Toujours chef principal de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam et directeur musical de l’Orchestre de Philadelphie (jusqu’en 2026), Yannick Nézet-Séguin a passé un peu de temps à Montréal cet été et était évidemment présent pour ouvrir la saison de l’Orchestre Métropolitain (OM). Le chef est au sommet: il dirige les meilleurs orchestres dans les plus grandes salles et ses enregistrements sont publiés par les plus prestigieuses étiquettes (sept en 2016, dont l’un devant le Philharmonique de Berlin). Au début de l’année, un Dvořák avec le London Symphony Orchestra et un Mendelssohn chez Deutsche Grammophon venaient s’ajouter à une discographie qui compte déjà une cinquantaine de titres, dont une bonne partie nous arrive d’Europe.
Rencontré le 7 septembre dernier, après la répétition de l’OM à la Maison symphonique et avant l’enregistrement de la Cinquième de Bruckner, qui viendra clore l’intégrale qui paraît chez ATMA, le chef commente: «Ma carrière s’est développée en Europe avant les États-Unis, et j’ai eu l’occasion d’y nouer des relations dans plusieurs villes, à Rotterdam, bien sûr, mais aussi à Amsterdam, Cologne, Vienne, Berlin, Hambourg ou Londres. Maintenant, j’y retourne à l’occasion, mais après 2018, je ne serai plus chef attitré à Rotterdam. Je ne suis plus chef invité principal à Londres [2008 à 2014], et je ne crois pas que ça me manquera, c’est un choix. On ne peut pas passer sa vie à traverser l’Atlantique continuellement. Je n’ai aucun regret, je ne veux certainement pas me plaindre, et ç’a été un temps merveilleux, mais je ne reviendrais pas en arrière. Le temps des débuts, c’est très excitant, mais c’est aussi très stressant! Maintenant, lorsque j’y retourne, c’est pour jouer dans des endroits et avec des gens que je connais.»
L’expérience acquise auprès du public européen aura permis au chef de 37 ans de revenir sur le continent par la grande porte, c’est le moins que l’on puisse dire! En avril 2017, en effet, il dirigeait l’orchestre du Metropolitan Opera (Met) pour Le vaisseau fantôme, de Wagner; il avait déjà dirigé dans le temple new-yorkais (il y faisait ses débuts en 2009 avec Carmen), mais y revenait cette fois comme directeur musical désigné. Yannick sourit: «Oui, parlant de stress… Dans ce cas-là, ça m’a pris surtout avant la première répétition avec l’orchestre. Lorsque je suis à New York, j’adore traverser la Lincoln Center Plaza en me rendant au Metropolitan Opera, regarder la fontaine et admirer les colonnes en me disant: “Ça, c’est ma maison!” Ce matin-là, je ne voulais rien regarder et je n’arrêtais pas de penser que, peut-être, les musiciens allaient regretter d’être pris avec moi pour quelques années!» Évidemment, rien de tel ne s’est produit, et à la fin de la représentation, ce soir-là, les musiciens ont remercié le chef en lui lançant des roses! «Ce sont les répétitions qui me donnent le trac, parce que c’est vraiment là que j’ai l’impression de faire mon travail, tandis qu’au concert, c’est au tour des musiciens!»
Yannick Nézet-Séguin a parlé de la saison 2017-2018 de l’OM comme de celle de la confiance, alors que l’orchestre s’apprête à vivre sa première tournée européenne. «Mon travail, c’est précisément de donner aux musiciens la confiance nécessaire pour exceller dans leur travail, et à l’OM, ç’a été un long apprentissage, parce que nous étions toujours l’underdog, le deuxième en ville. Il fallait trouver une façon de transférer cette énergie-là d’une manière positive.» On peut imaginer que le parcours de leur chef a dû inspirer les musiciens. «Ça s’est fait graduellement, et il y a trois jours, alors que je félicitais notre violon solo, Yukari Cousineau, et que je lui disais que je trouvais que l’orchestre sonnait déjà très bien à la première répétition, elle m’a répondu: “Oui, on est un band maintenant!” Et c’est aussi ce que j’ai senti à New York, et qui a fait fondre mon stress quand je suis arrivé devant l’orchestre.» Le directeur musical désigné du Met fait déjà des plans, bien sûr, et évoque le tri qui se fait actuellement pour des créations qui se feront en 2022-2023, avant le Graal d’une nouvelle production du Ring de Wagner en 2024.
Mais, pour l’heure, le chef a pu passer un peu de temps chez lui, le travail l’ayant ramené à la maison au mois de mai (grand spectacle au Centre Bell pour célébrer le 375e de Montréal), puis en août, pour diriger l’OM au festival de Lanaudière dans Parsifal, de Wagner (avant de le reprendre en février 2018, au Met). «J’ai passé plus de temps que jamais l’été dernier à Montréal, j’ai pu être plus relax, moins éparpillé. Je ne dirais pas que ça m’a reconnecté, parce que je ne crois pas être déconnecté, mais ç’a réaffirmé mon attachement à la ville. Je vais même déménager dans un endroit qui m’offre une vue sur Montréal, chose que je n’avais pas.»
Le chef a développé une relation solide avec la prestigieuse étiquette Deutsche Grammophon, qui a fait paraître une douzaine d’enregistrements avec lui depuis 2009, alors lorsqu’on lui a proposé un disque avec le ténor Rolando Villazón et la basse Ildar Abdrazacov, il n’a pas hésité: «J’ai proposé de faire ça avec l’OM, parce qu’il a déjà joué avec Rolando et que ce dernier avait beaucoup aimé son expérience. Ils ont un peu râlé chez DG, parce que ça leur coûte cher de venir faire ça ici, mais ça s’est si bien passé que je peux dire qu’il y en aura d’autres!» Le disque paru en août est donc une autre première pour l’OM. «On s’appelle l’Orchestre Métropolitain, mais j’ai fait ajouter “de Montréal”, et pour notre tournée aussi, pour que ce soit clair, parce que nous sommes des ambassadeurs après tout.»
Des ambassadeurs à surveiller chez nous aussi, à travers une quinzaine de programmes cette saison, présentés dans plusieurs salles et dont plusieurs donnés avec un chef invité, mais desquels on pourra tout de même profiter en toute confiance.