Milk & Bone : L'heure dorée
Musique

Milk & Bone : L’heure dorée

Les rayons qui réchauffent sont aussi ceux qui brûlent. Devant trop de lumière, le cœur s’embrase. Deception Bay, c’est un peu ça. C’est l’autopsie de ses grandes joies qui nous consument avant de devenir poussière.

Le chagrin leur colle à la peau, la mélancolie s’agence encore si bien à leur voix. Pourtant, Deception Bay s’ouvre sur prose lumineuse. Daydream, c’est la joie d’un crush tout neuf qui enveloppe et obsède. Kids, c’est le souvenir d’un premier et grand amour. Radieuses, légères, Laurence Lafond-Beaulne et Camille Poliquin chantent d’un nouveau souffle.

Et puis, les percussions sont inventives. Elles vont ailleurs. Care flirte avec la tropical house, Nevermore s’avère presque dansante et Deception Bay rappelle vaguement le travail de Woodkid. Sans déboussoler les fans, le duo explore de nouvelles contrées musicales. « Ça n’a pas été un choix conscient de faire des chansons plus happy, confie Laurence. Je pense que c’est venu naturellement du fait qu’on change comme personnes. On vieillit, on a plus de distance par rapport à nos émotions, peut-être. […] On est moins ensevelies sous l’émotion. Ce qui fait que même dans le choix des mots, dans le champ lexical, dans la manière dont on parle, il y a un peu de distance. Une chanson comme Kids analyse toutes nos jeunes années avec un petit peu de nostalgie. »

(Crédit: LePigeon)
(Crédit: LePigeon)

On vieillit, on a plus de distance par rapport à nos émotions, peut‑être.

Laurence

La naïveté flétrit comme le temps passe, le contour des yeux se creuse de petits sillons, mais le regard s’aiguise. Set In Stone, la première, s’est brodée autour de cette idée, d’une certaine désillusion. C’est la même chose TMRW, la septième. Demain est un autre jour. La phrase console, mais en vieillissant, l’espoir s’étiole. Le meilleur n’est pas toujours à venir. Le matin est parfois plus amer que sa veille. « Cette chanson-là, l’ai commencée le lendemain de l’attentat à Paris. Bon, après, on l’a retravaillée ensemble, mais ‘’let’s see what tomorrow brings’’ est resté. Les autres paroles ont été remplacées, mais ça venait vraiment d’une émotion de profonde déception. »

Les mains de Chilly Gonzales se greffent aux strophes de cette complainte belle à pleurer, alliant ainsi sa musique sans âge à celle de deux collègues en totale osmose avec leur époque. L’union peut sembler improbable, mais les trois se rejoignent dans la virtuosité. « Jason nous avait déjà écrit ‘’Aie les filles, hésitez pas si vous besoin de moi, ça va me faire vraiment vraiment plaisir.’’ Quand on a pensé à une chanson pour lui, c’était évident que ça allait être elle. On lui a envoyé et le lendemain, il nous répondait avec trois versions de piano enregistrées chez lui en Allemagne. Toutes les takes étaient magnifiques, of course. On a gardé ses respirations dans la version finale, on a vraiment sa présence complète sur la chanson. C’est lui qui a fait l’arrangement des cordes, aussi, c’est joué par le Kaiser Quartett. C’est incroyable d’avoir ces gens-là sur notre album. »

CRi, Max-Antoine Gendron, Gabriel Gagnon et Jonathan Dauphinais ajoutent leur touche à ce disque qui se clôt une pièce instrumentale ( :’) ) nommée en l’honneur du petit smiley tout heureux et épanoui. Un cadavre exquis, une conclusion rassembleuse. « Ç’a été un album avec beaucoup de collaborateurs et on avait envie de clore ça avec une petite chanson de famille où est-ce que tout le monde a son apport. »

Soleil levant

Chaque article sur Milk & Bone vient avec son lot d’éloges. C’est toujours la même chose : les harmonies vocales des BBBRUNES (référence à la plage 13e plage ici) volent la vedette. C’est justifié, c’est sûr, mais ces filles sont tellement plus que de simples chanteuses. Tellement plus que des musiciennes, en fait.

S’il y a une autre constance dans leur pratique, c’est bien leur esthétique ultra léchée et inspirée par l’Asie du Nord Est. Les clips regorgent de ce genre de références visuelles: un gazebo japonais et le port du kimono pour Daydream, les mangas et le petit clin d’œil au Jigglpuff de Pokémon dans Coconut Water. Sur Little Mourning, leur premier disque, il y avait même une chanson intitulée Tomodachi.  « Honnêtement, je pense que Camille, plus que moi encore, est vraiment fascinée par le Japon. Moi je suis une grande grande fan d’anime. C’est ce que j’aime le plus en cinéma. Les films de Miyazaki, genre, j’adore ça. Je trippe ben raide. Les deux, on est vraiment stimulées par cette univers-là, les mangas, ce qui est un peu over the top. […] Dans Daydream, par contre, c’était pas voulu. Ç’a adonné qu’il y avait un temple dans le lieu où on tournait et on l’a utilisé. Peut-être que, même inconsciemment, ces éléments-là viennent nous rejoindre de plus en plus.»

On pourrait presque dire que les deux Montréalaises ont des ambitions pluridisciplinaires. Milk & Bone, c’est aussi beaucoup d’efforts apportés au stylisme, à la vidéo et, depuis peu, à la scénographie. Oui, Laurence et Camille savent s’entourer des bonnes personnes, mais elles agissent vraiment comme des directrices artistiques. « Au Québec, peut-être qu’on se démarque plus parce qu’il y a moins de monde qui font de la musique comme on fait, mais la compétition à l’international est forte. Pour nous, c’est important que notre identité soit claire, cohérente et constante pour que les gens nous reconnaissent. »

La topographie québécoise sert également d’inspiration aux deux collectionneuses d’images. Cette Deception Bay, aussi poétique soit-elle, existe réellement. Elles ne l’ont pas inventée. « C’est au Nunavik, après Kuujuaq, à la fin des terres. C’est une petite baie, ça s’appelle vraiment comme ça. En fait, c’est mostly des miniers qui travaillent là et il y a un ami à Camille qui est minier, qui est là. Il lui a envoyé des photos des plus belles aurores boréales qu’il avait jamais vues de sa vie. »

Quand la joie frappe un creux de vague, l’espoir part s’échouer à Deception Bay. C’est là, au bout du monde, dans le grand froid du nord, que la lumière et les couleurs ravivent les rêves déjà enfouis.

Deception Bay
(Bonsound)

Disponible le 2 février 2018

3 mars à l’Impérial Bell, Québec
5 avril au Théâtre Corona, Montréal

Party de lancement au Livart le 1er février
(Infos ici : https://www.facebook.com/events/324967998000309/)

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