JFK à l'Opéra de Montréal : Comme un rêve embrumé
Musique

JFK à l’Opéra de Montréal : Comme un rêve embrumé

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on a assisté à une année tumultueuse en matière de politique américaine. Depuis l’entrée de Donald Trump dans le salon ovale en janvier 2017, il semble que la présidence des États-Unis est sur toutes les unes et toutes les lèvres. Il s’agit donc d’un moment extrêmement bien choisi, un an après, pour produire un opéra sur un autre président américain ayant fait couler énormément d’encre: John Fitzgerald Kennedy.

Figure emblématique de l’histoire politique des États-Unis, JFK a marqué l’inconscient collectif de nos voisins du Sud, et son aura se fait toujours ressentir plus de 50 ans après son assassinat le 22 novembre 1963. Alors que c’est souvent à travers cet événement marquant que l’on évoque sa mémoire, peu de gens connaissent quoi que ce soit sur les dernières heures de son vivant. Notamment, on oublie facilement qu’il a passé sa dernière nuit dans la chambre 850 de l’Hotel Texas de Fort Worth, TX. C’est d’ailleurs dans cette ville texane qu’a germé l’idée de transformer ces moments ultimes de la vie de JFK en opéra. C’est l’ancien directeur général du Fort Worth Opera, Darren K. Woods, qui a d’abord approché le librettiste brooklynois Royce Vavrek en lui mentionnant son intérêt pour ce projet: «Quand Darren m’a initialement parlé de cette idée de transformer la dernière nuit de JFK en opéra, l’idée était clairement de ne pas y inclure l’arrivée à Dallas et l’assassinat. Tout le monde connaît cette partie de l’histoire, alors que ses derniers moments sont trop souvent négligés. Le défi principal était de rendre cela intéressant d’un point de vue théâtral, puisqu’il n’a fait que pratiquement dormir à Fort Worth.»

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photo : Karen Almond

Les contraintes étant la plupart du temps source d’inspiration pour les artistes inventifs, Vavrek et David T. Little, le compositeur de JFK, ont décidé d’utiliser celles-ci à leur avantage. «Après le coup de fil de Royce m’annonçant qu’il devait écrire un opéra sur cette nuit fatidique, explique Little, je me demandais comment on pouvait s’approprier ce sujet, au-delà d’être l’unique production artistique s’intéressant spécifiquement aux moments passés à Fort Worth. J’ai donc décidé d’écouter le tout dernier discours que Kennedy a livré dans la ville, le fameux Breakfast Meeting. La façon dont le reporter narre l’événement et certains détails du reportage lui-même m’ont immédiatement paru sinistres, voire apeurants. Par exemple, juste avant que Kennedy prenne la parole, le journaliste parle de l’assassinat de McKinnley. Tout de suite après, le Texas Boys Choir entonne The Eyes of Texas, un air qui contient les paroles You cannot get away. Ça m’a vraiment frappé, c’était comme si les Parques étaient en train de refermer leurs griffes sur JFK. Ç’a été, pour moi, très inspirant. C’était clair que nous allions rendre cette œuvre nôtre à travers ces faits troublants.»

JFK est donc un opéra gravitant autour des thèmes de la destinée et de la mortalité humaines, à travers une nuit de rêves troubles amenés comme autant de tableaux différents tout au long de l’œuvre. Ce sont ces mêmes tableaux subconscients qui ont permis aux créateurs de s’échapper du cadre très hermétique d’une chambre d’hôtel et de sublimer ces quelques heures fatidiques. C’est également grâce à cette direction imagée qu’ils ont réussi à éviter d’en faire une œuvre patriotique. «Nous avons consciemment décidé de ne pas sombrer dans un genre d’hommage propagandiste, explique Vavrek. Ça aurait été facile de ne faire que miroiter la grandeur alléguée de cet homme emblématique pour une grande partie de la population américaine, mais nous ne nous serions pas respectés comme artistes si nous avions pris cette direction. Nous avons préféré le montrer comme un homme, non pas une idole. Pour ça, nous n’avons pas hésité à dévoiler un côté de JFK qui est moins connu du grand public. C’était un homme vivant dans une douleur physique constante, il devait porter un support lombaire et était fortement médicamenté. Les médicaments qu’il prenait nous ont par ailleurs permis d’aller encore plus loin dans les rêves, ces drogues puissantes pouvant amener à de vifs délires dans le subconscient.»

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photo : Karen Almond

À un moment où la politique américaine relève justement du pur délire, l’idée même de livrer des œuvres d’art avec une toile de fond politique est plus pertinente que jamais. Pour David T. Little, dont la dissertation doctorale porte précisément sur les aspects politiques de la musique, les deux sont désormais de plus en plus indissociables. «C’est une de mes plus vieilles obsessions. Depuis l’élection de Trump, j’ai vu de nombreux amis et collègues dont le travail n’était pas politique par le passé se mettre à soudainement prendre une position très claire dans leurs œuvres. C’est toutefois une zone très compliquée pour un artiste. Comment arrive-t-on à bien rendre une œuvre politique? Comment l’art peut-il demeurer de l’art sans devenir une œuvre de propagande? Est-ce qu’une œuvre peut devenir propagandiste de manière acceptable, dans un certain contexte? On pourrait écrire des dizaines de milliers de pages à ce sujet. C’est ironique, car cet opéra est probablement mon œuvre la moins chargée politiquement, comme l’expliquait Royce, mais je crois tout de même qu’écrire un opéra est une des meilleures façons de faire passer un message, ne serait-ce que par la durée avec laquelle on compose. C’est un médium excellent pour faire passer des idées politiques de façon beaucoup moins agressive et directe, ça rend le message plus subtil et, d’une certaine façon, plus raffiné. Quoi qu’il en soit, je pense que maintenant, plus que jamais, le monde artistique en général se doit de faire l’effort d’avoir une portée qui dépasse l’œuvre en soi.»

JFK sera présenté à l’Opéra de Montréal
les 27 et 30 janvier ainsi que les 1er et 3 février