La 14e édition de MUTEK MX (Mexico) ayant débuté hier et à laquelle participent 15 artistes canadiens, il semble pertinent de s’attarder quelque peu sur l’expansion qu’a prise le festival de musique électronique et d’arts numériques montréalais depuis quelque temps.
Avec la toute récente confirmation de la première édition états-unienne, qui se déroulera dans la ville de San Francisco du 3 au 5 mai 2018, MUTEK a vu son réseau de villes hôtes doubler en moins de deux ans. «MUTEK est né en 2000 et dès 2003 le festival s’exportait au Chili. Puis, il y a eu le Mexique et d’autres aventures, notamment en Argentine où ça n’a d’abord pas fonctionné. Ensuite Barcelone est venu rejoindre la famille MUTEK. L’événement en sera à sa 9e édition en 2018. Puis, on a eu Bogota pendant deux ans mais là encore ça n’a pas fonctionné», détaille le fondateur de l’événement Alain Mongeau, rencontré lors de la deuxième édition de MUTEK JP qui se déroulait du 3 au 5 novembre dernier. «C’est en fait l’année dernière avec l’ajout de Tokyo que les choses se sont précipitées un peu. Se sont rajoutées cette année Buenos Aires – l’événement s’est fort bien déroulé en septembre dernier avec une nouvelle équipe -, ensuite Dubaï (du 16 au 18 septembre dernier) et finalement San Francisco qui vient de s’ajouter à la liste. Le réseau passe donc de quatre à sept villes en moins de deux ans. Cette expansion soudaine n’était pas non plus calculée. Il va falloir qu’on gère ça!»
Vision mondiale
Depuis ses débuts, l’équipe montréalaise défend une vision artistique de son festival avec une intégrité irréprochable. Les raisons de ce déploiement ne sont donc pas un modèle d’affaires expansionniste mais plutôt un enrichissement culturel, avec pour objectif l’entraide et la possibilité de faire rayonner les artistes locaux et nationaux à l’étranger.
En étendant ainsi son réseau à travers le monde, MUTEK met l’emphase sur les échanges artistiques qui accompagnent ce développement. «Ce n’est pas MUTEK Montréal qui a une volonté d’expansion affirmée, ce sont vraiment des gens qui nous approchent pour implanter MUTEK. Ainsi les quatre nouvelles villes cherchent à créer un événement qui soit en résonnance avec ceux de Montréal, Mexico et Barcelone d’une part, et le reste du monde d’autre part. L’idée est de développer un certain aspect des arts numériques et de la musique électronique dans ces villes avec aussi l’espoir de développer une scène locale en phase avec ce qui se fait ailleurs dans le même registre. Il y a toujours des gens d’un peu partout dans le monde qui nous approchent pour implanter le festival chez eux, mais il est important de faire les bons choix. On n’accorde pas à n’importe qui l’autorisation de développer MUTEK sur son territoire, il faut que ce soit entre les bonnes mains et pour les bonnes raisons», insiste Alain Mongeau.
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«Nous avons des critères de qualité assez élevés qu’on tient à maintenir partout; par exemple la façon d’accueillir les artistes, le public, de communiquer les choses. C’est très important car on ne veut pas que les artistes, qui apprécient les standards de MUTEK et nous font confiance, acceptent de participer à ces nouvelles éditions mais se retrouvent dans des situations problématiques. Tu ne veux pas qu’une relation que tu développes depuis de nombreuses années avec un artiste soit détruite à cause d’un seul événement que tu ne contrôles pas vraiment même si c’est sous la bannière MUTEK», poursuit celui qui porte aussi le chapeau de directeur artistique et est l’un des trois programmateurs de l’événement en compagnie de Patti Schmidt et Vincent Lemieux.
Pourquoi MUTEK?
Implanter dans une autre ville un festival à la vision artistique bien définie et tout aussi bien défendue peut entraîner son lot de contraintes. Il y a une certaine marche à suivre, une ligne éditoriale à défendre, une politique à appliquer. Donc pourquoi ne pas tout simplement créer son propre festival en s’inspirant de ce que fait MUTEK? La réponse est somme toute assez évidente, comme l’explique Alain Mongeau: «Le festival a fait ses preuves à Montréal comme à Mexico et Barcelone, le nom bénéficie déjà d’une certaine résonnance donc facilite l’implantation. Il y a aussi la réputation et la légitimité qui est associée à MUTEK et qui permet d’accélérer les choses comme ça été le cas en Argentine où il y a vraiment un problème de légitimisation de la musique électronique, les pouvoirs publics étant assez craintifs. Mais avec MUTEK, ils réalisent que le projet est beaucoup plus culturel et artistique que festif, qu’il est supporté par les pouvoirs publics à Montréal, donc les assises légitimes sont assez importantes et peuvent être évoquées pour démarrer quelque chose et obtenir l’apport des institutions culturelles. Ce fut un peu la même chose pour MUTEK JP, qui a rapidement reçu l’appui du conseil des arts de Tokyo. Si l’équipe avait parti son festival sous un autre nom, cela aurait probablement pris plus de temps».
«Ça fait 15 ans que je présente des événements à Tokyo, des soirées où l’artiste vient et repart, plus dans une atmosphère de party», relate Shuichiro Iwanami, directeur de MUTEK JP. «Je voulais créer un événement plus culturel, plus artistique et sérieux – si on veut -, qui s’étalerait sur plusieurs jours et non une seule soirée. On voulait donner la possibilité à des artistes de présenter des œuvres qu’ils ne pourraient proposer lors d’une soirée en club ou dans un festival comme les autres afin de montrer au public japonais qu’il y a autre chose que le EDM ou l’électro de club. Quand on a découvert MUTEK, on a tout de suite senti que c’était exactement le genre d’événement qu’on cherchait à créer. Il y a beaucoup de gens qui sont venus au festival cette année qui n’ont jamais assisté à ce genre d’événement, les projections dans le dôme, la musique… tout ça, c’est quelque chose de nouveau pour eux et c’est tout à fait ce que MUTEK représente: sortir des sentiers battus, explorer, expérimenter».
Rayonnement international
La participation d’artistes locaux à ses événements a toujours été un des critères intangibles de MUTEK. Bon an mal an, le festival programme environ 50% de contenu local (québécois et canadien) par édition et s’attend à ce que ce soit à peu près la même chose ailleurs. «L’ancrage local est important pour l’événement. On demande aussi à ce qu’il y ait des artistes canadiens et montréalais présents aux éditions internationales car on considère que ça fait partie de notre ADN», fait remarquer Alain Mongeau. «À Montréal, on a développé un rapport avec notre communauté d’artistes locaux et on considère que c’est cette même communauté qui a façonné le festival. Si on exporte ce festival, il faut aussi exporter la matrice même, qui est portée par les artistes canadiens».
«Les artistes techno japonais – et les artistes visuels – n’ont que très peu de visibilité à l’extérieur du Japon», déplore Shuichiro Iwanami. «De faire partie de la programmation de MUTEK leur donne la chance d’éventuellement participer aux autres événements MUTEK. Nous tentons aussi d’amener des artistes du Japon à collaborer avec des artistes du Canada ou des autres villes hôtes de MUTEK pour créer des projets communs qu’ils pourront présenter sur le circuit MUTEK et ailleurs».
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Pour les artistes sélectionnés aux différents MUTEK, c’est une occasion en or car ils peuvent présenter leurs œuvres à un public généralement plus réceptif et capable de saisir leur démarche artistique. Et c’est sans compter tous les professionnels sur place. «MUTEK nous a permis de rencontrer des artistes extraordinaires, c’est très inspirant pour nous», souligne Push 1 Stop (Cadie Desbiens). «Prends les artistes japonais programmés à MUTEK ici à Tokyo, je n’en connaissais pas un ou presque. Si on ne parle pas la même langue, on parle le même langage au niveau de l’art digital et de la musique électronique, c’est un langage universel. Mutek nous a aussi donné la chance de performer devant des programmateurs de salles ou de festivals de partout dans le monde qui nous ont par la suite bookés pour leurs événements, pour faire des conférences, donner des ateliers, collaborer avec d’autres artistes… Justement, on m’a proposé de travailler avec un groupe pop japonais pour créer leur visuel. Moi ça me fait sortir de ma zone de confort et c’est très enrichissant», se réjouit l’artiste numérique montréalaise, rencontrée aussi à Tokyo en compagnie de son complice Woulg (Greg Debicki) avec qui elle a monté le projet Interpolate. Présenté dans le dôme du musée Miraikan où avait lieu le festival, ce fut sans contredit un des moments forts de cette deuxième édition tokyoïte.
Il en va de même pour Maotik (Mathieu Le Sourd), qui lui aussi a subjugué le public japonais qui s’était massé dans le dôme. Invité pour la première édition japonaise du festival, Maotik est un habitué du circuit MUTEK. «J’ai participé à MUTEK pour la première fois en 2013 avec mon projet Dromos et depuis j’ai pris part à plusieurs autres éditions, notamment à Bogota, à Barcelone et à Buenos Aires. Ces passages dans les différents MUTEK nous amènent à faire des rencontres qui nous aident dans notre cheminement artistique ainsi qu’à développer notre carrière. Tout le monde ne joue pas à MUTEK, il y a une sélection très stricte, donc d’être assimilé à ce festival est un gros plus».
«L’équipe qui organise MUTEK, ce sont des passionnés, toujours près à te défendre et parler de toi auprès des autres artistes qui ne te connaissent pas, les inviter à aller voir ton show ou ta performance», renchérit Push 1 Stop. «On ne sent pas qu’ils font ça dans un esprit mercantile. Ils sont là pour les bonnes raisons: pour la création, pour le contenu, et pour le plaisir».