Musique

Slam Disques : 15 ans de talent et d’indépendance

«Ce label est un échec depuis 2002».

Après 40 000 albums vendus, près de 1000 concerts et 125 vidéoclips produits, Slam Disques se définit encore de cette manière sur son site officiel. Cette entrée en matière bien particulière décrit ironiquement le côté do it yourself et indépendant du label montréalais. Fondé par le musicien Jessy Fuchs (du duo rock Rouge Pompier et du défunt groupe alternatif eXterio), Slam Disques souligne maintenant ses 15 ans en compagnie de plusieurs artistes francophones qui ont contribué à son succès.

Bien établie dans ses locaux de Verdun, la petite équipe de Slam Disques poursuit sa mission: celle de promouvoir des artistes émergents, en faisant fi de la grosse machine habituellement utilisée par les labels commerciaux. Jessy Fuchs nous explique cette démarche et nous parle de ses projets, du futur de Slam Disques, du 15e anniversaire, ainsi que de sa vision peu conformiste de l’industrie musicale dans laquelle il évolue.

Jessy Fuchs (Photo : Jean-François Lemire)
Jessy Fuchs (Photo : Jean-François Lemire)

Edouard Guay: Lorsque vous dites de Slam Disques que c’est un «échec depuis 2002», j’imagine que c’est une façon humoristique de dire que vous travaillez avec des artistes émergents et que vous êtes indépendants?

Jessy Fuchs: «C’est évidemment à prendre au deuxième degré. Ce qu’on voulait dire surtout c’est que vouloir se partir un label, ça veut dire faire de l’argent avec l’art et ça, c’est une mauvaise idée. Il y a des entrepreneurs qui vont voir des matières premières et se dire que c’est une manière de faire de l’argent. Dans notre cas, c’est bizarre et plus ambigu, c’est comme si on se disait qu’on allait faire de l’argent sur une matière première – l’art – qui est en constant changement, complètement incontrôlable et aléatoire. Puisque ce n’est pas rationnel ni contrôlable, c’est un échec de vouloir bâtir une entreprise autour de ça d’un point de vue entrepreneurial. C’est un peu ce qu’on voulait dire avec cette description. C’est aussi une manière de montrer qu’on a une bonne autodérision.»

Ça montre aussi, j’imagine, votre côté «do it yourself», votre approche basée sur l’autoproduction. Est-ce que c’est pour ça que Slam Disques a commencé au départ parce que tu voulais avoir une meilleure latitude aux débuts de ton groupe eXterio? 

«Oui, tout à fait. Toutefois, la vision que j’ai du label aujourd’hui est très différente de celle que j’avais quand j’ai débuté. Au début, j’étais au cégep, je bookais beaucoup de concerts, je faisais de la radio étudiante, j’avais mon band, et j’étais extrêmement intéressé par ce domaine. En 2002 j’ai décidé de créer le label parce que je ne m’occupais pas beaucoup de mon propre groupe (eXterio). Je passais plus de temps sur celui des autres et j’ai décidé de consacrer plus de temps à mon band. Je me suis vite rendu compte que j’avais plus facilement accès à des subventions en ayant une vraie structure autour du groupe. Ça me permettait d’avoir accès à du financement et de prendre en main mes projets.»

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Donc, au départ, ce n’était pas vraiment une maison de disques, c’était surtout une structure autonome pour tes propres projets?

«En effet. Dans le modèle de base de l’industrie, c’est difficile de sortir un album sans label parce que les subventions donnent de l’argent au label et non directement à l’artiste. Ils veulent voir qu’il y a une structure qui va être mieux organisée pour gérer du financement qu’un artiste seul. Donc, au départ, Slam Disques c’était une manière d’être crédible en ayant un plan d’affaires. C’est plus rassurant pour ceux qui financent.»

Le label évolue tout de même dans un milieu qui, disons-le, peut être impitoyable. Vous réussissez à perdurer alors qu’on a vu plusieurs maisons de disques indépendantes qui ont dû fermer ou se restructurer. Qu’est-ce qui explique cette longévité?

«À partir du moment où tu décides de te partir un label en 2002 et que le premier album que tu sors est le tien (l’album Vous êtes ici!! d’eXterio), tu ne t’attends pas à grand-chose… Finalement l’album s’est vendu à 10 000 exemplaires! Suite à ce succès inattendu on s’est dit qu’on avait probablement eu le bon flair et le bon timing. Donc j’ai voulu profiter de cette opportunité-là et reproduire ce modèle avec d’autres. On a utilisé le même processus, mais on a aussi ajouté les vidéoclips, le booking, etc. L’objectif pour moi était de créer quelque chose d’autonome qui allait pouvoir vivre de lui-même. En 2003, j’étais déjà conscient que KaZaA et Napster existaient et étaient déjà pratiquement chose du passé… En partant de ce constat, j’ai donné à Slam Disques un modèle qui prenait pour acquis que vendre des albums, c’était déjà la fin. Je crois que j’avais déjà une idée modernisée à cette époque. Si j’avais commencé à vendre des disques sans me diversifier, je pense que j’aurais rapidement été aigre du fait que les disques ne se vendent pas… Je ne voulais pas que mon label existe pour vendre des disques, je voulais qu’il ait une autre mission. Donc, je pense que c’est ce qui fait que 15 ans plus tard, on a réussi à perdurer.»

C’est ce qui explique, j’imagine, que vous vous diversifiez autant, en ayant un volet de gérance, d’organisations de spectacles, de vidéoclips, de booking…

«Oui, d’ailleurs si on regarde notre équipe, sur sept personnes, il y en a deux qui sont en montage vidéo! Déjà, en pourcentage, il y a une grosse partie de mon entreprise qui est en lien direct avec la production vidéo. En 2002, on ne pouvait pas prévoir que YouTube deviendrait si grand, mais mon expertise de monteur vidéo est tellement devenue serviable aujourd’hui parce que du contenu vidéo, tu peux déployer ça à l’infini: sur Snapchat, sur Instagram, sur Twitter, sur Facebook, en plus de YouTube. Aujourd’hui, le kid qui aurait découvert Nirvana ou Green Day l’aurait fait sur YouTube. Le nouveau public consomme des vidéos, c’est essentiel de produire du contenu qui répond à cette demande.»

Tu parlais tout à l’heure de tes amis musiciens, des bands qui t’entouraient, qui se joints à l’aventure de Slam Disques. Mis à part ton groupe eXterio, quels bands ont été les premiers à se lancer avec ton label?

«Le premier band avec qui on a produit un album c’est T.W.A. qui se trouve aujourd’hui à être RIPÉ (trio montréalais de rock rentre-dedans et humoristique), mais je travaillais déjà avec eux avant que Slam Disques existe. Ça a donc été une continuité logique dans leur cas. Il y a eu Phénomen aussi, un rappeur accompagné d’un band heavy. Il avait déjà eu un album auparavant avec une grosse étiquette et je travaillais avec ce gars-là. Quand il a vu que le label débutait, il avait déjà un autre album, et on a fini par le faire ensemble… Rapidement après, eXterio a sorti son deuxième album et à partir de 2005, le label a atteint sa vitesse de croisière. Ça a décollé à partir de là! On avait un bon bassin d’artistes et on s’est mis à sortir plusieurs albums par année.»

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Et la France est arrivée quand dans l’équation? C’était avec Guerilla Poubelle (groupe punk français actif depuis 2003)?

«Les membres de Guerilla Poubelle étaient amis avec Eric Panic, un groupe que je côtoyais beaucoup avec eXterio. On jouait souvent avec eux. Le gérant d’Eric Panic a été mon premier employé sous Slam Disques. C’est lui qui a donc fait le pont entre nous et Guerilla Poubelle. Au début je n’étais pas sûr qu’on était le bon label pour travailler avec des groupes français, mais finalement c’était une très bonne décision, ça reste l’un de nos plus gros artistes encore aujourd’hui.»

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Pour les 15 ans de Slam Disques, vous avez annoncé la sortie d’une compilation et je sais aussi que tu vas refaire une pièce exclusive avec eXterio. Est-ce qu’on peut s’attendre à d’autres annonces sous peu, comme un spectacle spécial?

«Pour les 10 ans, on avait entre autres réuni des artistes variés de Slam Disques dans des spectacles qui ont eu lieu durant des festivals, comme le FEQ (Festival d’été de Québec). Pour les 15 ans, notre objectif est de réunir des groupes qui n’ont pas fait de musique depuis longtemps. Après toutes ces années, plusieurs bands sont morts et on voudrait en réunir quelques-uns, dont eXterio, le temps d’une toune. En plus des 15 ans de Slam Disques, cette année marque les 25 ans d’eXterio. Le premier album date de 2003, mais on a commencé à jouer ensemble en 1992 quand on avait 12 ans! C’était un band d’école secondaire, mais on considère quand même que ça fait 25 ans. Le projet implique de réunir les 15 membres d’eXterio qu’il y a eu à travers les années, dont les deux chanteurs, et créer une chanson avec tout ce monde-là… Il y a aussi la compilation Zoo 2, prévue pour décembre, une compilation annuelle où des artistes reprennent une chanson de leur choix en français. Il y a un livre souvenir qui sera disponible en édition limitée, qui sera en quelque sorte une anthologie des 15 ans.»

J’imagine que si vous lanciez Slam Disques demain matin, en 2017, votre approche serait bien différente de celle des débuts.

«Oui, clairement! Et tant mieux! C’est l’innovation et les bonnes idées qui permettent d’avoir du succès, ce n’est pas pertinent de reproduire un modèle qui existe déjà. Si on veut donner une chance aux artistes aujourd’hui, on doit jeter notre regard sur les plus jeunes plutôt que sur ceux qui ont déjà réussi.»

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Tu dis qu’il faut regarder vers l’avant pour réussir. Quand tu regardes vers l’avant, qu’est-ce que tu vois?

«Ça ne m’étonnerait pas que la grosse majorité des gens qu’on connait actuellement, qui ont goûté à la vente de disques, ne soient plus dans l’industrie dans très peu de temps. Ces gens-là, qui ont fait partie des gros réseaux de vente et de promotion de disques, connaissaient le marché car ils pouvaient se baser sur des données chiffrées de ventes de disques… Mais beaucoup d’entre eux ne comprennent pas le nouveau modèle. Ils ont de la difficulté à lire et comprendre des statistiques au niveau du streaming. Utiliser ces données pour viser un public cible devient donc laborieux pour eux. Au moment où les ventes d’albums d’un de leurs gros artistes se mettent à chuter, ils vont avoir de la difficulté à en comprendre les raisons et se redresser en conséquence. L’industrie sera peut-être moins élitiste. Il y aura, je pense, une meilleure diversité et se sera moins les mêmes grosses poches qui vont en profiter. L’ADISQ (Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo), qui réunit plein de producteurs et qui a beaucoup d’employés, ne pourra probablement pas garder la même masse salariale. Le nombre de gens sur le payroll va chuter. Je pense que ça va de plus en plus devenir des individus que des associations ou des entreprises. On va s’éloigner des grosses places avec plein d’employés et je pense que ça va donner plus de place à la diversité des artistes et donner plus de choix au public. Pour un même budget, tu vas le décliner sur des millions d’artistes, plutôt que quelques-uns, surtout avec des modèles comme Spotify. Je pense que ça tend vers ça aussi aux États-Unis, et partout ailleurs!»

Justement, parlant de Spotify, que penses-tu du modèle en terme de ristourne qui est donnée à l’artiste?

«Contrairement à bien des artistes comme Ariane Moffatt ou d’autres, je ne trouve pas du tout que le modèle de Spotify est problématique. S’il est si populaire actuellement, c’est parce que c’est un bon modèle. Toutes les plateformes du genre rejoignent plusieurs millions de personnes et, sachant que personne n’a envie de retourner au vieux modèle du CD, ça donne une opportunité incroyable pour les artistes de se promouvoir. La raison pour laquelle les artistes se plaignent aujourd’hui, c’est parce que leur label leur a dit que c’était mauvais pour eux. Souvent, l’artiste a un abonnement sur Spotify, mais leur maison de disques leur dit que ça leur fait perdre de l’argent. Sauf que c’est impossible d’avoir un dollar à chaque écoute de ta chanson dans un modèle où l’usager paie dix dollars par mois pour écouter tout ce qu’il veut dans des playlists qui jouent en automatique! Même avec un chiffre d’affaires positif, c’est impossible de payer tous les artistes comme on le faisait avec l’ancien modèle. C’est un nouveau modèle et c’est ensuite libre à l’artiste d’en faire partie ou non. Sauf que si tu choisis de ne pas y être, il ne faut pas que tu t’étonnes d’être ignoré par les nombreux utilisateurs de cette technologie. Tu te prives donc d’une visibilité qui aurait été intéressante… Ce qui est hypocrite dans le discours anti-Spotify c’est qu’aucun artiste ne se plaint d’être joué à la radio, sous prétexte qu’ils reçoivent 1.25 $ à chaque fois que leur chanson y joue… Mais au prorata, la ristourne est sensiblement la même, même moins, si on prend en compte le nombre d’auditeurs d’une grosse station commerciale. On peut dire la même chose aussi de YouTube… C’est hypocrite le discours anti-Spotify. C’est un discours qui sert à une élite musicale à qui ça déplaît de perdre des revenus. Je ne pense pas que ça sert au petit artiste émergent. Je crois que ceux qui s’en plaignent sont mal informés sur la question et ratent l’opportunité d’être écoutés et appréciés par les jeunes. Mettre un frein à l’évolution naturelle de l’humain et de l’industrie musicale n’est pas bénéfique au final.»

Dirais-tu que c’est un plaisir pour toi de briser les conventions?

«C’est nécessaire de le faire! Il faut rester flexible et c’est, je crois, le plus grand apprentissage que j’ai fait en 15 ans avec Slam Disques. Si on reste ouvert à la nouveauté et qu’on écoute les plus jeunes, on va rester pertinent. L’art est supposé être chaotique, donc c’est bien de faire briser les choses. Moi, peu importe ce qui arrive, je vais vouloir composer, m’éclater, jouer des tounes et faire bien du bruit avec Rouge Pompier… C’est pour ça aussi qu’on appelle nos albums Chevy Chase ou Kevin Bacon, ça permet de briser les conventions en évitant d’être catégorisé dans un genre précis. Ça fait jaser les gens aussi. Ils se rappellent de nous grâce à ça. C’est ce que nous permet ce label-là, éviter de se standardiser.»

slamdisques.com