Musique

Boogát : Au pays de l’agave

Daniel Russo Garrido étanche notre soif de mezcal et embrasse le féminisme à pleine bouche sur cette nouvelle offrande engagée.

Il a coiffé son «a» d’un accent, bonifié la consonance de son sobriquet du même coup. Boogát a résidé à Mexico pendant en temps. C’est là qu’il a réalisé que les gens ne savaient pas où placer l’accent tonique, c’est aussi là qu’il a créé son plus récent album. «Je vois ça comme une production canado-mexicaine, c’est pas mal 50/50. Moi, j’ai tout écrit et composé là-bas, mais l’enregistrement s’est beaucoup fait ici. J’aime dire que c’est assemblé au Québec avec des pièces mexicaines.»

Immersion complète. Les nouvelles chansons, les 12 d’entre elles, sont inspirées par la ciudadLas Fresas de Coyoacán, par exemple, évoque l’embourgeoisement du quartier homonyme, ses rues et ses maisons qui ont servi de refuge à Trotski, d’atelier à Kahlo. 3 Ojos, la plage suivante, traite du climat d’insécurité dans la capitale, des inquiétudes des marcheurs qui s’intensifient à la nuit tombée. Puis il y a, bien sûr, la désaltérante Mezcalero Feliz suivie de l’amusante Eres Una Bomba. Un morceau qui détourne les codes du reggaetón, usant du même riddim lancinant et minimaliste que les beatmakers de la première vague, «du moment où c’était le plus cochon et dégueulasse et misogyne», pour dénoncer le harcèlement sexuel. Les paroles, absolument ridicules, imitent les phrases d’accroche de Daddy Yankee et ses contemporains perpétuellement en pâmoison devant leurs proies. «Ton père est un terroriste parce que, toi, t’es une bombe.» Cette ligne est une satire, une façon pour lui de dénoncer le sexisme à la fois exacerbé et cautionné par la radio. «C’est complètement deuxième niveau. Je voulais rire du reggaetón et, pour ce faire, je n’avais pas le choix de parler d’une fille. Toutes les tounes de reggaetón parlent d’une fille! Je me suis demandé: “C’est quoi le contraire de comment ces MC-là parlent des filles?” Et c’est ça que j’ai fait. Ç’a vraiment été drôle à faire.»

photo : Carlos Guerra
photo : Carlos Guerra

La prose de Boogát est pavée d’humour, et ce texte, à l’instar de tous les autres, ou presque, est en soi «une grosse joke». Une blague, oui, mais qui sert à mettre en lumière la réalité de ses sœurs et cousines latinas qui se taisent pour mieux survivre aux agressions du quotidien. Un machisme ordinaire, une culture du viol qui tranche avec les valeurs plus progressistes de ce Québec, cette ville homonyme qui l’a par ailleurs vu grandir.

Escale à Buenos Aires

Daniel joue sur deux tableaux: il tend la main aux auditeurs du Sud, qui captent d’emblée toutes ses références, et séduit les gens d’ici qui s’étonnent de retrouver pareil exotisme chez un petit gars de Beauport.

Il pige un peu partout: dans la pop portoricaine, bien sûr, le hip-hop nord-américain, l’instrumentation traditionnellement mexicaine (flûte de pan et accordéon) et, c’est assez récent, l’électro argentin. Pour San Cristóbal Baile Inn, il s’est associé au producteur Andrés Oddone que les aficionados du genre connaissent pour son apport au pimpant duo Frikstailers. Des acteurs importants de la digital cumbia, cette mouvance musicale qui nous échappe un brin dans notre hémisphère sauf peut-être lorsqu’il est question des collaborations de Lido Pimienta (courte liste du prix Polaris 2017) avec Chancha Via Circuito et El Remolón. «C’est un autre niveau de son, illustre Boogát. Ici, au Québec, on valorise vraiment l’analogue et je pense que c’est parce qu’on fait beaucoup de rock. Quand les musiciens d’ici mixent en digital, ils essaient de recréer des affaires analogues… Mais la vérité, c’est qu’il n’y en a pas une [méthode] de mieux que l’autre!»

En Amérique latine, les réalisateurs ne s’enfargent pas dans leur équipement, sur leurs claviers et autres consoles dernier cri ou rétro, ces objets qu’ils collectionnent pour s’épater entre collègues. Les albums préférés de Boogát sont pondus dans des conditions modestes, immortalisés dans des studios presque vides. «[Andrés] a un laptop avec plein de plugins, tous crackés, en Windows et même pas en Mac. Il a deux caisses de son KRK, et pas les plus chères, et des micros super simples. C’est tout.» L’important, de toute façon, c’est d’avoir l’idée, le rythme qui déclenchera les déhanchements, la mélodie qui se logera dans les cervelles. Boogát, lui, il a tout ça.

San Cristóbal Baile Inn
(Maisonnette)
Disponible le 29 septembre

11 novembre au Théâtre Fairmount (Montréal)
25 novembre au Cercle (Québec)

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