissé sur la table. This is my blood, sweat and tears.
C’est le vocaliste séducteur, voire taquin, qui nous tend la main sur Blondie. Dix plages narratives, l’évolution d’une fréquentation amoureuse de son effervescent commencement jusqu’à sa dissolution. « Je l’ai mis en premier parce qu’il est plus uplifting. C’est vraiment pas dépressif du tout. Je voulais aussi montrer le bon côté. Naturellement, je commence à être habitué d’écrire des tunes d’amour donc j’ai commencé avec le plus facile. »
Le volume I s’introduit et se conclut avec la même pièce, A Collision, une chanson d’espoir sur fond de méfiance. Un cycle que l’humain est condamné à revivre, comme dans une spirale infinie, parce que l’histoire se répète toujours un peu. Cette pièce, c’est aussi l’autopsie d’une infatuation – un mot intraduisible en français. Ça parle de ce ramassis de pensées obsédantes à l’endroit d’une seule et même personne, de ses fantasmes qui meublent notre tête au moindre temps mort. « C’est l’ultime chanson à propos de la personne que tu rencontres lorsque tu n’y crois plus. Quelqu’un va juste débarquer dans ta vie et te faire oublier ton ancienne peine en prenant toute la place dans ton esprit. » Bajada ne croit peut-être pas au mariage, c’est d’ailleurs ce à quoi I Believe In Cake fait référence, mais il a assurément la foi en l’amour qui répare et enivre.
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Dans la seconde portion de son diptyque, Jason Bajada descend jusqu’aux abysses de son âme et déboulonne un grand tabou du même coup : celui de la santé mentale. « C’était comme the heaviest year of my life. Oui je me suis ramassé à l’hôpital, oui j’ai eu des idées suicidaires, oui j’ai magasiné des pistolets sur Google. »
La détresse psychologique est le thème central de The Backstabberz. Il a réussi à mettre des mots sur une douleur indicible : l’anxiété telle que vécue à son paroxysme. Celle qui t’amène à l’urgence, l’angoisse qui consume ta poitrine et te ronge les entrailles. Help Me Feel Nothing at All est, en ce sens, un appel à l’aide. « Cette tune-là, c’est aussi une écoeurantite d’être le poster boy pour les chansons tristes. Genre : ‘’on le sait ben, Jason avec ses chansons…’’ Moi je me rappelle d’avoir regardé mes idoles quand j’étais jeune, quand ma vie allait bien, des gars comme Elliott Smith ou Kurt Cobain qui vivait des dépressions, qui était sur la drogue et qui s’est finalement suicidé. T’sais, on glorifie un peu ça pour notre entertainment et on se sent un peu imposteur quand on écrit des chansons et qu’on vit pas ses émotions-là si intensément. On dirait que, secrètement, comme singer-songwriter, tu souhaites un peu cette mélancolie… Sauf que lorsque t’es là-dedans, c’est pas cool. Vraiment pas cool. »
Jason Bajada a transformé sa souffrance en œuvre d’art. C’est la création, de pair avec la thérapie, qui lui a permis de se reconstruire mais également de repousser les limites de son talent. « J’ai jamais été aussi fier du matériel. Chaque chanson est ma préférée. » Cet album, il le défendra de tout son corps.
Loveshit II (Blondie & The Backstabberz)
Disponible depuis le 1er septembre via Audiogram
11 janvier
Au Théâtre Petit Champlain