Fanny Bloom : De l'orangeade sur ses épaules
Musique

Fanny Bloom : De l’orangeade sur ses épaules

C’est un bouquet de chansons qui enivre, un nectar qui apaise les gorges sèches. Fanny Bloom incorpore de nouveaux aromates à sa recette sur cette offrande, baptisée Liqueur et coréalisée avec les deux garçons de feu La Patère rose.

Liqueur marque un changement de cycle. De tous ses disques solos, c’est définitivement celui-ci qui suggère la plus grande joie, qui nous transporte vers le plus rose des paysages. Fanny Bloom y déploie ses ailes dès la première plage puis elle s’offre une ode aux idylles casanières et sans tracas sur la deuxième. «Je voulais un feel good album. J’ai envie d’être bien dans la vie, envie que ce soit simple. Ça s’inscrit vraiment dans cette énergie-là. […] Ça s’est fait comme dans de la grosse crème fouettée. C’était très plaisant et j’ai eu du fun à retravailler avec les gars aussi. Ça m’a tellement fait du bien! Je pense que c’est pareil pour eux, je pense qu’ils ont aimé laisser libre court à leur imagination et à leur créativité. À trois, peut-être que ça va plus vite. Eux, ils sont habitués de travailler à cinq ou à six. Des fois, ça peut-être essoufflant. Je dis pas ça de façon négative, mais je pense que de travailler à trois, des fois, le processus est peut-être un peu plus simple. Je pense que ça leur a permis de respirer un peu, de prendre du recul par rapport à leur façon de créer aussi et d’essayer des affaires. C’était vraiment un terrain de jeu.»

Thomas Hébert et Julien Harbec, tous deux multi-instrumentistes au sein de Valaire, s’y dévoilent effectivement sous un autre angle. Appairés sous un même sobriquet (TŌKINOISE), les deux esthètes de l’électro-jazz se prêtent à un exercice de style dernier cri et ouvertement pop. La voix haute perchée de l’auteure-compositrice-interprète y est magnifiée, transformée par des effets synthétiques dans l’air du temps, des accélérations ou des ralentissements. Des échantillonnages ludiques, des SoundFX comme un coup de tonnerre ou une goutte d’eau, aident à planter le décor et confèrent aux pièces une signature unique qui va au-delà de la musique, des instruments traditionnels. «Quand je fais une chanson, j’essaie le plus possible de lui trouver une personnalité, d’aller plus loin que le refrain et le couplet. Je pense que c’est important de créer une bulle et de proposer des choses à l’auditeur.»

Photo: Maxyme G. Delisle
Photo: Maxyme G. Delisle

C’est sûr que c’est pas un album de la Patère rose, c’est pas ça. C’est important de le dire.

Fanny fait son cinéma

Liqueur se clôt avec une pièce homonyme aux allures de générique de film, un chalalala sempiternel et suavement kitsch qui rappelle la fin des grasses matinées du dimanche sur les ondes TVA, la vie d’avant Netflix, les œuvres datées qu’on regardait plus par paresse qu’intérêt sincère.

Fanny Bloom cultive un goût pour les voyages spatio-temporels. Jaser Jaser, une ritournelle qui aurait presque pu être composée au temps du Faisan Doré, semble tout droit sortie de son 45 tours jazzé (Two Little Birds) qui accompagne la bande dessinée La femme aux cartes postales – un ouvrage publié par La Pastèque qui raconte les pérégrinations d’une chanteuse fictive des années 1950. Ce style cabaret, fort théâtral par ailleurs, sied vraiment bien à la musicienne originaire de Sherbrooke.

Ses textes sont des récits, un peu comme des nouvelles. Quand elle chante, Fanny raconte des histoires. C’est sans parler de la satirique Au réveil, une critique des diktats de la beauté, ou la très touchante Lily, le fruit d’un rêve et une lettre d’amour pour cette belle-mère qu’elle n’a jamais connue. «Moi je suis très, très, très, très ‘’conte’’ dans la vie. J’ai regardé beaucoup, beaucoup de films pour enfants. Encore aujourd’hui, quand il y a des films intéressants pour la jeunesse, je vais les voir au cinéma à leur sortie. Je suis encore habitée par tout cet univers-là un peu fantaisiste. J’imagine que, oui, ça se retrouve peut-être inconsciemment [dans ma musique].»

Juré Craché est un autre exemple probant. Les paroles, narratives à souhait, dépeignent avec précision la fin d’une soirée embrumée et bien arrosée. C’est une explosion d’émotions qui ravive des souvenirs assez universels, ceux des verres de trop qui entraînent la jalousie, le chagrin et leurs petites enquêtes intrinsèques. La matière première rêvée pour tout réalisateur ou réalisatrice de vidéoclip. «J’aimerais ça faire un clip avec cette chanson! Je voudrais aussi avoir un feature, qu’on la sorte, mettons, dans un an, mais que ce soit un duo avec un gars et qu’on se «pète un time» avec une vidéo vraiment vraiment intense. Je rêve un peu en couleur, mais je le lance dans l’univers.»

Fanny est de celles, les rares, qui se donnent le droit de retravailler ses compositions après leur sortie. Il y a eu le remix de Claude Bégin pour Évidemment neuf mois après la sortie de Pan, ce couplet de Tootles repris dans son audacieux duo avec Loud Lary Ajust. En mars 2016, elle dévoilait même un LP complet de relectures dépouillées, mais pas moins riches, des versions piano-voix qui sont venues mettre en lumière toute la complexité et la sincérité de son œuvre. Un répertoire qui se déguste lentement et qui survivra au temps, à ces modes qu’elle embrasse goulûment pour le moment.

Liqueur
Grosse Boîte
Sortie le 9 mars 2018

[youtube]NeVkXoHtKpk[/youtube]