Pourquoi avoir choisi Yves Montand pour ce quatrième tour de chant ?
J’ai fait de la comédie musicale, et j’adore chanter un rôle. Il me fallait donc un personnage… Montand, c’est pas seulement un interprète, c’est un héros populaire. Dans son histoire, il y a l’immigration, il y a les femmes aussi – Édith Piaf, Simone Signoret, Marylin Monroe… C’est un vrai personnage.
J’ai déjà chanté du Montand : on a la même tessiture et ça se passe bien. Je me sens à l’aise dans tout ce qu’il chante, il n’y a pas besoin de transposer. Il a un répertoire dans lequel je me sens bien.
J’ai aussi certains goûts en commun avec lui, notamment l’utilisation du corps, peut-être parce qu’on a la même silhouette, et une personnalité qui nous mène à utiliser le corps avec fantaisie. On a aussi un goût des textes très proches de la musique, cet espèce de mi-chemin entre les notes et la poésie. On n’est pas beaucoup à être à cet endroit-là dans l’expression dramatique. Les textes de Montand, on peut les chanter comme les parler, on est juste à cette frontière-là.
Ça touche à l’art dramatique donc…
J’adore les artistes qui viennent du music-hall. Ils m’épatent. La revue, c’est un mélange de tout, ça devait être très difficile. Tous ces artistes que j’adore – Gabin, Fernandel, Danielle Darrieux… – viennent du music-hall et savent chanter.
Avant, un acteur qui commençait à chanter, c’était suspect en France… On considérait que c’était du dilettantisme. Mais pour moi, l’essence même du métier de comédien incorpore cette activité. L’art dramatique comprend tout ! Montand est issu de cette tradition. Ça rejoint le music-hall et ma passion pour la comédie anglo-saxonne.
Comment en êtes-vous venu à chanter ?
Le chant, je l’ai découvert quand je suis parti en Angleterre au conservatoire de théâtre, avec les comédies musicales. Pendant mes études, j’ai appris le métier avec toute sa part de musique et de danse. J’ai découvert qu’un acteur pouvait s’exprimer de façon complète en jouant mais aussi en chantant. Comment est-ce qu’on incarne un personnage tout en faisant de la musique ? C’était un exercice qu’on nous demandait de faire : choisir une chanson et l’interpréter comme un personnage. J’adorais ça.
Il y a aussi un atavisme musical via une lignée qui passe par l’Irlande, pays où la musique et les chants sont très présents. On est suspect si on ne chante pas là-bas ! La première fois que j’ai participé à un spectacle professionnel avec mon père, j’avais 16 ans, et c’était pour une version musicale d’Ubu Roi. J’ai trouvé ça vertigineux de chanter comme ça en groupe avec des acteurs sur scène. Si j’avais rencontré un psychanalyste à cet âge-là et qu’on avait débattu de mon futur, je pense que je serais plus devenu chanteur qu’acteur. Finalement, le chant a été une grande révélation tardive.
Vous disiez qu’il y a quelques années en France, « un acteur qui commençait à chanter, c’était suspect »… Comment avez-vous géré cette nouvelle carrière en parallèle de celle d’acteur ?
Quand je fais quelque chose, je suis un peu monomaniaque. Même si je considère que ça peut être préjudiciable par rapport à mon image, à la ligne professionnelle… Quand il faut que je chante, je chante. C’est compulsif, animal. J’aime la musique, et surtout j’aime être avec des musiciens. Il faut que ça m’arrive régulièrement. Je sais que ça me coûte, ne serait-ce qu’en disponibilité ; c’est compliqué de faire une tournée, d’incorporer ça au plan de travail…
Mais je déteste réfléchir trop à l’impact que ça a sur la perception que les gens peuvent avoir de moi. Savoir si on est aimé, pas aimé… ça me fait très peur ! C’est pour ça que je ne suis pas sur les réseaux sociaux par exemple, je ne pourrais pas supporter la réalité de mon nombre de followers.
Ce goût pour le jazz, il vient d’où ?
Mon père était saxophoniste dans les bals, et il avait une passion pour le jazz. Quand mon frère et moi on a atteint l’âge de 7 et 8 ans, il nous a offert un saxophone chacun. Il écrivait des partitions pour trois saxophones et nous faisait écouter beaucoup de jazz. Ensuite, on a carrément constitué un big band à la maison : on importait des partitions des États-Unis et on a réuni jusqu’à 25 musiciens chez nous. La musique à la maison, c’était le jazz.
Vous parlez de lier la musique et le théâtre sur scène dans un « spectacle total ». Ça veut dire quoi ?
C’est dans la tradition du tour de chant de cette époque-là. On parle plutôt du Montand des années 50-60. Dans le vide que ça représente : il y a un pied de micro, un micro à fil, c’est tout. Il y a six musiciens autour de moi et pas de décor. Il n’y a pas de lights show, pas d’accessoire. On a voulu évoquer les spectacles de Montand.
Pour moi, c’est plus complet en termes d’expression que plein de choses que j’ai faites auparavant. On passe par plein d’émotions différentes qui sont comiques, dramatiques… Vocalement c’est très varié, stylistiquement et musicalement aussi, et il faut bouger, danser. Pour moi, c’est deux heures d’un concentré de jeu total.
Comment chanter Yves Montand sans chercher à l’imiter ?
Je suis un piètre imitateur… Et imiter a peu d’intérêt : c’est marrant dix minutes, mais après il faut passer à autre chose. J’incarne plutôt un acteur qui vient raconter Montand. Son histoire, je la raconte presque au présent.
C’est pas un spectacle nostalgique, c’est simplement l’histoire d’un immigré. L’angle choisi par le metteur en scène, c’est ce fils d’immigré italien qui a fui le fascisme et qui, plutôt que de simplement s’adapter – s’intégrer, comme on dit maintenant – a cherché à se dépasser par la culture. Il a adopté la langue et la culture française à un point extrême : jusqu’à devenir un emblème de la poésie française.
C’est le parcours de mon père, celui du père du metteur en scène aussi. On est tous des fils ou petit-fils d’immigré, et c’est ça qu’on revendique aussi dans le spectacle.
Vous annoncez des « classiques immortels de Montand, et quelques petits bijoux rares »… Comment avez-vous choisi les chansons du spectacle?
Le spectacle est complètement différent de l’album ; en fait, on ne reprend qu’un tiers des chansons. On a choisi ce qui nous plaisait musicalement, ce avec quoi on avait envie de vivre pendant plusieurs mois et pas forcément les tubes. Par exemple, Gamin de Paris, une chanson très connue, ça m’emmerde. Il n’était pas question qu’elle soit dans le spectacle.
En revanche, on s’est arrêtés sur des choses que très peu de gens connaissent. Montand avait par exemple enregistré une adaptation musicale du poème sublime de Rimbaud, Le Dormeur du Val, ou encore Les Bijoux de Baudelaire que Léo Ferré a mis en musique…
On a une chronologie par rapport à la narration de la vie de Montand grâce au texte. En revanche, les chansons sont souvent utilisées de façon non chronologique.
Vous étiez déjà venu chanter à Montréal en 1997. Comment le public québécois reçoit-il ces classiques français ?
Le public ici avait mille fois mieux compris notre spectacle en 1997 que le public français. C’est un public généreux, et qui attend de l’artiste autant de générosité. Comme les artistes d’ici d’ailleurs. C’est un public qui aime les grandes voix, contrairement à la France où on aime beaucoup les gens qui chuchotent presque ! Il faut y aller cash et pas jouer les artistes mystérieux…
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Wilson chante Montand
Chansons : Yves Montand
Mise en scène : Christian Schiaretti
Jusqu’au 5 novembre au Théâtre du Nouveau Monde